Skip Navigation
Fonds l'Eau vive banniere Nouveau système d'abonnement

Les professeurs de moins en moins protégés dans leur liberté universitaire

FRANCOPRESSE – Selon un nouveau sondage Léger, près de la moitié des Canadiens sont au courant de la récente controverse à l’Université d’Ottawa, et plus de la moitié ont tendance à soutenir la professeure ayant prononcé le «mot en n» dans le cadre de son cours Art and Gender plutôt que les étudiants. De la Colombie-Britannique au Québec, les professeurs Samir Gandesha et Gérard Bouchard s’entendent pour protéger la liberté universitaire, mais mettent en lumière les conséquences auxquelles peuvent s’exposer certains professeurs qui s’y risqueraient.

Le sondage Léger, mené en collaboration avec l’Association d’études canadiennes (ACS), suggère que 75 % des Canadiens pensent qu’il faut «protéger à tout prix la liberté d’expression dans nos institutions d’enseignement universitaire afin de permettre un libre échange des idées et des opinions».

En contrepartie, 25 % des répondants pensent «que nous devrions limiter la liberté d’expression dans nos institutions d’enseignement universitaire afin de proscrire certains mots ou expressions qui peuvent offenser certains groupes», et ce quel que soit le contexte.

À lire aussi : Professeure suspendue à l'Ud'O: «deux principes à réconcilier», selon le recteur

Un espace sacré

«Vous parlez à quelqu’un dont le rêve était de devenir un professeur et qui l’est devenu, et qui s’en est toujours réjoui!» indique d’entrée de jeu le professeur Gérard Bouchard, de l’Université du Québec à Chicoutimi.

Sociologue et historien, il a coprésidé la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles — ou Commission Bouchard-Taylor — au Québec en 2007-2008.

«Il faut absolument protéger [cet espace de liberté universitaire], c’est quelque chose de sacré. Personne ne doit s’immiscer dans ce lieu-là pour en détourner l’opération», prévient Gérard Bouchard, pour qui la liberté universitaire est un énorme privilège et l’une des grandes conquêtes des sociétés occidentales.

«C’est un espace comparable à un laboratoire, en marge de l’agitation de la société, à l’abri de ses atteintes et de ses pouvoirs. Un espace privilégié pour réfléchir et interroger, qui n’est pas soumis aux préjugés et aux stéréotypes», soutient le professeur Bouchard.

Un espace tiraillé

Professeur agrégé au Département des sciences humaines de l’Université Simon Fraser, Samir Gandesha a fait de la liberté universitaire son champ d’expertise.

Selon lui, «la liberté universitaire est la liberté des individus qui ont été académiquement formés à suivre des pistes de recherche, peu importe où elles mènent. Et là où elles peuvent mener, elles peuvent être très controversées, voire déranger les pouvoirs en place dans la société. Elles peuvent aussi être offensantes pour des groupes particuliers qui ont peut-être moins de pouvoir dans la société.»

Il ajoute que la liberté universitaire permet de rester relativement à l’abri de l’ingérence de l’Église et de l’État, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle soit exempte de pressions :

«L’université est devenue moins une institution publique et plus une institution privée», précise le professeur Gandesha en faisant référence au secteur privé qui finance des projets universitaires. «Elle reçoit de moins en moins de fonds publics, qui doivent être compensés par des dons privés. Lorsqu’il y a ce genre de lien avec des fonds privés, il semble souvent qu’il y ait de plus en plus de conditions liées à l’obtention de ces fonds.»

Samir Gandesha se préoccupe aussi de la situation des professeurs contractuels dans les établissements d’enseignement universitaires : «On retrouve de moins en moins de postes permanents dans les universités qui soient protégés de toute sanction quant à leurs recherches et à l’utilisation de termes controversés relatifs à leur discipline.»

«[Cela fait en] sorte que beaucoup de professeurs universitaires, des professeurs à temps partiel, comme on les appelle, travaillent sous contrat de courte durée et sont soumis à la pression de ne pas être controversés, de ne pas être offensants, de ne pas déplaire à l’administration, aux étudiants et à leurs collègues permanents, par crainte de ne pas voir leur contrat renouvelé», dénonce Samir Gandesha.

Un laboratoire pour disséquer les mots

Gérard Bouchard suggère que la liberté académique permet de se pencher sur des concepts qui ne pourraient pas être débattus dans la société ou dans la vie quotidienne.

