Photographie de Jacqueline Shumiatcher prise le 18 juillet 2009 dans son jardin, à l’occasion de la 12e édition annuelle du Secret Garden Tour
Crédit : Robin Poitras
La célèbre philanthrope réginoise, mécène et collectionneuse d’œuvres d’art Jacqueline Shumiatcher a rendu l’âme le 1er février à l’âge vénérable de 97 ans. Retour sur un parcours pour le moins extraordinaire.
Née en 1923 à Vendin-le-Viel, petite bourgade du Pas-de-Calais, dans le nord de la France, Jacqueline Fanchette Clothilde Clay Shumiatcher, par les hasards du destin, se retrouve à l’âge de 4 ans dans les dédales du quartier Nord Central de Regina. Elle deviendra plus tard l’une des figures emblématiques du mécénat canadien.
Le hasard fut heureux pour « Jacqui », son diminutif affectueux. Après avoir vécu dans la pauvreté précaire des années 1930 à Regina, elle rencontra à la fin des années 1940 l’un des hommes les plus brillants à la ronde : Morris C. Shumiatcher, alors principal conseiller juridique pour Tommy Douglas, premier ministre de la Saskatchewan de 1944 à 1961.
La jeune Jacqui décrocha un poste de secrétaire auprès du célèbre juriste d’origine albertaine, qui allait devenir le père de la Déclaration des droits de la Saskatchewan, première du genre au Canada.
Le coup de foudre
Cette rencontre allait changer le cours de sa vie et marquer son entrée dans le monde de la philanthropie. Après leur coup de foudre, les deux tourtereaux sont à nouveau frappés par une foudre qui ne les quittera jamais : celle des arts. Lorsqu’en 1954, ils acquièrent leur première sculpture inuite, Morris C. Shumiatcher décrira son acquisition comme une véritable histoire de « love at first sight ».
Commença alors un amour sans limites pour ces deux mécènes avant-gardistes qui ont bâti l’une des plus imposantes collections privées d’art inuit. En 2014, dix ans après le décès de son cher époux, Jacqueline Shumiatcher fera un don de plus de 1 000 œuvres de cette collection unique en son genre à l’Université de Regina.
Une collection que l’artiste visuelle fransaskoise Anne Brochu Lambert a eu l’occasion d’apercevoir dans les années 1980 lors d’un cocktail organisé par l’Alliance française pour les célébrations du 14 juillet, à la résidence des Shumiatcher : « C’est un de mes souvenirs les plus marquants. J’étais très impressionnée de voir une partie de ces pièces, il y en avait partout, jusqu’au plafond ! », se rappelle l’artiste.
Des racines bien profondes
La langue et la culture françaises qui ont bercé la naissance et la jeune enfance de Jacqueline Shumiatcher ne se sont jamais éteintes chez cette grande dame discrète et élégante. « Elle avait un port altier, gracieux, et une délicatesse et un chic très européens », indique Anne Brochu Lambert.
Son style vestimentaire était souvent coloré et chatoyant, dégageant une chaleur humaine et un profond désir d’aller à la rencontre de l’autre et de sa culture. « Quand on lui parlait, on avait l’impression d’être la personne la plus importante à ses yeux. Elle avait un réel attachement pour sa culture et elle parlait français avec une belle parlure et une belle musicalité », se souvient l’artiste visuelle.
De la collection à l’action
Avide collectionneuse, Jacqueline Shumiatcher ne se contentait pas d’accumuler les œuvres pour « se positionner socialement », comme le souligne Anne Brochu Lambert. Elle était également une grande consommatrice d’art, sous toutes ses formes.
Brigitte Haguès, membre émérite du conseil d’administration de New Dance Horizons, une compagnie de danse contemporaine basée à Regina, le confirme : « Jacqui m’avait dit un jour, et cela m’avait marquée, que donner de l’argent à des artistes c’était bien, mais qu’il fallait aussi aller voir et assister à ce qu’ils font. Et c’est exactement ce qu’elle faisait ! »
Que ce soit dans le monde de la danse, du théâtre, des arts visuels, de la musique ou encore de la littérature, Jacqueline Shumiatcher et son défunt époux ont porté un fier flambeau à travers les époques et ont laissé de nombreuses marques indélébiles dans le paysage artistique réginois, et au-delà.