Un jeune Fransaskois s’est lancé, pendant sept semaines, dans la course folle de la campagne des primaires démocrates aux États-Unis sous la bannière du candidat, depuis déchu, Bernie Sanders. Un véritable parcours initiatique pour ce jeune homme de Regina qui rapporte dans ses bagages une expérience politique, mais surtout humaine.
Quel meilleur moyen pour mieux connaître un pays que de devenir bénévole pour sa campagne électorale dont l’issue risque d’être historique ? Surtout lorsque cette nation est l’une des plus puissantes au monde et qu’elle est voisine de son pays natal, malgré les différences idéologiques qui les séparent.
Dans la vingtaine, fraîchement sorti de l’Université d’Ottawa où il étudiait les sciences politiques et l’histoire, et baignant comme bien des étudiants dans une période d’incertitude quant à la prochaine étape de sa vie, Emmanuel Masson s’est envolé le 4 février dernier pour le New Hampshire pour commencer un périple qui le mènera jusqu’en Floride.
« Je m’étais déjà intéressé à la campagne de Bernie Sanders en 2016. J’ai vu un message de recrutement sur Instagram pour la campagne en cours. J’ai suivi un webinaire de préparation et deux semaines plus tard, j’étais en route vers les États-Unis », explique-t-il.
Un engouement international
Les campagnes électorales américaines sont des événements hautement médiatisés et organisés qui attirent l’attention et attisent la passion de nombreux bénévoles de partout dans le monde. « J’ai été très bien accueilli et les gens n’étaient pas vraiment étonnés de me voir participer activement à cette campagne, même si je ne suis pas Américain. J’ai rencontré d’autres Canadiens, ainsi que des personnes venant de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Espagne et même de l’Australie ! »
Emmanuel reconnaît que son engagement dans un tel événement relève d’un intérêt marqué pour ce qui se passe, pas si loin de la frontière. « Mon désir de supporter la campagne de Bernie s’explique surtout par la très grande influence que ce pays a sur le nôtre, tant du point de vue économique que politique, également sur la scène internationale. »
De porte en porte
Prenant son cran et son courage à deux mains, le jeune homme a embarqué dans le tourbillon incessant du porte-à-porte, des rallyes et des rassemblements partisans. Une vie à perdre le souffle, mais qui a été une source inestimable d’apprentissage.
Pendant son séjour, le jeune Fransaskois s’est entretenu avec plus d’un millier de personnes, entre les bénévoles et les militants, sans compter les Américains de toute souche de la société. « Cette expérience m’a beaucoup appris sur moi-même, j’ai réussi à surmonter ma gêne de parler à des étrangers. Et j’ai surtout découvert les États-Unis sous un nouvel angle. »
La diversité des personnes rencontrées a assurément été riche d’enseignements sur le tissu social américain et les enjeux qui préoccupent des habitants aux inégalités flagrantes. « Le système de santé et les primes d’assurance exorbitantes sont des sujets chauds. La majorité des gens veulent du changement. »
Une société fragmentée
Plusieurs phénomènes, même s’ils sont présents ailleurs dans le monde, sont particulièrement exacerbés dans cette Amérique marquée par la stratification de sa population. Comme le fait remarquer Emmanuel, « la gentrification, par exemple, est particulièrement problématique dans certaines communautés et plonge certains citoyens un peu plus profondément dans la pauvreté. J’ai rencontré des familles qui vivaient jusqu’à onze personnes dans un trailer. [une remorque] »
Le jeune homme évoque aussi l’effondrement de l’industrie du taxi, qui a connu une vague de suicides sans précédent maintenant que des compagnies comme Uber et Lift ont complètement englouti le marché. Même son de cloche du côté du logement locatif qui subit l’effet dévastateur d’Airbnb. « Les frais de scolarité sont aussi au cœur des préoccupations des étudiants. Pas étonnant puisqu’une session universitaire peut coûter en moyenne 10 000 dollars américains ! »
Un vent de défaite
Des changements que le démocrate Bernie Sanders se promettait d’incarner, notamment en réformant le système de santé et en s’attaquant au système électoral et à la corruption qui le ronge de l’intérieur. Mais cela n’aura pas suffi à convaincre une population grondante qui devra désormais se rabattre sur l’ancien vice-président démocrate, Joe Biden et, pour certains, sur le président en résidence à la Maison-Blanche, Donald Trump.
« Certaines personnes à qui j’ai parlé affirment vouloir voter Trump car il est le seul politicien qui semble les comprendre et leur parler d’égal à égal. Ces citoyens sont les grands oubliés de la scène politique américaine », analyse le diplômé en sciences politiques.
Si le candidat de choix du jeune Fransaskois semblait avoir le vent dans les voiles au début de son séjour avec des victoires symboliques, la brise a vite tourné et la défaite du « super mardi », le 3 mars, a scellé l’avenir d’un politicien en perte de vitesse. « Nous savions que les choses allaient tourner, malgré tout nous avons continué de militer, jusqu’à ce que la pandémie éclate et que l’état d’urgence nationale soit déclaré. »
Forcé d’avancer la date de son retour, Emmanuel a dû faire ses valises pour ramener avec lui une foule de souvenirs et de contacts grâce à un séjour pas comme les autres chez ses voisins du sud qui, eux aussi, sortent de l’ordinaire.