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Le dernier boulon

Petite histoire du train à Gravelbourg

Le dernier boulon
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Aujourd’hui, on ne s’imagine pas l’importance qu’a occupée le train dans le développement des communautés. Contrairement à l’Europe, où le transport des passagers par train fait partie du paysage, il y a peu de régions au Canada où il est encore une réalité. Il y a bien le couloir Québec-Windsor et un train qui traverse quelques fois par semaine le pays. Ce que l’on voit des trains maintenant, ce sont des convois interminables transportant des conteneurs, du pétrole ou des céréales. À l’époque de la fondation de Gravelbourg (1906), lorsqu’on avait besoin de divers produits, il fallait faire le voyage en chariots tirés par des bœufs vers Moose Jaw (135 km) ou Mortlach (100 km) et faire le même voyage en sens inverse. Cela représentait plusieurs jours de déplacement au lieu des quelques heures aujourd’hui. 

C’est donc avec déception que le Père Pierre Gravel vit le Canadien Pacifique construire une ligne de chemin de fer 19 km au sud de Gravelbourg, à Laflèche, en 1910. Rappelons que le Père Gravel était fier libéral, originaire d’Arthabaska au Québec, comté représenté par Wilfrid Laurier (Premier ministre du Canada de 1896 à 1911). Le Père Gravel déploya donc ses relations au sein du Parti libéral de l’époque et talonna la Canadian Northern Railway pour qu’elle bâtisse une voie ferrée dans la région. Les conservateurs prirent le pouvoir en 1911 mais le Père Gravel garda la faveur du gouvernement libéral provincial de Thomas Walter Scott et continua à développer Gravelbourg et à pousser la Canadian Northern pour avoir le train.

En 1913, les constructeurs de la Canadian Northern poussèrent leur voie ferrée jusqu’au cœur de la région. Le 30 septembre 1913, le premier train arriva à Gravelbourg. Peu d’information est disponible sur cet événement. Le juge Georges Hébert y fait référence dans son livre  Les débuts de Gravelbourg, son fondateur, ses pionniers, les institutions 1905-1965 mais il ne mentionne pas ses sources. Selon son texte, « le 30 septembre 1913, le premier train entrait dans Gravelbourg au milieu d’une population en délire. Le transport du blé à 90 milles, exécuté avec des bœufs, était un travail pénible pour les agriculteurs. C’était devenu une chose du passé, aussi les réjouissances furent-elles grandes ce jour-là. » Deux fois par semaine, les voyageurs pouvaient donc prendre le train. Peu de temps auparavant le dernier boulon du dernier rail de la ligne avait été posé plus ou moins dans l’indifférence.

La Canadian Northern bâtit également la même année la gare, au mille 78.5 de la subdivision de Gravelbourg de la ligne entre Avonlea et Neidpath. En 1920, la Canadian Northern devint le Canadian National. Jusque dans les années cinquante, la gare recevait passagers (deux fois par semaine), marchandises et courriers. Elle fut rénovée en 1937. En 1981, elle fut vendue à des intérêts privés. En 1984, la ligne fut vendue au Canadien Pacifique. De 1987 à 1999, la gare servit d’hôtel de ville.

En 2010, le Canadien Pacifique annonça l’abandon de la ligne. Le groupe Gravelbourg Hodgeville Rail Inc. avait tenté en vain de l'acheter dès 1997. La compagnie Westman Rail Ltd. d’Abbotsford, C.-B. commença l’enlèvement des rails le 30 mai 2015 à Hodgeville et un train spécial a traversé Gravelbourg le 15 août mettant ainsi fin ainsi à 102 d’histoire.

Ironiquement, les travaux de réfection des routes 58 (Gravelbourg-Laflèche) et 43 (Gravelbourg-No 2) étaient estimés à environ 30 millions. Le rail venait de perdre aux mains des camions à grain (simple, double ou triple) devant aller maintenant vers Assiniboia ou Moose Jaw pour apporter leur contenu aux immenses silos régionaux.

De cette époque ne restent que quelques photos (dont une où l’on voit les passagers pelletant pour dégager le train empêtré dans un banc de neige) et les souvenirs des plus vieux résidents de Gravelbourg. Ceux qui assistèrent à l’arrivée du premier train nous ont laissés depuis longtemps. Le dernier boulon du dernier rail a été enlevé dans une indifférence quasi totale…! Le train est mort, vive le train!