L’élection fédérale du 19 octobre prochain voit s'affronter principalement le Parti conservateur de Stephen Harper, le Nouveau Parti démocratique de Thomas Mulcair qui forme l'Opposition officielle depuis 2011, et le Parti libéral de Justin Trudeau. Pour mieux comprendre les enjeux du scrutin, nous avons interrogé trois spécialistes de la problématique francophone : Yves Frenette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada Migrations, transferts et communautés francophones à l’Université de Saint-Boniface, Winnipeg (Manitoba); Moustapha Bamba, chercheur et chargé de cours à l’UQAM, Montréal (Québec); Jeanne Lehman, présidente de l’organisme « Francophonie albertaine plurielle », Edmonton (Alberta).
Question 1 : Quels sont les enjeux qui vous préoccupent le plus et que vous aimeriez voir discutés pendant cette campagne?
Yves Frenette : Le retrait de l'État Providence et ses conséquences néfastes sur les Canadiens, particulièrement les moins bien nantis. Le non engagement des conservateurs envers les francophones de partout au Canada
Moustapha Bamba : Les questions relatives à l'intégration des immigrants à la société d'accueil sont généralement reléguées au second plan. Je souhaiterais qu'elles émergent cette année.
Jeanne Lehman : D’abord l’économie. On parle de récession et de perte d’emplois au Canada, par exemple en Alberta ou en Saskatchewan, à cause de la chute du prix du pétrole. Ensuite la cohésion sociale. Deux lois ont été votées (C51 et C24) qui créent un sentiment de rejet et d’insécurité dans les communautés issues de l’immigration. Ce type de loi existe en Europe. Cependant, connaissant les valeurs portées par le Canada en matière de diversité et de multiculturalisme, les nouveaux arrivants ne s’attendaient pas à ce que le Canada vote de telles lois. Et enfin la francophonie. Le premier débat de la campagne a ignoré une partie des Canadiens dont la première langue est le français. Le bilinguisme est un atout. Il est important que les Canadiens prennent conscience de cette richesse qui les rend si uniques par rapport au reste du monde.
Question 2 : Que pensez-vous de la durée de cette campagne ?
Yves Frenette : C'est ridicule et coûteux. Stephen Harper est désespéré. Il ne sait plus quoi faire pour être réélu.
Moustapha Bamba : Stephen Harper est fin politique. Sachant que ses coffres sont financièrement garnis comparativement à ceux des autres partis, particulièrement celui du NPD, il veut les ''asphyxier'' financièrement avant les élections. D'où l'imposition d'une campagne de 78 jours.
Jeanne Lehman : Regrettable. En période d’incertitude économique, il est incompréhensible qu’on lance une campagne qui coûtera cher aux contribuables. Autre conséquence : le fait que des décisions majeures soient mises en quarantaine pendant cette longue durée. Malheureusement, certains politiques sont déconnectés des réalités de leurs électeurs. Ce qui, à mon avis, éloigne de plus en plus l’électeur des hommes/femmes politiques.
Question 3 : Du fait de ce calendrier anticipé, les partis partent-ils tous avec les mêmes avantages et désavantages?
Yves Frenette : Les conservateurs sont nettement en avance en raison de leur caisse électorale.
Moustapha Bamba : Au plan de l’expérience personnelle, Justin Trudeau, qui a une pratique plus récente du terrain, pourrait être désavantagé comparativement à Thomas Mulcair par exemple. Celui-ci, chef officiel de l’opposition, voudra assurer une compétition directe face à Stephen Harper, lequel a passé 9 ans à la tête du gouvernement du Canada et dispose d’une expérience non négligeable. Cependant, tout ceci pourrait être modifié par les réalités du terrain au fur et à mesure que les électeurs cristallisent leurs options.
Jeanne Lehman : Le Parti conservateur dispose d’un pactole qui lui permettra de tenir le coup en matière de dépenses de campagne. Un petit parti aura du mal à assurer les dépenses. Sans parler des indépendants. Il sera intéressant de voir l’issue de cette élection. On pourra alors juger de l’influence de l’argent sur les votants.