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Carol Léonard / 19 mai 2016 / Catégories: 2016, Société, Histoire et patrimoine, Les noms d'ici Le légendaire Fort La Jonquière a-t-il été érigé en Alberta ou en Saskatchewan? L’insoluble question m’a été posée une fois de plus la semaine dernière. Si la plupart des historiens s’accordent à mettre en doute la construction du fameux fort au pied des Rocheuses, où donc a-t-il été élevé ? Le fait est que l’on n’en sait trop rien. Si encore aujourd’hui certains placent le fort dans la région de Calgary, la responsabilité en revient à Benjamin Sulte (1882) qui, dans le tome VII de son Histoire des Canadiens français, 1608-1880, conclut à cette position sans en avoir fait la démonstration. Le fait est qu’il en aurait été incapable, car nous ne possédons sur la position du fort que des informations parcellaires en provenance d’une seule source. Il s’agit d’un rapport fort imprécis de la main du successeur de La Vérendrye, le sieur Legardeur de Saint-Pierre. C’est lui-même qui en exigea la construction. Voici ce qu’il écrivit : L’ordre, que j’avois donné à M. de Niverville, d’aller établir un fort, à trois cens lieues plus haut que celui de Paskoya, fut exécuté le 29 May 1751. Il fit partir dix hommes en deux canots, lesquels remontèrent la rivière du Paskoya jusqu’à la montagne de Roche, où ils firent un fort, que je nommay le fort La Jonquière, et un amas considérable de vivres, en attendant l’arrivée de M. de Niverville, qui devoit partir un mois après eux, ce qu’il ne put faire à cause d’une grande maladie qu’il eut. J’appris, par les hommes revenus de son fort, qu’il n’y avoit pas à espérer qu’il se relevât de cette maladie, à quoy j’ajoutay foy, ses forces ne luy ayant pas permis de m’écrire un seul mot1 [sic]. Départ tardif, canots chargés jusqu’au plat-bord, le faible contingent d’hommes dépêché par Niverville ne pouvait espérer se rendre très loin. En fait, il n’était dans l’intérêt de personne qu’il parcourut une distance plus grande que celle dictée par les exigences du moment. Le poste devait servir de tête de pont à une exploration ultérieure et plus lointaine. Sa construction devait répondre au vœu exprimé par les Iatcheouilini (Pieds-Noirs), les Brochets (ou « Kinousew Iriniwok »] et les Gros-Ventres [Atsinas] qui souhaitaient qu’un poste fût érigé sur un territoire fréquenté par leurs trois nations. En fait, des faisceaux d’indices concordants2 ont conduit plusieurs historiens à placer le Fort La Jonquière sur la branche principale de la rivière Saskatchewan, voire entre Pemmican Point et les rapides de Nipawi, donc vraisemblablement sous les eaux de la rivière que des barrages ont depuis gonflées le long de ce parcours. Toute possibilité d’y retrouver la trace du fort serait désormais compromise. Quant à la « montagne de Roche » mentionnée par Legardeur de Saint-Pierre, le père Antoine Champagne, spécialiste de La Vérendrye, a cru qu’il pouvait s’agir des Thickwood Hills. Ces collines de faible élévation ne sont aucunement visibles depuis la rivière Saskatchewan. Comme leur nom l’indique, elles sont fortement boisées et il ne s’y trouve ni cime ni falaise rocheuse qui puisse leur faire mériter le vocable de montagne de Roche. Les seuls noms français qu’on leur reconnaît sont : montagne Forte ou montagne de Bois fort et montagne d’Embarras. Tous ces noms font précisément référence au fait qu’elles sont densément boisées et que les pistes qui les traversaient étaient souvent « embarrassées » par des arbres renversés. Or, le vocable « montagne de Roche » correspond en tout point à un calque du toponyme cri Asinîwaciy (ᐊᓯᓃᐊᐧᒋ), nom bel et bien donné aux Rocheuses. Rien n’est plus embarrassant pour un détective que d’enquêter sur un meurtre lors même que la présumée victime jouit d’une certaine notoriété et qu’il n’y a pas de cadavre. La comparaison paraîtra excessive, mais l’incapacité à localiser un fort dont on ne peut nier qu’il a acquis une valeur symbolique est, pour dire le moins, assez contrariante. Legardeur de Saint-Pierre aurait dû être plus précis. À moins que, pour des raisons tout aussi inconnues, il préférât ne pas l’être. 1. Mémoire ou Journal sommaire du voyage de Jacques Le Gardeur de Saint-Pierre, Margry, P. (1876). Découvertes et établissements des Français dans l'ouest et dans le sud de l'Amérique septentrionale (1614-1754) mémoires et documents originaux. Paris: [s.n.], p. 637. 2. Voir à ce propos : Champagne, A. (1968). Les La Vérendrye et le poste de l'Ouest. Québec: Presses de l'Université Laval. Les forts des Prairies de la Nouvelle-France Illustration: Quebec Culture Blog Imprimer 22783 Carol LéonardCarol Léonard Autres messages par Carol Léonard Contacter l'auteur Comments are only visible to subscribers.