Économie : un déficit de 62 milliards et silence sur les langues officielles
Un déficit de 62 milliards de dollars pour 2023-2024, au lieu des 40 milliards prévus, met le gouvernement libéral dans une situation plus que tendue, alors que la ministre des Finances et vice-première ministre a démissionné avec fracas le matin du dépôt de l’énoncé économique de l’automne.
La ministre des Finances et vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a annoncé sa démission quelques heures avant le dépôt de l’Énoncé économique de l’automne de 2024.
Le document, qui fait office de mise à jour et de minibudget pour des dépenses non incluses dans le budget du printemps, a été remis aux journalistes et experts avec plus de quatre heures de retard lors du huis clos.
La semaine précédant le dépôt de l’énoncé économique, la désormais ex-ministre des Finances avait évité de se prononcer sur le montant du déficit, qu’elle avait dit au printemps vouloir maintenir en dessous de 40,8 milliards de dollars.
Mais des mesures sont venues creuser le déficit, le faisant basculer à 61,9 milliards de dollars pour l’année fiscale 2023-2024.
Réclamations autochtones et COVID-19
Le gouvernement justifie ce dépassement du déficit par des «provisions plus élevées que prévu» concernant les revendications des peuples autochtones «qui font l’objet de négociations avec d’autres partis ou dont les tribunaux sont saisis» et au soutien de la population et des entreprises durant la pandémie de COVID-19.
Ce sont donc 16,4 milliards qui vont au passif des réclamations autochtones et 4,7 milliards aux «rajustements pour le soutien liés à la COVID-19».
Plus tôt cette année, le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, avait établi que le déficit allait se chiffrer à 46,8 milliards de dollars.
Le déficit n’inclut pas les chèques de 250 $ que les libéraux avaient dit vouloir envoyer aux Canadiennes et Canadiens gagnant moins de 150 000 $, faute de consensus entre les partis aux communes. Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD) souhaitent notamment inclure les ainés dans les bénéficiaires.
Le congé de TPS de deux mois, qui est entré en vigueur le 14 décembre, coutera 1,6 milliard de dollars et se répercutera sur l’année fiscale 2024-2025.
Plus sur la démission de Chrystia Freeland, remplacée par Dominic Leblanc
«Il est inévitable que notre mandat au gouvernement prenne fin», a écrit Chrystia Freeland dans sa lettre de démission destinée à Justin Trudeau et publiée sur le réseau social X, lundi.
«Vendredi dernier, vous m’avez dit que vous ne vouliez plus que je sois votre ministre des Finances et vous m’avez proposé un autre poste au sein du Cabinet […] Au cours des dernières semaines, nous nous trouvions en désaccord sur la meilleure voie à suivre pour les Canadiens», a-t-elle fait valoir.
La semaine précédant sa démission, des tensions avaient été rapportées entre son bureau et celui du premier ministre, notamment sur la mesure du chèque de 250 $.
Un autre point de tension porterait sur la riposte canadienne à la menace du président élu des États-Unis, Donald Trump, sur l’imposition de tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens et mexicains. «Il faut prendre cette menace au sérieux», peut-on lire dans sa lettre.
Dominic Leblanc, actuel ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, prendra la tête du ministère des Finances.
En conférence de presse lundi, le chef de l’opposition, Pierre Poilievre, a commenté : «On est témoins aujourd’hui du pire chaos au sein du gouvernement du Canada dans l’histoire moderne de notre pays.»
Il a appelé à un vote de la mise à jour économique, pour faire office de vote de confiance le soir même.
De son côté, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a réclamé dans la foulée la démission du premier ministre Trudeau.
«Chrystia Freeland vient de déclencher la course au leadeurship, à mon avis», commente la professeure de science politique à l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier.
«M. Trudeau disait depuis des mois que, oui, les sondages n’étaient pas très bons, mais qu’il avait une bonne équipe et que le caucus était derrière lui. Visiblement, le caucus n’est plus derrière lui.»
L’IA entremêlée aux langues officielles
L’énoncé économique comprend une section sur la Stratégie sur la capacité de calcul souveraine pour l’intelligence artificielle (IA).
La section qui décrit comment l’IA s’intègre dans les opérations de la fonction publique est le seul endroit où il est question des langues officielles. «Les grands modèles de langage en IA et la traduction automatique changeront en profondeur les façons de travailler», peut-on lire.
L’objectif est cependant de développer une expertise basée sur du contenu canadien en faisant appel à la vaste banque de textes bilingues du Bureau de la traduction. Il serait déjà au travail pour développer des outils plus efficaces.
«En perspective, les pratiques efficaces établies seront mises à profit pour utiliser l’IA au-delà des langues officielles, par exemple pour traduire des documents en langues autochtones», indique-t-on.
Du côté de la francophonie et des communautés de langues officielles minoritaires, le minibudget du gouvernement fédéral ne présente aucune mise à jour. Il manque toujours 1,6 million de dollars pour les médias de ces communautés.
Rien non plus sur l’application et la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles, dont les règlements doivent être déposés «avant mars», selon la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand.
Développement économique intérieur
Face à la menace d’imposition de tarifs sur les produits canadiens pour l’importation aux États-Unis, l’énoncé économique contient quelques mesures visant à stimuler l’économie intérieure du pays.
Il annonce, entre autres, son intention de déposer un projet de loi qui obligerait les ministères et organismes fédéraux à acheter au moins 20 % des produits et services auprès de petites et moyennes entreprises (PME) canadiennes. Il désire également augmenter la collaboration avec les PME.
Le gouvernement envisage de lier les principaux transferts de fonds fédéraux aux provinces et territoires à des conditions de réduction des obstacles au commerce intérieur et à la mobilité de la main-d’œuvre.
Un montant de 4,3 millions de dollars sera versé sur trois ans à l’Agence canadienne d’inspection des aliments dans un effort d’harmonisation des reconnaissances et des certifications en agriculture et en agroalimentaire.
Une «unité» malgré les divergences face à la menace tarifaire américaine
Les premiers ministres provinciaux et territoriaux du Canada étaient réunis à Toronto lundi pour plaider «l’unité» face à la menace des tarifs douaniers américains sur les produits canadiens, a fait valoir le président du Conseil de la fédération, le premier ministre de l’Ontario Doug Ford. L’économie canadienne doit être plus dynamique pour attirer les investissements.
Toutefois, alors que Doug Ford a émis l’idée de suspendre l’exportation d’énergie vers les États-Unis en réaction en réponse à la déclaration de Donald Trump, le premier ministre québécois, François Legault, souhaite signaler au président américain qu’il y aura davantage de contrôle concernant l’immigration à la frontière canado-américaine.
-Avec les informations de Julien Cayouette-
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