Skip Navigation

Une ceinture lourde d’histoire

Le fléché, symbole de chez nous

Yvette Michelin nourrit une passion pour le fléché qui va au-delà de la période des carnavals. Spécialiste incontournable du fléché, elle l’enseigne aux adultes et donne des ateliers aux enfants. Et si c’était sa façon à elle de perpétuer un savoir-faire digne de la persévérance et de la ténacité de ces francophones qui ont fait l’Amérique?

En ce samedi d’un printemps trop tardif, rendez-vous à Québec, plus précisément à la Maison Routhier dans l’arrondissement Sainte-Foy. Bâtiment historique construit sous le régime français, c’est maintenant le siège du Centre d’arts textiles de Québec où une variété de cours allant de la broderie à la courtepointe y est donnée. C’est le cas aussi pour le fléché. Et c’est dans cette maison construite vers 1757 que se répandent le savoir et la passion d’Yvette Michelin.

Celle qui flèche notamment les bandoulières de la Compagnie des Cent-Associés francophones s’est faite en quelque sorte embobiner par le fléché à l’âge de 14 ans. Lors du premier Carnaval de Québec en 1955, la jeune Yvette s’achète une première ceinture fléchée. Sa mère, toute contente de l’achat, et ayant appris chez les dames ursulines étant jeune, lui parlera des rudiments du fléché aux doigts. Puis les Ursulines, à l’école, continueront l’apprentissage. «J’ai eu la piqure d’une flèche», dira-t-elle à la blague. Il lui faudra toutefois attendre 15 ans pour faire son apprentissage auprès de Marie-Anna Lemire, qui deviendra sa véritable première professeure. Les yeux d’Yvette Michelin s’illuminent quand elle parle de sa passion pour le fléché. «C’est tellement relié à l’histoire. C’est ça qui m’intéresse.»

Un peu de technique

Cousin du fléché, il y eut tout d’abord le chevron qu’on retrouvait sur les jarretières en France. Selon la thèse de doctorat de l’ethnologue québécoise Monique Genest-Leblanc, Une jolie cinture à flesche, parue en 2003, le plus ancien chevron a été répertorié dans une publication japonaise. Celui-ci datait du 8e siècle! Technique répandue en France, le chevron est plus apparenté à une forme de tressage avec les doigts. Concrètement, quelle est la différence entre le chevron et le fléché? Le dernier donne des pointes de flèches plus courtes, proposant ainsi un certain rythme à la ceinture ce que n’a pas le chevron dont les pointes finissent toujours à la bordure de la ceinture ou de la parure.

Et techniquement, comment cela s’explique-t-il? C’est là que le savoir-faire de Mme Michelin prend tout son sens. Pour le chevron, la course du fil de la trame — les fils transversaux formant la largeur de la ceinture — se rend jusqu’à la lisière sans jamais être changée. Pour le fléché canadien-français, et c’est ce qui fait sa particularité, il «contient toujours un changement de fil de trame à l’intérieur d’une duite», la duite étant une rangée formée par l’entrecroisement des fils au-dessus et au-dessous de la trame d’une lisière à l’autre. Le tout se fait avec les doigts.

Les ceintures qu’on retrouve dans le commerce sont surtout réalisées au métier. Le temps de production n’est évidemment pas le même. Une compagnie comme Les Textiles Castors de Québec, qui fournit, par exemple, des ceintures fléchées à l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) ou au Carnaval de Québec, peut en produire une centaine par jour. Il faut entre 600 et 700 heures pour une ceinture réalisée avec le fléché au doigt…

Le fléché, symbole d’ici

Certains historiens ou ethnologues comme Marius Barbeau ont pensé pendant un certain temps que la ceinture fléchée avait été créée par les Premières Nations. S’il est exact de constater que nombre de ceintures ont été retrouvées chez les membres de ces communautés, des recherches plus poussées ont permis de constater que la technique du fléché au doigt semble bien avoir été inventée par des Canadiens français du 18e siècle.

En fait, les coureurs des bois en échangeaient avec les Autochtones contre des fourrures. Symbole d’une culture qui ne veut pas mourir après la Conquête, le fléché a ainsi tissé, non seulement des liens économiques, mais aussi des liens amicaux entre les premiers habitants du pays et les nouveaux arrivants.

