Le journaliste, professeur et auteur Florian Sauvageau.
Photo : Marc Robitaille
Le professeur émérite de l’Université Laval a coprésidé il y a 30 ans une commission nationale sur la politique de radiodiffusion. Lors des audiences, les griefs des communautés francophones face à Radio-Canada l’ont marqué. Il a pris leur défense, coupure après coupure.
« Les coupures ont commencé dans les années 1990, se souvient Florian Sauvageau. La différence, c’est qu’il n’y avait pas toute cette agressivité contre Radio-Canada. Tant que le Premier ministre Harper va être là, l’avenir est sombre. Je ne me souviens pas d’avoir vu un gouvernement aussi négatif envers Radio-Canada.
« D’autres premiers ministres ont eu des mots très durs envers Radio-Canada, rappelle le professeur du Département d’information et de communication. Par exemple, après le référendum de 1995, on avait accusé le diffuseur d’être souverainiste. Mais c’était conjoncturel. Maintenant, c’est permanent. Il y a au gouvernement des gens qui détestent Radio-Canada de façon viscérale.
« Les gouvernements ont toujours nommé de leurs amis au conseil d’administration, mais c’étaient des personnes qui connaissaient et aimaient Radio-Canada. La différence, estime le coprésident du groupe Caplan-Sauvageau, c’est que le gouvernement nomme des partisans n’ayant rien à voir avec la radiodiffusion et très agressifs à l’égard de Radio-Canada. »
Les premières coupures ont éliminé la production régionale de dramatiques et de variétés, ainsi que la programmation affectant des centaines d’emplois. En 1990, le budget annuel de la SRC dépassait le 1,73 M. Puis, il dégringolait jusqu’à 1,28 M en 2003, selon les rapports annuels. L’administration actuelle l’a réduit à un milliard $.
D’autres coupures à venir?
Les compressions de 2009, 2012 et 2014 auront éliminé plus de 2 000 postes. Elles auront réduit encore les services de nouvelles et les affaires publiques à la grandeur du pays. Selon Florian Sauvageau, la SRC traverse une crise de légitimité.
« Radio-Canada a perdu beaucoup de ses amis, peut-être pas hors Québec où il est tellement essentiel, mais surtout au Québec où il y a une pléthore de réseaux. Les comportements et les contenus de Radio-Canada, surtout à la télé, ressemblent tellement à ce que font les autres.
« Ceux qui étaient prêts à monter aux barricades sont déçus, dit-il. Je ne trouve pas dans l’opinion l’urgence de faire quelque chose. Même les syndicats, qui mènent la bataille, ne reçoivent pas l’appui du passé. » Le groupe Les Amis de la radiodiffusion canadienne, qui a lancé une pétition en avril dernier, soutient depuis que les coupures dans les régions ne sont pas terminées.
« Pour les francophones hors Québec, c’est plus grave. Si on diminue encore le service, à un moment donné, il ne restera plus rien. » Florian Sauvageau raconte comment il a compris l’aliénation vécue par les minorités francophones lors d’un voyage sur la côte ouest au milieu des années 1980.
« J’écoutais Radio-Canada sur la route entre Vancouver et Seattle. C’était vraiment surréaliste d’écouter la radio qui pouvait me rapporter la dernière déclaration du ministre de l’Éducation du Québec sur les cégeps et un aperçu de la dernière pièce présentée au Théâtre du Rideau-Vert. »
Des champions du communautaire
Des rencontres avec des champions des médias communautaires hors Québec ont marqué Florian Sauvageau. « Je n’étais pas assez conscient des luttes et de l’énergie que mettaient là-dedans certaines personnes. J’avais passé du temps avec Roland Pinsonneault, qui dirigeait le journal L’Eau vive, en Saskatchewan. Il m’avait beaucoup impressionné. » Le Fransaskois a été président de l’Association de la presse francophone.
Le professeur se souvient aussi du militant de la radio communautaire, Michel Delorme. Le coordonnateur de la Fédération de la jeunesse canadienne-française menait une lutte pour établir un réseau pancanadien de radios. « C’est en parlant avec ces gens-là que j’ai compris. C’est à cause d’eux qu’on a proposé l’expansion d’un réseau de radios communautaires. »
Les communautés francophones ont eu un impact sur la commission Caplan-Sauvageau. Le rapport n’a pas sauvé la production régionale de la SRC, qui restera concentrée à Montréal. Mais la nouvelle Loi sur la radiodiffusion (1991) consacre la place des médias communautaires comme un des trois piliers constituant, avec le privé et le public, une offre de « service public essentiel ».
La loi prévoyait déjà que « tous les Canadiens ont droit à un service de radiodiffusion dans les langues anglaise et française, au fur et à mesure que des fonds publics deviennent disponibles. » La nouvelle approche n’a pas empêché l’effritement du financement, mais elle a mené à la création de l’Alliance des radios communautaires.
Pendant que les coupures réduisaient le rôle de la SRC, de nouvelles chaînes francophones sont apparues, sans toutefois bonifier l’offre aux communautés francophones. Leurs plaintes ont conduit le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes à proposer la création d’un diffuseur à leur intention. TV5 Unis a obtenu en 2013 ce mandat, assorti des revenus de la transmission obligatoire.
Des pressions sur la SRC et TV5
Florian Sauvageau ne sait pas s’il s’agit de la meilleure solution. « Il y aura de la télévision régionale et ça pourrait répondre aux besoins, si Unis fait bien son travail. Il faut donner la chance au coureur. La programmation doit refléter ce qui se passe chez vous. » Selon lui, les communautés devront maintenir des pressions sur TV5 et la SRC, en commençant par la conversation lancée par le P.D.G. Hubert Lacroix.
« Il peut y avoir une oreille attentive et ça peut donner quelque chose, croit-il, même si on sait que ça n’impressionnera pas le Premier ministre. Ça montre une volonté que quelque chose aboutisse. Il faut obliger les partis politiques à l’élection de 2015 à se prononcer sur l’avenir de Radio-Canada.
« On ne peut pas continuer avec le Radio-Canada qu’on a aujourd’hui, soutient le professeur. Quel rôle veut-on donner au service public? Est-ce que c’est Radio-Canada qui doit mener cette réflexion? Je pense qu’il faudrait nommer un groupe indépendant. Il faut montrer qu’on considère Radio-Canada comme quelque chose d’autonome. »
Florian Sauvageau est persuadé que la réponse doit être multiple. « Il y a d’autres possibilités que Radio-Canada pour répondre à vos besoins. Je me souviens d’avoir lu l’histoire de la radio de Saint-Boniface (CKSB). Je me suis demandé si, avec l’achat des stations privées par Radio-Canada lors de l’expansion des années 1970, on n’allait pas perdre quelque chose. »
Il croit que le communautaire peut encore jouer un rôle essentiel, étant donné l’arrivée d’outils plus souples et moins coûteux. « Les nouvelles technologies permettent à plus de gens de participer. Mais il faut que ce soit organisé sur des bases solides. Ça prend des fonds pour embaucher des permanents et il faut que d’autres se greffent par passion.
« On a vu dans le passé que les gens s’attachent aux médias qui sont proches d’eux, conclut Florian Sauvageau. C’est ça que vous avez demandé à Radio-Canada, c’est ça dont vous avez besoin. »