Les officiers David Gee et Keith Salzl, Police de Saskatoon
"Beaucoup d’immigrants ont peur lorsque nous arrivons en uniforme, alors nous faisons les formations en tenue civile" raconte l’officier Keith Salzl.
Photo: Alexandra Drame (2015)
Le métier de policier est apprécié et valorisé de différentes manières à travers le monde. Corruption, violence, machisme, racisme, situation politique et économique du pays, les raisons pour se méfier de la police varient beaucoup selon les endroits du globe où l’on se trouve, ou d’où l’on vient.
Avec la forte augmentation de la population immigrante en Saskatchewan, il est devenu de plus en plus important de sensibiliser les nouveaux arrivants au rôle joué par la police. Des sessions de formation font maintenant partie de la panoplie de services dédiés à l’accueil et l’intégration. Comme nous l’indique l’Officier Keith Salzl du Service des ressources culturelles de la police de Saskatoon “J’ai intégré cette unité au début des années 2000, quand elle s’appelait encore le service de Liaison aborigène. À l’époque, l’emphase était mise sur le travail avec les Premières Nations et les Métis. Désormais, nos officiers font plusieurs présentations à des immigrants chaque mois, et même parfois plusieurs fois dans la semaine. Nous les organisons dans notre nouveau commissariat car cela aide à briser les barrières entre la police et la communauté et cela donne aux nouveaux arrivants un sentiment de confiance.”
Dans une sale remplie d’une soixantaine de personnes, majoritairement des étudiants des cours d’anglais de l’Association Open Doors Society, qui assure des services d’accueil et d’intégration, j’ai écouté comment les policiers tentaient d’expliquer dans un langage simple comment ils sont les “Good guys trying to catch the bad guys”!
En plus de ces présentations, le Service des ressources culturelles tente également de s’impliquer dans de nombreux événements “Ceux organisés par la communauté musulmane, par la communauté Punjabi, des Pow Wow, des soupers végétariens hindous, ou encore la Parade de la fierté gaie. Nous avons aussi développé un programme pour les jeunes cadets.”
Une sensibilisation dès le plus jeune âge
La sensibilisation commence en effet très tôt. Je m’en suis rendue compte un jour où je marchais dans la rue avec ma fille de 5 ans. Un policier à bicyclette nous a salué et a demandé à ma fille si elle voulait un autocollant de la police. En le lui donnant il lui a indiqué qu’il ne faut pas avoir peur des policiers. Ma fille, ravie m’a ensuite dit “Il est vraiment très gentil ce monsieur!”. Outre l’anecdote, la démarche m’a vraiment marquée. Et je dois bien le dire, impressionnée.
En effet, le rapport des Français avec la police est un peu plus tendu qu’ici. Une étude conjointe de l’Institut d'études politiques de Grenoble et du Centre national de recherche scientifique (CNRS)¹ indique que “34 % des adolescents ne font pas confiance à la police, que 40 % d'entre eux jugent son attitude agressive et raciste. En cas d'affrontement entre jeunes et policiers, plus de la moitié indiquent qu'ils ne seraient pas du côté des forces de l'ordre. Pire : un enquêté sur cinq avoue que, confronté à une émeute urbaine, il y participerait. La police est ainsi l’institution publique la plus décriée, loin devant l’école, la mairie ou les pompiers.” Ces statistiques prennent en compte toutes les catégories sociales: on note ainsi que ce sentiment n’est pas seulement propre aux catégories sociales les plus modestes habitant des logements sociaux (“Les cités”), une population particulièrement stigmatisée et réputée pour son peu de considération envers les forces de l’ordre.
Aux États-Unis, plusieurs arrestations violentes d’afro-américains, ayant mené jusqu’au décès de certains interpellés dans des circonstances floues, ont également amené la population à développer un sentiment de méfiance envers les forces policières. Le mouvement Black lives matter gagne en popularité et des protestations sont organisées à travers tout le pays. Avec le problème de la libre circulation des armes chez nos voisins qui rentre dans l’équation, et une population 10 fois plus importante que la nôtre, c’est certain qu’il faudra beaucoup plus que des distributions d’autocollants à la sortie des maternelles pour que la jeunesse américaine enterre la hache de guerre avec les policiers. Mais un travail de dialogue et de sensibilisation sur le terrain dès le plus jeune âge pourra sans doute éviter beaucoup de frustration de part et d’autre.
Au niveau pan-canadien, tout n’est pas rose non plus. Un rapport interne de la GRC intitulé Projet Sanctions² fait état de 204 officiers impliqués dans 322 actes de corruption entre 1995 et 2005. La plupart des cas de corruption relevaient des fuites d’information, des fraudes dans des demandes de remboursement de frais médicaux ou de l’utilisation frauduleuse de cartes de crédit professionnelles. Seulement 17 cas impliquaient des actes en rapport avec le crime organisé. Le prochain rapport permettra de voir si les stratégies mises en place depuis 2005 se sont avérées efficaces, mais c’est surtout la transparence dont fait preuve la GRC qui inspire le respect dans ce dossier.
Pendant ce temps là, Saskatoon continue son travail de proximité. Il est prévu de renommer le Service des ressources culturelles en Service de la diversité, afin de reconnaître le travail de rapprochement qui est fait avec une autre population vulnérable : la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transsexuelle (LGBT). Passé de 2 à 6 agents en 15 ans, le service n’oublie pas sa vocation première de liaison avec les communautés aborigènes, qui reste la population au développement démographique le plus rapide en ville.
Comme le constate l’Officier Keith Salzl “Les immigrants qui participent à nos formations partagent des histoires et nous comparent à la police de leur pays. On nous dit souvent que la police est beaucoup plus respectée ici que chez eux, surtout parce que nous ne sommes pas des soldats et que nous n’acceptons pas les pots de vin. Beaucoup d’immigrants ont peur lorsque nous arrivons en uniforme, alors nous faisons les formations en tenue civile. Durant la première période, les gens sont timides, puis ils commencent à poser des questions. Des sessions de 2h prennent finalement 3h. On essaye de les faire rire. Mais surtout, on essaye de leur expliquer comment on travaille et pourquoi on fait les choses comme cela.” Comme quoi, une police à la peau lisse, c’est bien aussi.
Sources:
1. Article le Monde “Entre les jeunes et la police, la grande défiance”, 13/12/2013
2. Project Sanction, Examining Corruption within the RCMP, Final Report — May 2007, RCMP