FRANCOPRESSE – Le processus de redécoupage de la carte électorale fédérale est en cours. Avec la publication des rapports préliminaires des commissions électorales, on remarque que la considération accordée à la représentation effective des francophones diverge d’une province à l’autre. Le Nouveau-Brunswick et l’Alberta font bonne figure, contrairement à la Nouvelle-Écosse.
Tous les dix ans, les limites des circonscriptions électorales fédérales sont révisées afin de refléter les changements démographiques et les mouvements de la population.
Une fois la répartition des sièges établie entre les provinces et territoires, des commissions indépendantes sont mises en place dans chacune des provinces. À noter qu’aucune commission n’est nécessaire pour les trois territoires puisque chacun d’eux ne forme qu’une seule circonscription.
En plus du facteur démographique, les commissaires doivent aussi considérer d’autres éléments, dont la représentation des communautés d’intérêts.
Le droit à une représentation effective
En effet, au Canada, le droit de vote n’est pas compris comme une égalité stricte du pouvoir électoral. L’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada de 1991 confirme plutôt le droit à une représentation effective.
Cela signifie que redécouper une carte électorale n’est pas qu’un exercice purement mathématique. En plus du nombre d’électeurs, les commissaires doivent tenir compte de divers facteurs, dont la géographie, l’histoire, les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires.
Il est nécessaire de trouver un équilibre entre ces multiples considérations au moment de proposer de nouvelles limites électorales. Le redécoupage électoral peut ainsi être vu comme un exercice d’équilibrage afin d’assurer une représentation effective aux communautés d’intérêts.
Des précédents établis par la jurisprudence confirment que les francophones en situation minoritaire constituent une communauté d’intérêts et qu’il est nécessaire d’en tenir compte dans les travaux des commissions électorales.
À titre d’exemple, dans l’affaire Raîche, le redécoupage de 2001 de la carte électorale fédérale du Nouveau-Brunswick a été déclaré invalide par la Cour fédérale puisqu’il ne tenait pas compte des communautés d’intérêts acadiennes du nord de la province.
La représentation des francophones considérée au Nouveau-Brunswick et en Alberta
À l’exception de l’Ontario et du Québec, les rapports préliminaires de chacune des provinces ont été rendus publics. Jusqu’à présent, les deux seuls rapports mentionnant explicitement la représentation des francophones sont ceux de l’Alberta et du Nouveau-Brunswick.
Le rapport de la Commission pour le Nouveau-Brunswick souligne à de multiples reprises l’importance de la représentation effective des Acadiens et des francophones, ce qui se reflète dans les nouvelles limites proposées.
Les trois circonscriptions à majorité francophone de la province sont conservées. Les commissaires proposent notamment de déplacer la région à prédominance francophone de Grand-Sault de la circonscription à majorité anglophone Tobique-Mactaquac à celle de Restigouche-Madawaska. Les changements aux circonscriptions d’Acadie-Bathurst et de Beauséjour sont d’ordre plus mineur.
De plus, les commissaires n’ont pas retenu l’idée de créer une circonscription basée sur les limites municipales de la ville de Moncton, notamment pour ne pas diluer la masse critique de francophones au sein de la circonscription. Ils suggèrent plutôt de déplacer la ville majoritairement anglophone de Riverview dans une circonscription voisine et de maintenir ensemble les villes de Moncton et de Dieppe dans une circonscription bilingue.
En Alberta, les commissaires proposent de rattacher la ville de St. Albert, située au nord d’Edmonton, à la circonscription remaniée et renommée de Sturgeon River. Cette modification a explicitement pour objectif d’intégrer St. Albert à la même circonscription que d’autres communautés francophones situées au nord d’Edmonton, notamment Legal et Morinville.
La proportion de francophones ne variera pas de façon importante dans cette circonscription malgré le changement proposé, mais cette considération est digne de mention.
Dans une province comme l’Alberta, où les francophones représentent 2 % de la population totale et sont dispersés sur le territoire, il n’est pas possible d’envisager une forme de redécoupage permettant aux francophones d’avoir un poids déterminant dans une circonscription fédérale.
Une diminution du poids des Acadiens de la Nouvelle-Écosse
En Nouvelle-Écosse, c’est dans la circonscription actuelle de Nova-Ouest, qui comprend les régions acadiennes de Clare et d’Argyle, que la proportion de francophones est la plus importante.
Les commissaires proposent de la renommer Rive-Acadienne—Shelburne. Malgré ce changement de nom qui reflèterait davantage le caractère acadien de la région, le rapport préliminaire prévoit l’ajout du comté à majorité anglophone de Shelburne à la circonscription. Cela aura certainement pour effet de réduire le poids des francophones.
Maintenir les anciennes limites de la circonscription n’aurait même pas nécessité une déviation importante au quotient électoral. Celle-ci aurait été de -5,17 % et aurait été tout à fait justifiable en regard du principe de représentation effective. C’est d’ailleurs ce que recommande la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANE).
Il est souhaitable que les commissaires néoécossais retournent à la planche à dessin avant la publication du rapport final afin de corriger cette situation.
Dans les autres provinces, les commissaires devront être à l’écoute des représentants des communautés francophones lors des consultations sur les changements proposés afin de s’assurer que la nouvelle carte électorale respecte le droit à une représentation effective des francophones d’un bout à l’autre du pays.
Reste aussi à voir le rapport préliminaire de l’Ontario, une province dans laquelle les francophones ont un poids significatif dans plusieurs circonscriptions.
Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.