«[Un] concept qui est vraiment dégradant, qui aux yeux de plusieurs personnes évoque une mémoire malheureuse et qui est chargé de souffrance, en raison du lieu que constitue l’université, on peut le prendre pour le disséquer, pour comprendre son histoire et son origine, pour comprendre le cheminement par lequel il en est venu à se charger de résonances aussi honteuses, aussi infamantes», estime le professeur. 

«De façon, si possible, à mieux le faire comprendre et finalement à donner des raisons à chacun […] ne pas l’utiliser», ajoute-t-il. 

En ce qui concerne le «mot en n», Gérard Bouchard prévient qu’en faire un tabou, l’enrober d’un interdit et même l’associer à des sanctions, comme dans le cas de la professeure de l’Université d’Ottawa, est «la pire façon» de procéder.

Selon lui, ces comportements éveillent l’incompréhension d’abord et invitent ensuite à l’agressivité, au ressentiment et au profit.

Il ajoute qu’étudier un mot sous la loupe pour démontrer pourquoi il faut se garder de l’utiliser entraine, au contraire, une démarche positive dont ont bénéficié par exemple les mots «sauvage», «Apartheid» et «Shoa».

«Les Juifs n’ont pas essayé d’enfouir ce mot-là sous un tabou ou un interdit. Ils ont fait le contraire : ils l’ont rendu ouvert à toute la population, à tous ceux qui voulaient réfléchir pour s’en emparer. Et puis finalement, ils ont réussi, je ne dis pas à le neutraliser, mais ils en ont fait un objet culturel sur lequel tout le monde peut réfléchir, que tout le monde peut utiliser», souligne Gérard Bouchard.

«Et le résultat est formidable! Ce qui était un drame ou une tragédie pour une partie de la population, c’est-à-dire les Juifs, s’est transformé en une tragédie qui concerne l’ensemble de l’humanité. C’est l’ensemble de l’humanité qui se sent maintenant interpelée par cette tragédie. Voilà qui est beaucoup plus efficace pour lutter contre l’antisémitisme, et au-delà de l’antisémitisme, pour lutter contre le racisme comme tel. C’est une opération très intelligente», défend le sociologue et historien.

La responsabilité de l’enseignant

Samir Gandesha rappelle que grâce à son poste permanent, il connait bien la liberté académique qui n’existe que si elle est utilisée.

Il se dit donc prêt à repousser les limites de la liberté académique et il est, selon lui, important de le faire. Mais il ne s’attend pas à ce que ses collègues agissent de la sorte en raison de leur statut précaire.

Il précise vouloir aussi exercer son jugement avec prudence et ne pas être provocateur pour le plaisir de provoquer. Selon lui, les universités suivent des procédures assurant la meilleure approximation de la vérité possible, les meilleures recherches disponibles et un flot constant de projets de recherche défiant la vérité acceptée du jour.

Mais, tempère-t-il, «en tant que professeur, vous faites partie de la communauté universitaire et les étudiants font également partie de cette communauté. Voulez-vous livrer un contenu qui mette certains étudiants mal à l’aise? Est-ce que ça va aider votre enseignement? Vous êtes également un enseignant, pas seulement un chercheur. À quel point allez-vous être sensible aux préoccupations de vos étudiants? Je pense que c’est une question importante, qui n’est pas souvent incluse dans la discussion sur la liberté académique», nuance Samir Gandesha.

Gérard Bouchard suggère, en référence à la controverse de l’Université d’Ottawa, d’«arrêter de se lancer des pétitions et de se dénoncer les uns les autres sur les réseaux sociaux ou dans les journaux. Il faut aller plus loin que ça maintenant ; il fallait que ça se fasse, mais là, maintenant, il faut passer à autre chose.»

Il souhaiterait voir davantage de structure dans ce débat : «Les administrations des universités, la direction des syndicats de professeurs et professeures ou la direction des associations d’étudiants et d’étudiantes pourraient prendre en charge cet exercice [d’échanges entre les professeurs et leurs étudiants]. Il me semble que ça serait de ces milieux-là que ça devrait venir.»

