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L’industrie de la musique de 2010 à 2020 : une transformation de fond

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Nathalie Bernardin

Nathalie Bernardin

Jusqu’au 15 janvier, Natalie Bernardin était directrice l’Association des professionnels de la chanson et de la musique.

Photo : APCM

FRANCOPRESSE Après 10 ans à la barre l’Association des professionnels de la chanson et de la musique, la Franco-Manitobaine Natalie Bernardin tire sa révérence. Au cours de ses dix ans de service, qu’a observé cette passionnée de musique? Quels sont ses pronostics pour une industrie qui rythme le quotidien de chacun? Francopresse l’a rencontrée à la fin décembre.

Francopresse : L’industrie du disque et du spectacle a grandement changé pendant votre passage à la direction de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM). Le streaming a pris le dessus sur la vente de disques et même de la musique en ligne. Comment se porte ce virage pour les musiciens?
Natalie Bernardin : Pour moi, les transformations de la distribution ont marqué la décennie. Le moyen de rendre accessible la musique au public a vraiment changé. Les habitudes de consommation ont changé. Il y a une nouvelle génération qui n’a plus besoin d’acheter de vinyle, de cassette ou de CD.  

[Les plus jeunes] n’ont aucunement besoin de «posséder» la musique. Ils streament. Ils écoutent ce qu’ils veulent écouter quand ils veulent l’écouter. C’est de la gratification instantanée : trouver instantanément la musique qu’ils veulent écouter.

Nous appelons ça la découvrabilité de la musique, et c’est l’enjeu de l’heure. Les moyens de trouver les musiques ont changé. Comment faire, en tant qu’artiste, pour être le premier artiste qui apparait quand on fait une recherche en ligne? Le marketing de la musique devient extrêmement important.

L’APCM a embrassé ce virage : pour le gala Trille Or, en 2019, plutôt que de produire un CD qui mettrait en vedette les artistes finalistes, vous avez produit des listes de lecture sur Spotify et sur YouTube.
N. B. : L’APCM a été un distributeur de musique pendant trois décennies. On était l’interlocuteur entre le magasin de disque et l’artiste. On s’assurait de rendre les albums disponibles à l’achat. On assurait la vente sur notre site, mais aussi aux grandes chaines comme HMV, Archambault, différentes boutiques au Canada et à l’international. Ça a complètement disparu il y a 2 ou 3 ans et on fait de la vente en ligne. Mais on sait qu’iTunes est appelé à disparaitre : c’est Apple Music qui va prendre le dessus. On ne pourra plus acheter un album, on devra le streamer, c’est tout.

De quoi les musiciens auront-ils besoin, concrètement, dans la prochaine décennie?
N. B. : L’APCM et d’autres associations, comme l’ADISQ, doivent aller au front pour les droits d’auteur. Quand le numérique est arrivé, on nous a demandé du temps pour mettre en place ce système-là et on nous a dit qu’on verrait aux redevances. Les artistes ont fait confiance; on veut que la musique soit accessible. Toutefois, la musique n’a jamais été autant écoutée qu’en 2019 et les artistes n’ont jamais été aussi peu rémunérés. J’ai espoir qu’avec la volonté politique et la voix des artistes, c’est modifiable. Si la musique n’est pas accessible, on va perdre la voix des artistes du Canada. On ne va entendre que des artistes des États-Unis.

Francopresse : Vous avez aussi observé un exode des salles de spectacle et des festivals. Le public semble moins enclin à «planifier» sa participation à des spectacles ou des festivals. Comment les diffuseurs s’adaptent-ils à cette nouvelle réalité?
N. B. : En diffusion, il faut aimer calculer le risque et le prendre. Avec tout le respect que j’ai pour les diffuseurs, la prise de risques est une forme d’art qui se perd. On n’est pas prêt à mettre nos organismes en péril; I get it. Mais quand un diffuseur a un coup de cœur pour un artiste, il va surprendre son public et lui faire faire une découverte. Ça va lui donner envie de revenir pour découvrir encore, peu importe ce que le diffuseur présentera.

