Patrimoine canadien change les règles du jeu
Place à la nouvelle logique d’investissement
Shelly Glover
Photo : APF
Devant un comité du Sénat, la ministre Shelly Glover a évoqué le 3 mars des changements à l’appui de Patrimoine canadien (PC) aux organismes des communautés de langues officielles. Le ministère a dévoilé ses nouvelles priorités et orientations.
PC a lancé cet examen en 2013 « par souci d’efficience », a déclaré Shelly Glover, afin d’assurer que les mesures en place « répondent vraiment aux besoins des communautés ». Cette démarche rejoint les intentions du fédéral de « gérer efficacement les fonds publics » et vise à « maximiser les résultats » à partir des programmes et investissements actuels.
Le ministère s’est engagé dans le cadre de la nouvelle Feuille de route pour les langues officielles à mener cet examen en consultation avec les organismes communautaires. Ceux-ci seront informés des changements dès juin prochain, selon le ministère. Après l’examen annuel des demandes de financement à l’automne, PC « accompagnera graduellement les organismes affectés » à compter d’avril 2015.
Selon le porte-parole Pierre Manoni, du Service des relations avec les médias, l’objectif consiste à « mettre l’accent sur des services directs et ayant des résultats concrets, miser sur les secteurs-clés pour la vitalité des communautés, renforcer les réseaux communautaires pour les rendre plus efficaces et éliminer le chevauchement de certaines initiatives fédérales. »
Pierre Manoni explique qu’une première rencontre de consultation a eu lieu en novembre 2013 avec les communautés francophones et anglophones afin de présenter « des orientations possibles d’une nouvelle logique d’investissement. Les organismes consultés (avaient) jusqu’à la fin mars pour présenter leurs commentaires et recommandations. »
Le directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), Éric Forgues, se souvient de l’engagement du fédéral dans la Feuille de route. Mais il n’est pas au courant de la nouvelle approche. Le chercheur s’interroge sur les constats présentés par le fédéral.
Orientations proposées :
• continuer à financer les organismes généralistes,
• prioriser trois secteurs-clé : Jeunesse, Arts/culture/patrimoine et Médias/communications,
• appuyer les initiatives de démarchage dans d’autres secteurs selon la réalité locale des communautés,
• financer les initiatives répondant aux critères d’évaluation (desservir directement la population, bien décrire la réalité des communautés et mobiliser le secteur communautaire),
• financer les organismes qui auraient bien identifié les enjeux de langues officielles,
• intervenir en complémentarité avec les autres acteurs gouvernementaux.
Source : monassemblee.ca/cercle-de-collaboration
« Par quels moyens a-t-on conclu, lance-t-il, que certaines initiatives contribuent peu à la vitalité linguistique? C’est toujours très difficile de faire le lien entre les programmes et l’implantation dans les communautés. Quelles recherches ont été faites? »
Éric Forgues se demande aussi comment ont été établies les nouvelles orientations. « On veut que d’autres acteurs apportent un appui aux organismes, mais lesquels? On propose de nouvelles priorités, mais comment les choix sont-ils faits? Quand on fait des grands changements, comme au modèle de financement, ça devrait faire l’objet d’une grande consultation et d’une grande transparence. »
Selon Pierre Manoni, le public a été consulté sur les enjeux avant de lancer la nouvelle Feuille de route. « Les vastes consultations tenues en 2012 sont parmi les plus importantes jamais organisées sur les langues officielles au Canada. Le public a pu s’exprimer en ligne 24 heures par jour et sept jours par semaine pendant plusieurs mois. »
Mais le public n’a pas été consulté sur les solutions. « L’objectif n’est pas de consulter le public, mais bien de mener un examen avec les organismes communautaires responsables, assure le porte-parole. Patrimoine canadien attend leurs commentaires et recommandations sur les orientations proposées d’ici la fin mars 2014. »
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a décliné une demande d’entrevue, précisant qu’elle et ses membres se sont mis d’accord de ne pas commenter la proposition avant une prochaine réunion avec le ministère en avril. Douze associations porte-parole et neuf groupes nationaux sont membres de l’organisme.
Du côté de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), on s’était déjà préparé, depuis quelques mois, aux défis posés par le désengagement de l’état fédéral dans le financement des organismes communautaires. En effet, pressentant les baisses de revenus, un comité de diversification financière a été créé afin de développer des stratégies et de suivre de nouvelles pistes pour diversifier et augmenter le financement de l’ACF. Il est même question, si ce comité s’avère efficace et parvient à développer une certaine expertise dans ce domaine, de faire profiter les organismes régionaux et provinciaux de son savoir-faire.
Pour l’heure, la seule information disponible au public concernant la Feuille de route s’est trouvée pendant quelques jours sur le portail Web de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Le document présentait le projet dans le cadre d’une consultation avec les membres qui devait se terminer le 17 mars.
Éric Forgues a participé à la fin février à un forum stratégique avec les principaux organismes de la francophonie, dont la FCFA. Aucune information sur le nouveau cadre fédéral n’a transpiré, selon lui. « C’est problématique parce qu’on a établi comme communauté un modèle de partenariat avec le gouvernement. Ça ne se limitait pas à certains organismes. »
« Il y a eu des moments dans le passé, rappelle le chercheur, quand le gouvernement décidait de faire un virage sans consulter les organismes, même si on parlait de partenariat. Cette fois, il y a une participation des organismes porte-parole. Mais jusqu’à quel point cautionnent-ils le processus en participant?
« Je questionne cette approche de garder l’information et de ne pas parler de ces choses-là tant que ce n’est pas en fait décidé, souligne-t-il. On est dans un calendrier avec le ministère qui ne donne pas beaucoup d’espace pour en discuter. »
PC communiquera avec la clientèle en juin 2014, assure Pierre Manoni, « pour orienter la présentation des demandes de financement et guider les décisions de financement au cours des prochaines années. La mise en œuvre de la nouvelle logique d’investissement se fera très graduellement, au cas par cas, en tenant compte du contexte propre à chaque région. »
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