Sondage Léger

Sondage Léger

Le sondage Léger, mené en collaboration avec l’Association d’études canadiennes (ACS), suggère que 75 % des Canadiens pensent qu’il faut «protéger à tout prix la liberté d’expression dans nos institutions d’enseignement universitaire afin de permettre un libre échange des idées et des opinions». Crédit : Sondage hebdomadaire du 27 octobre 2020 – Léger

Article précédent Campus Saint-Jean : vers une intervention fédérale?
Prochain article Liberté académique : la parole aux universités de l’Ouest
Imprimer
14362

Marie-Paule Berthiaume (Francopresse)Francopresse

Autres messages par Marie-Paule Berthiaume (Francopresse)
Contacter l'auteur

Contacter l'auteur

x
La place de l’anglais dans les écoles fransaskoises

La place de l’anglais dans les écoles fransaskoises

« Une discussion qui doit avoir lieu » – Donald Michaud

SASKATOON - Pour Donald Michaud, le directeur de l’éducation par intérim au Conseil des écoles fransaskoises (CÉF), la place de l’anglais dans les écoles fransaskoises « est une discussion qui doit avoir lieu ». La diversité des niveaux de français représente tout un défi pour le personnel enseignant, certes, mais surtout pour la création d’un environnement social francophone dans l’école.

5 février 2015/Auteur: Jean-Pierre Picard (EV)/Nombre de vues (37119)/Commentaires (0)/

Éducation fransaskoise : le navire ne prend plus l’eau, mais sait-on où il va?

L’Assemblée annuelle des électeurs du Conseil scolaire fransaskois était plutôt calme cette année. Je me suis surpris à m’ennuyer des joutes verbales de l’année dernière. Lors de l’AGA de 2014, le Conseil des écoles fransaskoises (CÉF) était en pleine tempête financière, des coupes sévères venaient d’être faites, et tout laissait croire que ce n’était pas fini. Les colonnes de chiffres inquiétaient les parents et ceux-ci l’avaient fait savoir.
4 février 2015/Auteur: Jean-Pierre Picard/Nombre de vues (32571)/Commentaires (0)/
L’importance de la lecture avec les enfants

L’importance de la lecture avec les enfants

Selon les résultats des recherches de C.A. Nelson, du Centre du développement de l’enfant de l’Université Harvard, le développement langagier d’un enfant se manifeste longtemps avant le premier balbutiement des mots « mmman » ou « pa, pa, papa ». Les études du développement cérébral révèlent que les neurones et les synapses pour le langage apparaissent trois mois avant la naissance. La croissance de cette zone du cerveau atteint son sommet vers l’âge de 4 ans.

4 février 2015/Auteur: Rita Denius (CM)/Nombre de vues (29893)/Commentaires (0)/
Des élèves voudraient une heure de... 60 minutes

Des élèves voudraient une heure de... 60 minutes

SASKATOON - C’est une délégation de jeunes élèves de l’École canadienne-française de Saskatoon, qui a donné le coup d’envoi de l’Assemblée annuelle des électeurs du Conseil scolaire fransaskois.
4 février 2015/Auteur: Michèle Fortin (EV)/Nombre de vues (29737)/Commentaires (0)/
Assemblée annuelle du Conseil scolaire fransaskois : Une soirée bien tranquille

Assemblée annuelle du Conseil scolaire fransaskois : Une soirée bien tranquille

SASKATOON - Le vendredi 30 janvier, le Conseil scolaire fransaksois (CSF) a rencontré ses électeurs pour la première fois depuis le dépôt d’un rapport sévère de la vérificatrice provinciale et la fermeture annoncée de l’école Sans-frontières de Lloydminster.

4 février 2015/Auteur: Mychèle Fortin (EV)/Nombre de vues (35199)/Commentaires (0)/
La cause de la Commission scolaire francophone du Yukon entendue à la Cour suprême du Canada

La cause de la Commission scolaire francophone du Yukon entendue à la Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada a pris en délibéré, le 21 janvier 2015, la cause qui oppose depuis plusieurs années la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY) au gouvernement du Yukon. Le litige repose sur les droits de gestion scolaire en contexte minoritaire.

29 janvier 2015/Auteur: Anonym/Nombre de vues (33124)/Commentaires (0)/
Après 20 ans de gestion scolaire fransaskoise:  Comment se porte le français dans nos écoles?

Après 20 ans de gestion scolaire fransaskoise: Comment se porte le français dans nos écoles?

Rencontre avec un parent inquiet, mais optimiste

La Saskatchewan a bien changé depuis l’obtention de la gestion scolaire il y a 20 ans. Depuis deux décennies, l’épanouissement du Conseil des écoles fransakoises (CÉF) est évident. La gestion scolaire est-elle garante de la qualité de l'éducation française? Nous en avons discuté avec un parent de Regina qui a accepté de répondre à nos questions mais qui a préféré garder l'anonymat.

