En cette ère de post-vérité(1), une presse libre et en santé est essentielle. Et pourtant, elle se porte mal. Le quatrième pouvoir est en danger, et ce n'est pas la multiplication des blogues et des réseaux sociaux qui compensera. Une société n'est pas qu'une addition de "moi je pense que…". Et pour en prendre le pouls, pour en rendre compte, ça prend des journalistes.
Un modèle en déclin
Au Canada, 20 quotidiens sur 120 ont mis la clé dans la porte au cours des cinq dernières années. En 2016, pas moins de 1 000 postes ont été perdus. Et tout indique que ça va continuer. C'est l'avenir d'une information de qualité, diverse et plurielle qui est en jeu.
Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, la rentabilité des journaux s'appuyait sur deux choses: les revenus générés par la vente des journaux et la publicité. Aujourd'hui, on achète moins de journaux. Pourquoi payer quand on peut trouver l'information sur le Web? Et contrairement à ce qu'on avait prévu, les revenus de publicité ne migrent pas vers les sites web des journaux. Près de 75% des dépenses publicitaires sur le Web au Canada vont sur Google, Facebook et autres plateformes numériques qui ne créent pas de contenu.
Situation préoccupante
Le Forum des politiques publiques (FPP) a rendu public, le 26 janvier dernier, un rapport percutant intitulé Le miroir éclaté: Nouvelles, démocratie et confiance dans l'ère numérique. Pour reprendre les paroles du président et directeur général du FPP, Edward Greenspon, ancien rédacteur du Globe and Mail, "Imaginez un instant une collectivité sans informations. Comme elle serait déconnectée et dysfonctionnelle !"
Quiconque en doute n'a qu'à jeter un œil chez nos voisins du Sud où le président Donald Trump mène une guerre ouverte aux journalistes qui posent des questions, font des vérifications, confrontent les gens et font du journalisme d'enquête. (Il est intéressant de noter que sur les 55 000 journalistes que comptaient les États-Unis en 2006, ils n'étaient plus que 31 000 en 2015).
Mais pas besoin de regarder si loin pour constater que non seulement la viabilité de la presse est mise à mal, mais aussi sa liberté. Selon les chiffres de Reporters sans frontières (RSF) publiés en avril 2017, le Canada a glissé de la 18e à la 22e position au classement mondial de la liberté de presse. Ce recul est attribuable, entre autres, à la mise sur écoute d'une dizaine de journalistes par deux corps policiers au Québec, à l'obligation pour un autre de remettre son matériel à la Gendarmerie royale du Canada, aux accusations pénales portées contre le journaliste Justin Brake après sa couverture des manifestations contre le projet hydroélectrique de Muskat Falls dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador.
Pistes de solutions
Le rapport du FPP, le rapport du comité permanent de Patrimoine canadien sur les médias, la Fédération nationale des communications de la CSN, le Centre d'études sur les médias de l'Université Laval... tous font les mêmes constats et ont fait des recommandations qui se recoupent.
Dans la mesure où l'on reconnaît que l'information est essentielle pour une saine démocratie, on estime que les gouvernements devraient soutenir ceux qui la produisent. Selon une étude de MCE Conseils, le Canada serait la nation qui soutient le moins la presse écrite dans le monde occidental, 1,93$ par habitant. Aux États-Unis, ce soutien se chiffre à 5,83$.2
Et il y a la fiscalité. Un espace publicitaire sur Google ou Facebook ne génère pas de taxes fédérale ou provinciale. De leur côté, ces conglomérats transfrontaliers ne paient pas d'impôt au Canada ce qui nous prive de revenus substantiels.
Le gouvernement fédéral prévoit annoncer sa nouvelle politique culturelle en septembre. Espérons qu'elle se traduira par des mesures concrètes. À ceux qui craignent qu'une aide gouvernementale accrue menace la liberté de presse, il est bon de rappeler que ce sont des pays qui soutiennent le plus les médias qui obtiennent les meilleures notes à ce chapitre, Norvège, Finlande, Suède et Danemark en tête.
(1) Le dictionnaire britannique Oxford a choisi "post-vérité" comme mot de l'année. Il fait référence «à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d'influence pour modeler l'opinion publique que les appels à l'émotion et aux opinions personnelles».
(2) À titre indicatif, les pays qui soutiennent le mieux la presse écrite sont la Finlande (92,23 $ par habitant), la Norvège (57,65 $) et la Suède (35,67 $), la France (29,26 $), le Royaume-Uni (18,17 $).