Le cours de la rivière Saskatchewan Sud serpente interminablement sur 1 392 kilomètres depuis la confluence des rivières Bow et Oldman jusqu’à sa rencontre avec la Saskatchewan Nord pour se fondre avec elle et ne former plus qu’une même rivière. Mgr Alexandre Taché, archevêque de Saint-Boniface, résuma l’importance historique de la Saskatchewan-Sud en affirmant qu’elle est « à la branche nord ce que le Missouri est au Mississippi, c’est-à-dire un vassal plus puissant et moins célèbre que son seigneur ».
La Saskatchewan Sud n’a pourtant rien à envier à sa concurrente. Ses eaux sont plus puissantes, plus rapides, plus limpides. Les paysages qui encadrent son cours rivalisent avec ceux offerts aux contemplateurs du parcours moins méandreux du bras nord.
Magnifique, la Saskatchewan Sud se gorge des eaux que lui apportent ses trois sources principales : la rivière Oldman (Mokowan, ventre), la rivière aux Arcs ou Bow (Mini-Osni-Wapta, rivière au courant froid), le troisième grand tributaire, la rivière à la Biche (Was-ka-soo Sipi) ou Red Deer s’abreuve aux eaux des glaciers près du lac Louise.
Mais, venons-en aux noms. Les voyageurs du temps de la traite des fourrures la connaissaient sous le vocable Fourche des Gros-Ventres. On en conviendra, le générique « fourche » est certes inattendu, extravagant même puisqu’il s’agit d’une rivière. Cette désignation tient au fait de sa rare fréquentation par les traiteurs qui n’étaient pas dans les meilleurs termes avec les nations résidentes. De cette rivière, ils ne voyaient le plus souvent que l’embouchure.
Or, les Atsinas ou Gros-Ventres1 s’étaient établis depuis longtemps à cet endroit. Ils contrôlaient une bonne partie des terres baignées par la rivière Saskatchewan Sud et vivaient en état de tension constante avec nombre de leurs voisins.
Ces mésententes compromirent durablement leurs perspectives d’avenir. Ennemis séculaires des Cris, ils reportèrent une partie de leur agressivité sur les traiteurs en raison de leurs pratiques commerciales avec les Cris.
La plus ancienne mention du nom Gros-Ventres pour désigner les Atsinas se rencontre sous la plume de Le Gardeur de Saint-Pierre (1751) qui, comme on le sait, enjoignit Niverville à construire un fort éloigné sur la Saskatchewan lequel fort prit le nom La Jonquière.
L’appellation Gros-Ventres est le résultat d’une méprise. Les traiteurs confondirent les Atsinas (aussi nommés Gros-Ventres des Prairies) qui sont des Arapahos (ou Gens des Vaches1) et les Minitari Hidatsas (ou Gros-Ventres du Missouri). Pourquoi le nom Gros-Ventres ? Nullement en raison d’un embonpoint collectif.
Les Minitari Hidatsas arboraient un tatouage particulier consistant en deux bandes verticales parcourant le thorax et l’abdomen. Ce signe distinctif inspira naturellement celui employé en langage des signes pour les désigner. Ce signe consistait en un geste des deux mains allant de haut en bas devant l’abdomen. Le geste fut mésinterprété et on en fit « ceux ayant de gros ventres » plutôt que « ceux tatoués de deux bandes sur le ventre ».
Or, le terme Atsinas d’origine Pikunis (Pieds-Noirs) signifie : viscères. L’espace entre « viscères » et « abdomen » fut rapidement franchi. C’est ainsi que les Atsinas se virent adjugés un nom et un symbole gestuel qui ne leur appartenaient pas et qui les confondirent avec les Hidatsa.
« On a cafouillé dans la sémiotique » comme eut pu dire le regretté Umberto Ecco.
Les Atsinas nous sont connus sous une autre désignation française, Gens des rapides. Elle correspond à celle en usage en anglais Fall Indians. Elles sont toutes deux inspirées du nom Hahá-ton-wan (village des rapides) qui leur fut donné par les Assiniboines.
Selon John MacDonald of Garth, partenaire de la Compagnie du Nord-Ouest, la Saskatchewan Sud était indifféremment désignée sous les noms « Rivière des Arcs » ou « La Fourche des Gros Ventres ». C’est dire l’idée que l’on se faisait de la rivière Bow alors perçue comme véritable source de la Saskatchewan Sud. Une chronique plus détaillée consacrée à la rivière Bow paraîtra dans un proche avenir.
1. Leur autonyme est Aáninen « gens de la terre blanche ».
2. Les traiteurs et Métis employaient plus souvent les termes « vache » et « buffalo » pour désigner le bison. Présents jadis au Minnesota, les Arapahos se virent ainsi totémisés.