29 janvier 2015/Auteur: Mychèle Fortin (EV)/Nombre de vues (242047)/Commentaires (0)/
Le Québec refuse d'appuyer les francophones minoritaires

Le Québec refuse d'appuyer les francophones minoritaires

La Commission scolaire francophone du Yukon devant la Cour suprême

J’ai appris avec stupéfaction la position du gouvernement du Québec devant la Cour suprême en ce qui concerne la gestion des écoles par les minorités francophones du reste du pays. En effet, par l’entremise de sa ministre de la justice, Stéphanie Vallée, Québec a signifié son refus d’appuyer des communautés francophones hors Québec. 

29 janvier 2015/Auteur: Jean-François Larose/Nombre de vues (32559)/Commentaires (0)/
Turbulences dans les conseils scolaires francophones

Turbulences dans les conseils scolaires francophones

La CSFTNO se tourne vers la Cour suprême

La Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) et l'Association des parents ayant droit de Yellowknife (APADY) viennent de subir un cuisant revers devant la Cour d’appel des TNO.

20 janvier 2015/Auteur: Denis Lord (L’Aquilon) et Paul Mengoumou (Francopresse)/Nombre de vues (33189)/Commentaires (0)/
Le 27 janvier est la Journée de l’alphabétisation familiale

Le 27 janvier est la Journée de l’alphabétisation familiale

À l'initiative d'ABC Alpha pour la vie Canada, la Journée de l'alphabétisation familiale a été introduite en 1999 et elle est célébrée le 27 janvier de chaque année. En plus de célébrer le plaisir de lire et d'apprendre en famille, cette journée est l'occasion d'intégrer l'apprentissage à sa routine familiale.

2015-01-27/Auteur: Collège Mathieu/Nombre de vues (14913)/Commentaires (0)/
Deux enseignants québécois mieux outillés par un séjour en Saskatchewan

Deux enseignants québécois mieux outillés par un séjour en Saskatchewan

Bilan d'un stage de de l'ACELF de six semaines par deux étudiants de l'Université de Sherbrooke à l'école fransaskoise Mgr de Laval à Regina.
15 janvier 2015/Auteur: (ACELF)/Nombre de vues (23072)/Commentaires (0)/
Lancement du Grand Quiz

Lancement du Grand Quiz

La Grande Dictée fait peau neuve!

REGINA - C’est le 7 janvier 2015 que le Collège Mathieu et Radio-Canada ont tenu une conférence de presse dans le but de présenter leur nouveau concept tant attendu, Le Grand Quiz.
15 janvier 2015/Auteur: Marie-Pier Boilard (EV)/Nombre de vues (41926)/Commentaires (0)/

Rapport de la vérificatrice sur la gestion scolaire : Un besoin de rigueur

On attendait de pied ferme le rapport de la vérificatrice provinciale sur la gestion du Conseil scolaire fransaskois (CSF) et l’administration du Conseil des écoles fransaskoises (CÉF). Jetons un coup d’œil sur certains éléments clé de ce document qui démontrent que les déboires financiers n’étaient pas dus qu’à un manque de financement. 

11 décembre 2014/Auteur: Jean-Pierre Picard (EV)/Nombre de vues (29236)/Commentaires (0)/
Symposium des parents 2014

Symposium des parents 2014

REGINA - Plus de 100 personnes se sont retrouvées au Symposium des parents ce samedi 29 novembre à Regina. Sous le thème Trouver son équilibre!, l’Association des parents fransaskois (APF) présentait son évènement annuel.

4 décembre 2014/Auteur: Stéphanie Alain/Nombre de vues (28815)/Commentaires (0)/

Une ouverture qui pourrait devenir une brèche

Je vois la dominance de l’anglais à une rencontre aussi importante que celle de Lloydminster comme un signal d’alarme. Qu’on se rappelle l’exemple de la Coopérative d’habitation Villa Bonheur à Saskatoon. Par souci de rentabilité, elle avait accepté d’accueillir des anglophones. Aujourd’hui, les rencontres de son conseil d’administration se déroulent en anglais uniquement.

3 décembre 2014/Auteur: Jean-Pierre Picard/Nombre de vues (26332)/Commentaires (0)/
RSS
Première2122232426282930Dernière

 - dimanche 22 décembre 2024