Dernier chapitre de notre série sur l’Atlas des oiseaux nicheurs de la Saskatchewan. Nous partons pour le Nord. Non pas pour Waskesiu et ses chalets confortables, mais bien le Nord avec un grand N. Le Nord, le vrai : celui de la survie, de la solitude, et de la folie.
Linnée boréale
Crédit : Domaine public
Un coup de fil peut changer une vie. Le mien est arrivé un 28 juin. Une de mes collègues vient de se blesser, je dois la remplacer au pied levé. Fini le Sud, ses prairies à perte de vue et le chant résonnant de la maubèche des champs. Place au Nord, ses forêts de pin gris et d’épinette noire où les hurlements du plongeon huard viennent troubler la quiétude des lieux.
Seize heures de route plus tard, du café dark roast en intraveineuse, je retrouve Ian, mon nouveau coéquipier d’aventure, à l’aérodrome de Point North. L’hydravion bien nommé Osprey nous récupère et en aussi peu de temps qu’il ne le faut pour l’écrire, nous voici survolant la forêt boréale.
Vue du ciel, l’immensité de la forêt étonne, mais c’est surtout la quantité de lacs qui surprend. Une véritable éponge, cette Saskatchewan ! Wollaston Lake sera notre terre d’exil pour les prochains jours. Baril de nourriture, tente et filtre à eau, tout est prêt. Les premiers coups de pagaie nous éloignent du pilote, dernier homo sapiens que nous verrons avant longtemps.
Le protocole est le même que dans le Sud : des points d’écoute dans des zones définies à l’avance sont à réaliser pour inventorier toutes les espèces d’oiseaux. Ici encore plus qu’ailleurs, l’identification se fait quasiment exclusivement à l’oreille. Il n’est pas rare de passer une matinée entière sans voir le moindre oiseau et d’en inventorier pourtant des dizaines. Les magnifiques parulines sont reines et les rencontres, aussi rares soient-elles, avec les parulines à gorge orangée, parulines couronnées ou parulines à couronne rousse restent en mémoire.
Véritable stage commando, le séjour ne compte pas le mot confort dans son vocabulaire. Les bons petits plats au barbecue ont été remplacés par des repas déshydratés, le béton des routes a fait place à la marche à travers les fourrés, et les nuits se font sur pente inclinée. Summum de l’insupportable : les moustiques, les mouches noires ou encore les taons. Bref, tout ce qui fait bzz bzz et qui conçoit votre peau comme une banque de sang.
Malgré tout, et sous la protection de la moustiquaire, la grandeur des lieux, cette terre sauvage qui impose respect et crainte, laisse des souvenirs impérissables. Ceux-là même qui nous nous pousseront à vouloir y retourner à tout prix !
Carl von Linné
Crédit : Alexandre Roslin
Le saviez-vous ?
La linnée boréale est une plante caractéristique de la forêt canadienne avec ses fleurs roses en forme de cloche apparaissant par paires sur les tiges en Y. Elle tient son nom du Suédois Carl von Linné, père de la biologie au 18e siècle, qui a marqué son domaine en systématisant l’usage de la nomenclature binomiale en biologie, c’est-à-dire la combinaison de deux mots pour désigner une espèce.
Tombé amoureux de cette plante, il pose à ses côtés sur absolument toutes les représentations que nous avons de lui. Avec une modestie dont on ne sait si elle était feinte ou réelle, Linné aurait dit de la Linnaea borealis : « Rampante, vile, négligée, elle passe promptement comme celui dont elle porte le nom. »