La chouette lapone
Crédit : Arthur Béague
Attention, danger ! Les lecteurs non avertis ou les plus sensibles d’entre nous pourraient être pris de tachycardie devant la beauté de cet animal. Rencontre cette semaine avec un mythe, une quête pour certains, un rêve inaccessible pour d’autres : la chouette lapone. Elle a tout pour elle : puissante, dangereuse, majestueuse, les superlatifs manquent pour qualifier cet oiseau des plus photogéniques au monde.
Certains se souviennent du jour où ils se trouvaient lorsque les Canadiens ont soulevé leur première coupe Stanley, d’autres se rappellent le goût de leur meilleure poutine, et il y a ceux qui se repassent en boucle la première fois où ils ont croisé une chouette lapone.
Le samedi 6 mars 2021, route 55, j’ai Prince Albert dans le rétroviseur et, soudain, je l’aperçois au loin. Ce n’est pour l’instant qu’une masse noire dans un arbre, mais je sais que c’est elle. Tout est réuni : la forme, la position, la taille, l’habitat, j’en suis persuadé.
Un frisson m’envahit et j’écrase la pédale de droite pour me rapprocher au plus vite de l’oiseau que je recherche depuis des mois. C’est que, depuis un moment, mon salon ressemble à celui d’un enquêteur de la section criminelle : cartes étalées au sol, photos placardées sur les murs, fils rouges pointant vers les derniers endroits où l’espèce a été aperçue.
Ça y est, la récompense est devant moi. Majestueuse, elle m’hypnotise avec ses grands yeux jaunes et ses croissants oculaires. Je perds le combat des regards, m’inclinant devant la plus grande chouette d’Amérique.
La plus grande, certes, mais pas la plus lourde ! Neuf cents grammes à la pesée, la chouette lapone fait attention à son régime alimentaire. Pas plus de sept campagnols par jour, peut-être une dizaine au réveillon, mais guère plus.
C’est principalement ses plumes qui confèrent à la chouette lapone son volume et non ses muscles. Finalement, on a pas mal de points communs elle et moi – avec ma grosse doudoune sur les épaules, on sait bien tous les deux qu’il n’y a pas grand-chose dessous.
C’est qu’il en faut des couches pour se protéger de ce froid polaire ! La chouette lapone a élu domicile dans la forêt boréale où elle affectionne particulièrement les forêts marécageuses à feuilles persistantes. Chez nous, en Saskatchewan, il est possible de la rencontrer entre les latitudes de Prince Albert et la frontière avec les Territoires du Nord-Ouest.
Patience tu auras
Nous avons cette chance magnifique de cohabiter avec cet animal mythique, quand certains parcourent des milieux de kilomètres pour l’observer. Alors voici quelques conseils si vous aussi vous souhaitez vous incliner devant dame Nature.
L’animal est visible tout au long de l’année en Saskatchewan, mais vous augmenterez vos chances si vous cherchez à l’aube ou au crépuscule, période où l’oiseau est le plus actif. Une fois l’habitat propice repéré, scrutez le moindre arbre mort à la recherche d’une silhouette sombre guettant une proie potentielle.
Vous aurez peut-être la chance de voir son mètre et demi s’envoler, le bruit puissant de ses ailes venant briser la quiétude des lieux. Peut-être se jettera-t-elle toutes serres dehors sur un petit mammifère qui se pensait à l’abri sous la neige. Comment sait-elle où il se trouve ? La position asymétrique de ses oreilles lui assure une audition directionnelle permettant de localiser précisément une proie par le son.
On comprend mieux maintenant pourquoi le précurseur de l’écologie moderne, Archibald Stansfeld Belaney, s’est choisi pour pseudonyme « Grey Owl ». Dans les pas de l’un des tout premiers défenseurs de la nature, gardez à l’esprit que la chouette lapone est un animal très sensible aux perturbations et rappelez-vous que lorsqu’il s’agit de la faune sauvage, on touche avec les yeux !