Les Belles-soeurs
Photo: Denis Sirois (2016)
Écrite en 1965, la pièce de Michel Tremblay est manifestement ancrée dans cette époque, dans la vie quotidienne et la réalité religieuse et sociale des femmes ordinaires du Plateau-Mont-Royal. Dès les toutes premières paroles, on peut aisément imaginer l'onde de choc lorsque le joual a résonné sur la scène du Théâtre du Rideau Vert lors de la création des Belles-soeurs en 1968. Dans les énièmes reprises de la pièce, ses personnages savoureux, femmes accablées et acculées par leur situation, ont accueilli le talent de générations de comédiennes célèbres et d’étudiantes dans leur apprentissage théâtral.
La Troupe a choisi cette pièce extraordinaire qui marque une étape décisive dans l’écriture dramatique pour célébrer les trente ans de son volet communautaire. On se rappelle d’autres pièces avec des distributions communautaires importantes dans l’histoire de la Troupe : Balconville, La mort de Danton, La Tempête, Le père Noël est une ordure, Le Bonspiel sinistre de Wullie MacCrimmon, La Petite poule d'eau.
Peu importe que les comédiennes rassemblées pour cette production aient des expériences ou des aspirations professionnelles dans le théâtre, ou qu’elles le fassent uniquement pour l’amour de l’art et de la langue, elles entrent toutes dans le jeu avec une fougue et une énergie qui envahissent la salle avec joie et sincérité. Ça se voit surtout dans les récits en chœur, en particulier l’interlude magistral du bingo qui fut pour moi le joyau de la soirée.
Les monologues en aparté direct au public, qui révèlent les pensées intérieures des personnages, sont très réussis. À cet égard on pourrait surtout noter le naturel d’Omayra Issa (Yvette Longpré), l’angoisse de Nicole Lavergne-Smith (Pierrette), le pathétique d’Adrienne Sawchuk (Angéline) et la panique d’Anouk Lebel (Lise Paquette, la fille qui se trouve enceinte dans une époque farouchement réprobatrice).
Si j’ai un bémol quant au jeu, ce serait dans le ton des conversations et dialogues entre les femmes en train de coller et de voler des timbres pendant la soirée. Malgré l'assurance de Denise Sirois (Gabrielle Jodoin) et Shelley Balbar (« sainte » Thérèse Dubuc), les virages soudains dans les échanges manquent parfois de naturel.
À noter dans cette production : l’attention aux accessoires de l’époque et les lignes dynamiques du décor (où il y a manque un d’un coup de pinceau ou d’aérosol pour donner la patine de l’usure quotidienne). Les coiffures méritent des applaudissements particuliers.
Des salles pleines : le succès de ce choix de texte pour une production communautaire s’est annoncé dès la générale. Reste à poser une simple question : le public de la génération actuelle comprend-t-il la signification politique du dernier moment de la pièce, quand on entonne l’hymne national… ???