Marcel Rachid, assistant aux projets à l’ACFR, a travaillé à la création de l’association Famille de l’Espoir au Burundi.
Photo: Émilie Dessureault-Paquette (2015)
L'actualité nous paraît souvent bien abstraite quand elle concerne des conflits à l'international qui ont peu d'écho dans nos médias nord-américains. Pourtant, ces histoires sont assez proches de nous et s'y intéresser devrait être un devoir. Ainsi, au Burundi, depuis le 25 avril dernier, se déroulent des manifestations violentes qui impliquent toutes les classes de la société.
C'est dans ce contexte que je me suis entretenue avec un burundais d'origine, M. Marcel Rachid, qui vit en Saskatchewan depuis quelques mois. Il travaille présentement à l’Association canadienne-française de Regina comme assistant aux projets. Au-delà de la complexité politique, c'est plutôt d'inquiétude et d'espoir mais aussi d'implication sociale dont je me suis entretenue avec M.Rachid.
Eau vive - Quel est votre plus grande inquiétude concernant la situation actuelle au Burundi?
Marcel Rachid - Le Burundi est un des pays les moins connus et un des plus négligés de la communauté internationale. Alors je crains que la crise qui vient de se déclarer dure encore longtemps et fasse encore plus de victimes. Je ne vois pas d'issue à court terme. Je me sens interpellé par ce qui se passe puisque je travaille depuis 10 ans avec les enfants au Burundi.
EV - De quelle façon vous êtes-vous impliqué avec les enfants?
MR - J'ai été intervenant jeunesse dans une association que j'ai fondée moi-même et qui s’appelle Famille de l'Espoir. L'association s'occupe des orphelins de la guerre et de la crise de la démocratie au Burundi.
EV – Est-ce qu'il y a une réalisation dont vous êtes particulièrement fier ?
MR - C'est d'avoir mis en place cette association. Durant mon séjour au Canada, je n'étais pas coupé du pays. La chose la plus importante que j'aie faite c'est de continuer à mobiliser et à sensibiliser les communautés autour de moi, pour venir en aide aux enfants orphelins.
EV - Et pourquoi avez-vous décidé de travailler avec les enfants plus particulièrement?
MR - Je suis né dans une famille qui a été complètement démembrée par la crise post-coloniale. Je sais vraiment c'est quoi être un enfant orphelin, de grandir avec une mère dépourvue de tout. Quand je suis retourné au Burundi en 2004, parce que j'avais fuis au Rwanda en 1997, j'ai été frappé de voir des milliers d'enfants abandonnés dans les rues. Ç'a été l'élément déclencheur de la fondation de mon association.
Je reconnaissais qu'il n'y avait pas de moyens, pas d'argent, mais que l'on pouvait faire quelque chose juste pour montrer aux enfants qu'il y avait de l’espoir, qu'on leur accordait un peu d'attention. Je me suis dit que ces enfants n'avaient pas d'avenir et qu'il fallait mobiliser la communauté pour s'en occuper, avec les moyens du bord.
EV – Quels sont les réalisations que vous avez accomplies avec la communauté?
MR- Mon rêve, c'était que les enfants retournent à l'école, qu'ils soient scolarisés. On sensibilisait la communauté, on cherchait des familles d'accueil. Mais à un certain moment, c’est-à-dire vers 2011, on a fait une analyse de tous les enfants que l'on avait amenés à l'école. On a trouvé que la plupart ne persévéraient pas, que le taux de décrocheurs était de 90%. Alors on s'est questionné et on a réalisé que le problème c'était l'extrême pauvreté et les traumatismes subis pendant la guerre. Ils ne pouvaient pas se concentrer a l'école, ils faisaient des cauchemars, ils ne croyaient plus en l'avenir. Il a fallu que je trouve une autre approche qui puisse vraiment aider, une approche plus intégrée, pour regarder l'ensemble des besoins de l'enfant. Parce qu'envoyer un enfant à l'école, ça ne suffit pas.
J'avais eu l'occasion de visiter le centre de pédiatrie sociale du Dr. Gilles Julien, à Montréal au Québec, et cela m'a inspiré car c'est quelque chose que je pouvais adapter au Burundi. C'est là que j'ai conçu ce projet de faire un centre sociopédiatrique. C'est un modèle d'intervention qui regroupe différents professionnels qui essaient d'appréhender l'ensemble des besoins de l'enfant.
EV – Vous parliez de traumatismes de guerre. Est-ce qu'au Burundi, on retrouve la réalité des enfants soldats?
MR - 8000 enfants soldats, ça c'est le chiffre officiel. On dit que la pire des choses de la guerre, c'est d'être un enfant soldat. Parce que c'est une enfance sacrifiée. Parce que c'est traumatisant et que le traumatisme ne disparaît pas après le retour de la paix. Parce que ces enfants risquent fort de reproduire la violence dont ils ont été victimes. Si on ne travaille pas avec eux, ça va être vraiment difficile pour eux de se réintégrer dans la société.
Toutefois, ce n'est pas des choses que l'on aborde directement avec les enfants. On ne dit pas : voilà on travaille avec vous parce que l'on soupçonne que vous avez été des enfants soldats. Non, on ne dit pas ça. On a plutôt essayé de mettre en place une approche pour qu'ils puissent s'exprimer sans que l'on pose les questions, et ça a très bien fonctionné. À partir de là, les enfants se sont révélés sans même le savoir.
EV – Que comptez-vous faire pour mieux faire connaître la réalité du Burundi à la communauté
fransaskoise?
MR – Je pense qu'il y a urgence d'expliquer et de conscientiser et je veux écrire pour parler, non pas des conflits en eux-mêmes, mais de l'impact de ces conflits sur les populations vulnérables, de ce qui ce passe en silence là-bas.
EV - L'association que vous avez fondée se nomme Famille de l'Espoir. Vous avez donc un peu d'espoir pour la suite?
MR – Sans mentir, je n'ai pas vraiment d'espoir. Parce que c'est un pays très fragile encore. Parce que dans un pays en guerre, c'est tout le monde qui devient combattant. C'est donc facile de régresser et de retourner dans une violence extrême. C'est pourquoi quand je vois que la communauté internationale ne s'y intéresse pas… Je me dis qu'il faut en parler, qu'il y a des choses à faire.
J'aimerais publier mon livre dans la communauté fransaskoise. Avec le temps, je pourrais sensibliser d'autres communautés. Les guerres sont injustes, ceux qui les commandent ne sont pas ceux qui en paient le prix. Tous sont perdants, surtout les enfants. Ça devrait interpeller tout le monde. Pour le devoir, pour la morale. En tant qu'humain.
Pour en savoir plus sur Famille de l'Espoir: www.fenations.org/pages/bienvenue.html