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« Un jour de grand vent »

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En 2016, un premier jet de cent vingt pages de cette pièce de théâtre voyait le jour grâce à une bourse en écriture dramatique du Conseil culturel fransaskois. Le temps a fait son œuvre et l’auteur nous présente ici une toute nouvelle première scène, rédigée au printemps dernier lors de la mini-retraite du Cercle des écrivaines et des écrivains de la Troupe du Jour. La réécriture se poursuit avec l’introduction du personnage de Sophie.

« Un jour de grand vent »

Acte 1 Scène 1

Musique fluide de harpe.

Un éclairage très doux révèle un environnement désertique, plus sombre à l’arrière-scène.

Sophie entre pieds nus, toute vêtue de blanc ivoire. Elle fait danser en volutes un long ruban sur tige — ivoire lui-aussi — en virevoltant au rythme de la musique. Après un temps, elle remarque avec surprise la présence du public et met fin avec élégance à son envolée.

Image
Illustration de Jean-Marie Michaud

SOPHIE, (enjouée, très bel accent français bien campé)

Ah…, vous êtes là. Enfin ! Quel bonheur. Il y a longtemps… Longtemps, c’est peu dire…

Cinq siècles ? Oui, cinq siècles en effet. C’est long…

Heureusement, il y a la musique et même un chœur là-haut… Vous verrez.

Pour la musique ? De la harpe surtout. Ça vient avec le territoire. On est dans les limbes ivoires après tout.

Dans les limbes noires, (elle indique l’arrière scène) à l’autre bout, c’est plutôt grunge et même punk/heavy métal. Ici, pour ne rien vous cacher (amusée), ça fesse moins fort…

Je vous attendais vous savez. On m’avait dit :

« Un jour, vous aurez de la visite, de la grande visite… »

Hé bien, je ne m’attendais pas d’en avoir autant. Ça fait plaisir. Parce que dans les limbes ivoires, pour voir du monde, il faut voyager… Comme sur terre, j’imagine.

Les limbes, c’est nickel, même si je suis trop souvent seule…, et sans ailes.

(Elle cherche autour d’elle, un peu perdue, et soupire.) Les autres vont ailleurs, faut croire… Vous avez bien choisi vos limbes vous savez. Ici, on rajeunit… Oui ! On rajeunit, au ralenti…

Au seizième siècle, dans mon temps — on disait ça « dans mon temps » — j’étais loin d’avoir seize ans comme aujourd’hui. J’en ai perdu cinquante depuis mon arrivée. Cinquante ans, rien de moins, en cinq cent ans. Difficile à croire, n’est-ce pas ? Les limbes ivoires, c’est comme ça. C’est une cure de jeunesse au ralenti. Une année tous les dix ans. Si je reste ici, dans cent ans, j’aurai six ans. Faites le calcul…

Alors, avant de disparaître, je pense à déménager, car d’autres limbes ont d’autres couleurs, et d’autres qualités.

Surtout qu’à seize ans, l’éternité est pleine de promesses. Tout comme la vie, n’est-ce pas ?

(Elle respire profondément.)

La musique redémarre, plus rythmée cette fois. Sophie reprend son envolée enrubannée pour disparaître comme elle est venue.