Paul Ntahondakirira
Photo : Alexandra Drame
Il y a deux semaines nous vous parlions des évènements organisés dans le cadre de la journée internationale des réfugiés. On ne le sait pas toujours, mais notre communauté fransaskoise compte également plusieurs réfugiés, venus pour la plupart de la région des Grands Lacs et plus particulièrement du Rwanda, du Burundi ou du Congo.
Ce n’est pas facile de recueillir des témoignages concernant un sujet aussi sérieux et personnel que celui-ci, surtout quand il ravive de nombreux mauvais souvenirs. Paul Ntahondakirira, originaire du Burundi, a accepté de briser le silence et de nous parler du génocide qui a décimé 800 000 personnes au Rwanda principalement, mais aussi de l’autre coté de la frontière. Et ceci, en seulement trois mois, lors du tragique printemps 1994.
Un conflit peu médiatisé
20 ans déjà. Il n’y a pas si longtemps finalement. Et pourtant, je suis certaine que beaucoup d’entre vous n’ont pas, ou presque pas, entendu parler de ce massacre éclair qui a eu lieu il y a deux décennies. Ici, en Saskatchewan, certains des collègues, voisins ou amis que vous voyez si souriants aujourd’hui cachent au fond de leur mémoire des souvenirs qui vous glaceraient le sang. Mais ils gardent cela pour eux, car ils souhaitent tourner la page et pouvoir profiter de leur nouvelle vie au Canada. Et parce que parler ravive la douleur. Paul est l’une de ces personnes. À l’Assemblée Communautaire Fransaskoise (ACF), il accueille les nouveaux arrivants et fait en sorte que leur arrivée à Saskatoon se fasse dans les meilleures conditions. Et s’il se soucie tant de leur accueil, c’est parce qu’il sait à quel point être déraciné peut être difficile.
Le statut de réfugié est complexe : une fois au Canada, on ne peut retourner dans le pays où l’on est menacé. Et faire venir sa famille peut prendre beaucoup de temps avec des ambassades qui croulent sous les demandes. Cela fait déjà cinq ans que Paul est séparé de sa femme et ses enfants. Et il avoue avoir failli craquer à plusieurs reprises.
La peur. La fuite. L’exil.
Il se rappelle, comme si c’était hier les évènements de 1994. Le 6 avril, les présidents rwandais et burundais meurent lorsque leur avion est abattu par un missile. « Quand la guerre a éclaté, ils ont fermé l’école et nous ont renvoyé chez nous. Il y avait des militaires partout mais pas assez de militaires pour protéger les écoles. 5000 personnes avec des machettes et des chiens parcouraient les rues à la recherche des personnes d’origine tutsie, les accusant d’être responsables de l’assassinat du président. Les étudiants, les militaires et les fonctionnaires étaient les principales cibles car ils représentaient le futur et le gouvernement du pays.
Étant étudiant, ma mère pensait que ma fin était arrivée. J’ai fui. J’étais suivi par les chiens, et, d’ailleurs, jusqu’à maintenant je ne suis pas confortable avec les chiens! J’ai mis trois jours pour faire quarante kilomètres, en me cachant la journée, car les miliciens attendaient avec des machettes. J’ai finalement réussi à me réfugier chez un ami. Je ne suis jamais retourné sur ma colline natale. »
Ce qu’il a vécu sensibilise particulièrement M. Ntahondakirira à la cause des réfugiés. Il a ainsi travaillé pour le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), la Banque mondiale et une association de défense des droits de l’homme. Aider les autres l’aide lui aussi. « Ma famille est encore là-bas. En avril 2014, il y a encore eu des problèmes et ils ont dû se réfugier au Rwanda, le pays voisin. J’ai failli craquer, cinq ans de séparation, c’est très long. La vie de réfugié, c’est dur car quand tu rencontres quelqu’un qui parle, ça fait revivre l’histoire. On a tout matériellement mais on n’a rien en fait, car avec la séparation cela demande beaucoup de courage au niveau psychologique.
Les canadiens sont généreux, et le gouvernement est rigoureux, c’est pourquoi la réunification familiale est dure et longue. Je travaille pour le gouvernement moi-même, alors c’est frustrant. Ils te donnent tout mais ils ne veulent pas te réunir avec ta famille. Les gens sont déprimés : on dit que les réfugiés nécessitent des soins coûteux, mais le vrai médicament, c’est la famille. »
Pour en savoir plus sur le sujet
• Films : Hotel Rwanda de Terry George (2005), Shake Hands with the Devil de Peter Raymont (2005), Shooting Dogs de Michael Caton-Jones (2005), Un dimanche à Kigali de Robert Favreau (2006)
• Livres : J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda de Roméo Dallaire (2003), Dans le nu de la vie de Jean Hatzfeld (2002)