Par contre, quand le diffuseur arrête de surprendre et se met dans le mode «je programme ce que mes gens veulent voir», et qu’il ne fait que ça, il rentre dans un territoire dangereux : il devient à la merci du public. Au contraire, on veut que le public ait besoin d’un diffuseur qui lui apporte quelque chose de rafraichissant, qui lui fait vivre un bon moment, qui le surprend.

C’est un métier qui n’est pas facile. Je lève mon chapeau à ceux qui réussissent à créer cette relation structurante et continue. Par exemple, Stéphane Gauthier à La Slague de Sudbury. : il fait confiance à son public. Il crée des happenings et les gens viennent. On sait que le public ne cherche pas à voir un spectacle, mais à vivre une expérience. 

Le Festival franco-ontarien est un autre bel exemple : dans les deux dernières années, les organisateurs ont fait le pari de mettre plusieurs artistes sur scène en même temps en les ralliant autour d’un thème.

L’artiste a aussi besoin, au niveau du spectacle, d’être authentique, de se renouveler et d’offrir quelque chose d’unique à chaque salle de spectacle ou festival.

Quels sont les prochains chevaux de bataille, pour l’industrie de la musique et les spectateurs, en particulier en milieu minoritaire?
N. B. : Le défi, c’est d’être une minorité dans la minorité. On se bat contre le bassin anglophone, et contre les bassins francophones du Québec et du monde. Mais en milieu minoritaire, on a une proximité avec le milieu qu’on ne retrouve pas au Québec, en France ou dans l’anglophonie. Ça joue en notre faveur. On entretient une proximité avec les diffuseurs, on a une relation personnelle avec les bailleurs de fonds, les diffuseurs, les médias. Ce n’est pas quelque chose qui est donné pour les autres milieux, et ça, je pense qu’on sous-utilise ça.

Aussi, la majorité d’entre nous est bilingue. C’est une plus-value. Un spectacle de Yao peut intéresser un public francophone à Hearst, à Nanaimo, au Québec ou en France, mais aussi une communauté anglophone qui a envie d’inclure du franco dans son festival. Un anglophone ne peut pas percer nos marchés, mais nous, on peut percer le marché des anglophones. Ça, c’est aussi sous-développé, à mon avis.

Avant de diriger l’APCM, vous avez été directrice artistique du Festival Voyageur de Winnipeg et fondatrice du Réseau des grands espaces dans l’Ouest. L’APCM a intégré au gala Trille Or les artistes de l’Ouest en 2013, puis ceux de l’Acadie en 2017. Quelles étaient les intentions? L’initiative porte-t-elle ses fruits?
N. B. : L’ouverture du gala des prix Trille Or vers l’Ouest est une décision qui a pris beaucoup de temps à aboutir. La discussion a duré plus de trois ans au sein du membership de l’APCM. On a sondé tous les membres et ça a été quasi unanime qu’il y ait cette inclusion de l’Ouest. Puis, ça a été une décision spontanée d’ouvrir vers l’Acadie. Le conseil d’administration a été très clair avec moi : «Nous, ce qu’on veut, c’est une diffusion nationale. Coast to coast

Les Trille Or sont le seul évènement véritablement pancanadien francophone en chanson et musique, qui inclut vraiment l’ensemble du pays. Les Éloizes [au Nouveau-Brunswick] opèrent en symbiose avec nous. On diffuse en alternance. Et les Éloizes sont multidisciplinaires — il y a une catégorie musique, une catégorie arts visuels, une catégorie littérature… Chant’Ouest vise les artistes émergents.

La seule chose qui peut se comparer aux Trille Or, c’est l’ADISQ, mais c’est très, très très Québécois; il y a peu de place pour la francophonie canadienne. Et le gala a été bien accueilli du côté du Québec. Ils viennent au Trille Or pour rencontrer les artistes, offrir des formations, penser à la distribution. On a fait en sorte que les Trille Or soient un rendez-vous. Le milieu québécois en profite pour venir à la rencontre de la francophonie canadienne.