À l’époque, la Compagnie du Nord-Ouest, concurrente de la Compagnie de la Baie d’Hudson, voyant une façon de mousser son commerce avec les Premières Nations s’est intéressée au fléché. Comme il y avait un poste de traite à l’Assomption, certaines artisanes ont reçu des commandes pour la confection de ceintures. Le fléché de l’Assomption était né avec son typique centre en rouge, ses courtes flèches ou ses éclairs.

Pourquoi le symbole de la flèche? Premièrement, il pourrait difficilement en être autrement compte tenu du mouvement des doigts. De plus, sur le plan de la symbolique, comme l’explique Yvette Michelin, «la flèche symbolise l’élévation de l’homme, l’ouverture d’esprit; quand elle redescend, on peut penser à l’humilité nécessaire à l’humanité.» Beau symbole d’une rencontre entre deux peuples.

Patrimoine immatériel

Confectionnée au départ pour garder les manteaux bien fermés l’hiver (la boutonnière n’était pas alors très courante), la ceinture fléchée est devenue au fil du temps un trait d’union entre les voyageurs, les Autochtones et les Métis de l’Ouest canadien. La ceinture méritait bien de se retrouver au sein du patrimoine immatériel du Canada français.

Face à un tel art, le métier de flécherande — on doit le mot à Mme Michelin, qui a réussi à le faire accepter par l’Office québécois de la langue française — prend tout son sens.

Avec ses différents motifs tels dents de scie, demi-pointes ou l’Acadienne, Yvette Michelin trouve primordial de transmettre ses connaissances dans les cours qu’elle offre comme c’est le cas à la maison des Métiers d’art du Québec. Il faut d’ailleurs suivre une formation de 75 heures pour devenir flécherand ou flécherande. Bien qu’elle reconnaisse que les étudiants ne se bousculent pas au portillon, le fléché trouve encore preneur en 2019. Une entreprise comme Étchiboy au Manitoba produit divers accessoires de mode en y insérant du fléché.

Yvette Michelin continue à y croire. Et elle n’a jamais regretté son choix de carrière. «C’est le savoir-faire qui est vrai. Le chevron, ça se fait en France, au Maroc, en Tunisie, en Irlande, mais le fléché, c’est vraiment unique!»


Le projet «Artisans et métiers traditionnels de la francophonie canadienne» a été rendu possible grâce à l’appui financier de Financement agricole Canada. Tous les articles ont été produits conformément à la Charte de la presse écrite de langue française en situation minoritaire au Canada.

Imprimer
21901

André Magny (Francopresse)Francopresse

Autres messages par André Magny (Francopresse)
Contacter l'auteur

Contacter l'auteur

x
Les élèves de Debden découvrent la Ville de Québec

Les élèves de Debden découvrent la Ville de Québec

DEBDEN - En septembre 2014, nous avons commencé à planifier notre voyage éducatif à Québec. Avec l'aide de nos parents, notre communauté, notre division scolaire et nos enseignantes, nous avons commencé les levées de fonds. 
27 avril 2016/Auteur: Anonym/Nombre de vues (32060)/Commentaires (0)/
Ma culture, où est-elle sur le campus?

Ma culture, où est-elle sur le campus?

Conférence à la Cité universitaire francophone

REGINA - Conférence portant  sur l'identité, l'intégration et le bien-être de la jeunesse fransaskoise et métisse dans un environnement universitaire.
21 avril 2016/Auteur: Anonym/Nombre de vues (29877)/Commentaires (0)/
Un ancien président du CSF se prononce

Un ancien président du CSF se prononce

Rencontre avec Yvan Lebel

« Est-ce qu’on pense à nos jeunes dans tout ça ? » C’est le cri du cœur d’Yvan Lebel qui a déjà occupé la présidence du Conseil scolaire fransaskois pendant 4 ans.
21 avril 2016/Auteur: Jean-Pierre Picard/Nombre de vues (25455)/Commentaires (0)/
Rencontre avec Kenneth Bos: histoire d'une chronique

Rencontre avec Kenneth Bos: histoire d'une chronique

Rencontre avec Kenneth Bos, à l'origine de "S'exprimer autrement", chronique qui paraît dans l'Eau vive depuis le 24 mars.
21 avril 2016/Auteur: Mychèle Fortin/Nombre de vues (36654)/Commentaires (0)/
Le centre éducatif Les Petits Pois de Bellevue

