« L’agriculture est un mode de vie unique et très gratifiant»
(1). Nourrir le monde, la mission de l’agriculteur est noble et mérite d’être reconnue. Toutefois, ce mode de vie vient avec un certain prix. J’ai travaillé plus de 10 ans à titre d’administratrice rurale près de Prince Albert et, au gré de ces années, j’ai pu prendre connaissance des bas et des hauts que subissent les agriculteurs, tant au niveau familial qu’en affaires.
Les agriculteurs doivent subir un mélange de variables qui, plus que souvent, ne sont pas sous leur contrôle. Pensez aux conditions météorologiques, au marché volatil pour la vente de son produit, aux pannes des machines agricoles, aux taux d’intérêt... Beaucoup de pressions qui nuisent à une santé mentale positive ! On note plus particulièrement le manque d’équilibre entre la vie familiale et le travail, surtout durant les temps forts du cycle de la ferme qui exigent de longues heures.
À première vue, la résilience de la communauté agricole peut paraître forte. Plusieurs d’entre nous peuvent avoir cette impression, en raison notamment du profil typique d’un agriculteur qui se dessine comme étant quelqu’un de fort physiquement, qui peut tout faire, qui peut surmonter tous les imprévus. Même si la mentalité d’entraide, dans les communautés rurales, est bien vivante et reconnue, reste que les individus qui vivent de la terre sont autant susceptibles d’avoir des problèmes de santé mentale que ceux qui vivent dans les centres urbains. Et même plus !
La professeure Andria Jones-Bitton de l’Université de Guelph a dirigé un sondage national sur la santé mentale2 auprès de 1 100 agriculteurs entre septembre 2015 et janvier 2018. Les résultats sont impressionnants : 40 % des agriculteurs ont dit qu’ils se sentiraient mal à l’aise de chercher de l’aide professionnelle par crainte de ce que les gens diraient. Ceci confirme le mythe du « fermier-macho » qui peut passer à travers toutes les tempêtes, tous les imprévus et s’en sortir indemne.
De ces 1 100 agriculteurs, 35 % répondaient aux critères liés à la dépression, 45 % présentaient des signes d’un stress aigu et 58 % répondaient aux critères de l’anxiété. Ces résultats sont clairs : nos agriculteurs canadiens sont très vulnérables aux problèmes de santé mentale. Un répondant a dit : « nous ne sommes pas invincibles, sauf que nous sentons que nous devons l’être. » Un autre a mentionné : « ce qui me bouleverse le plus est que j’ai tout -- amour, famille et une ferme -- et je me sens dépassé, hors de contrôle et triste. »
Ces deux témoignages donnent un son de cloche clair. Il est temps que le dossier de la santé mentale et du mieux-être chez les agriculteurs soit ouvert… qu’on en parle. La bonne nouvelle est que 75 % des répondants ont dit que des services professionnels en santé mentale pourraient aider en périodes de difficultés. Cet énoncé semble dire que la porte est ouverte pour des services en santé mentale appropriés et visés pour la communauté agricole.
En janvier 2018, quatre agriculteurs de la Saskatchewan ont lancé un organisme national sans but lucratif qui a pour mission de changer la perception de la santé mentale en milieu agricole : The Do More Agriculture Foundation3. L’organisme est bâti sur trois piliers : la sensibilisation, la communauté et la recherche. Leur but est de défaire la stigmatisation des problèmes/troubles de la santé mentale, de contribuer à créer une communauté d’appartenance qui offre du soutien et des ressources, et assurer la recherche dans le monde de l’agriculture. Une petite parenthèse : dans un futur proche, l’organisme compte franciser leurs services pour rejoindre tous les agriculteurs au pays.
Sur son site web, l’organisme pose la question « How can you Do More ? » (Comment en faire plus ?), un beau jeu de mots qui reprend son nom. Nous pouvons répondre à cette question de la manière suivante : « parler plus, demander plus et écouter plus ». Je suis tout à fait d’accord avec cette réponse. Et ceux parmi vous qui ont suivi le cours de premiers soins en santé mentale, vous allez reconnaître les gestes AÉRIE…
En conclusion, reconnaissons avec empathie les défis que portent ceux et celles qui travaillent leurs champs pour produire des variétés de grains et de céréales ainsi que les agriculteurs qui se spécialisent dans l’élevage de bétail. Sans oublier ceux et celles qui oeuvrent dans les vergers et les jardins. À titre de bénéficiaire de vos labeurs, je vous remercie pour votre choix de vocation ! Je nous souhaite tous un merveilleux été !
1 - https://www.fcc-fac.ca/fr/ag-knowledge/knowledge/mental-health-checkups-are-for-farmers-too.html
2 - https://news.uoguelph.ca/2016/06/farmers-need-want-mental-health-help-survey/
3 - https://www.domore.ag/