Le centre éducatif Les Petits Pois de Bellevue

Défis et projets d'une garderie en milieu rural

BELLEVUE - Après une occupation temporaire au sein du restaurant le Rendez-Vous, l’équipe et les enfants du centre éducatif Les Petits Pois ont intégré leurs locaux flambant neufs au sein de l’école.
21 avril 2016/Auteur: Sandra Hassan Farah /Nombre de vues (24676)/Commentaires (0)/
Communications scolaires

Communications scolaires

Ça a bardé ces dernières semaines dans les couloirs d’écoles. L’annonce du retour de l’ancien directeur de l’Éducation du Conseil des écoles fransaskoises (CÉF) a fortement polarisé les parents.
7 avril 2016/Auteur: Jean-Pierre Picard/Nombre de vues (27559)/Commentaires (0)/
Les 5 choses essentielles à apprendre avant l’âge de 20 ans

Les 5 choses essentielles à apprendre avant l’âge de 20 ans

Dans notre vie moderne, développée et diverse, il y a des choses que tous les jeunes devraient apprendre en grandissant pour potentiellement sauver des vies ou éviter des événements tragiques.
7 avril 2016/Auteur: Pat Connolley/Nombre de vues (32889)/Commentaires (0)/
Projet intergénérationnel à Gravelbourg

Projet intergénérationnel à Gravelbourg

Des aînés et des jeunes élèves de Gravelbourg ont discuté carrières.
7 avril 2016/Auteur: Michel Vézina/Nombre de vues (31007)/Commentaires (0)/
Concours Flash ton école: prix Coup de coeur des RVF à l'École Valois

Concours Flash ton école: prix Coup de coeur des RVF à l'École Valois

Rencontre avec la monitrice de langue Éliane Garcia

PRINCE ALBERT - L'école Valois a remporté la deuxième place du concours Flash ton école en se méritant le prix Coup de coeur du jury.
5 avril 2016/Auteur: Sandra Hassan Farah /Nombre de vues (34313)/Commentaires (0)/
L’article 23 inclut-il le préscolaire ?

L’article 23 inclut-il le préscolaire ?

Un vide juridique relentit les gouvernements provinciaux

Le ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick attend un examen du régime de garderies avant de décider s’il demandera l’avis de la Cour d’appel. En Ontario, où la petite enfance est également intégrée au ministère de l’Éducation, on attend une loi habilitante pour la prise en charge de services éducatifs préscolaires.

25 mars 2016/Auteur: Anonym/Nombre de vues (32962)/Commentaires (0)/
Débats houleux entre CSF et parents

Débats houleux entre CSF et parents

La réembauche de Bernard Roy au cœur de l’Assemblée des électeurs du CSF

REGINA - L’assemblée générale des électeurs du Conseil scolaire fransaskois qui s'est tenue  vendredi le 11 mars était hautement attendue.  Et les plumes ont volé.

24 mars 2016/Auteur: Jean-Pierre Picard et Frédéric Dupré/Nombre de vues (26944)/Commentaires (0)/

L'École Beau Soleil et l'École Mathieu de Gravelbourg soulignent le Mois de l’histoire des Noirs

GRAVELBOURG - Le tissu social de la Saskatchewan est constitué de plus d’une soixantaine de nationalités différentes.
24 mars 2016/Auteur: Michel Vézina/Nombre de vues (25749)/Commentaires (0)/
L’Université d’Ottawa tend la main aux Fransaskois

L’Université d’Ottawa tend la main aux Fransaskois

Un programme de common law offert en français en Saskatchewan

L’Université d’Ottawa et l'Université de la Saskatchewan sont partenaires pour offrir des études de common law en français
24 mars 2016/Auteur: Mila Roy (Gazette de l'Université d'Ottawa)/Nombre de vues (29805)/Commentaires (0)/
Foire du Patrimoine à Mgr de Laval

Foire du Patrimoine à Mgr de Laval

Les élèves de la 4ème à la 7ème année de l'École Monseigneur de Laval ont tenu leur Foire du patrimoine.
24 mars 2016/Auteur: Alexandre Chartier (SHS)/Nombre de vues (30406)/Commentaires (0)/

L'École Beau Soleil et l'École Mathieu de Gravelbourg soulignent le Mois de l’histoire des Noirs

On retrouve plus d’une soixantaine de nationalités différentes en Saskatchewan.

24 mars 2016/Auteur: Michel Vézina (Collaboration avec ÉBS et ÉMG)/Nombre de vues (26735)/Commentaires (0)/
RSS
Première1213141517192021Dernière

 - mardi 18 juin 2024