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Nouvelles du CÉCS

Suis-je un colon?

Auteur: Jérôme Melançon, chroniqueur – Francopresse/26 octobre 2021/Catégories: Société, Autochtones / Métis

Image
Camp de bûcherons sur l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique, 1880-1890.
Crédit : E. Sandys. Bibliothèque et Archives Canada C-011040 – Flickr

Le terme « colon » est de plus en plus utilisé par des personnes non autochtones pour se présenter et parler d’elles-mêmes. Qu’entend-on par ce terme? Qu’espère-t-on accomplir en se nommant de la sorte?

Se présenter comme colon (qui se dit habituellement « settler » en anglais), c’est tout simplement se positionner en relation aux peuples autochtones de l’endroit où l’on vit.

C’est reconnaitre qu’on s’y trouve parce que des ententes, des accords, des alliances et des traités ont été forgés il y a longtemps pour permettre aux peuples non autochtones de s’installer et de cohabiter sur un territoire défini.

Le fait de reprendre le terme signifie par ailleurs qu’on accepte la manière dont on est vu.e par les personnes autochtones : comme allochtone (non autochtone), c’est-à-dire qui vient d’une autre terre, ou plus précisément qui appartient à un groupement dont la culture et les pratiques ont été développées ailleurs. 

Être un colon, c’est une manière d’être allochtone.

Un colon au sein du colonialisme canadien

Jérome Melançon

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina.

Photo : Facebook

Autrement dit, se voir comme un colon, c’est reconnaitre qu’on participe à une entreprise de colonisation qui n’est pas terminée ; que son éducation et sa socialisation sont liées au maintien d’un ordre politique et de sa propre position au sein de cet ordre. 

Cet ordre commence avec la fiction que la terre a été cédée, donnée, échangée ou vendue, que la terre était libre pour qui voulait la prendre – que les peuples européens et le Canada qui s’est constitué à partir d’eux avaient le droit de prendre possession du territoire et ont le droit de le conserver aujourd’hui. 

On est donc loin du sens péjoratif de « colon » qui continue peut-être de rendre le mot peu attrayant.

Me dire colon, c’est reconnaitre que le Canada a dépossédé ces peuples autochtones de leurs territoires et cherche à maintenir sa possession en empêchant leur développement et leur participation à une diplomatie de nation à nation. 

C’est aussi reconnaitre que j’ai des obligations et des responsabilités liées aux traités, qui entrent souvent en conflit avec mes attentes et mes privilèges en tant que Canadien. 

Colon ou colonisateur?

Mais être un colon, ce n’est pas nécessairement être un colonisateur ou une colonisatrice. Les colons ont été utilisés par l’État canadien et auparavant par les puissances impériales britannique et française, et étaient souvent pauvres. 

Les puissances colonisatrices jouent un rôle actif et intentionnel, prennent les décisions – on parle des gouvernements, de grand nombre de bureaucrates, des compagnies qui participent à l’extraction des ressources naturelles (ce dont parle notamment le livre d’Alain Deneault, Bande de colons : une mauvaise conscience de classe), ou encore des universités qui étudient les communautés autochtones sans leur être redevables. 

Les colons font plutôt le choix d’appliquer ces décisions dans le cadre de leur vie quotidienne, le plus souvent dans l’ignorance du système qui leur permet d’être propriétaires de terres ou même d’avoir un emploi. 

Maintenir une ségrégation et une distance avec les peuples autochtones permet aux colons de maintenir cette ignorance, de ne pas penser aux peuples autochtones et de ne pas créer les liens ou la proximité qui pourraient remettre en question l’ordre colonial. 

Être colon c’est donc souvent être ignorant et de choisir de le demeurer.

La position contradictoire des francophones

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Arrivée et séjour à fort Rock, Manitoba.
Crédit : Peter Rindisbacher. Bibliothèque et Archives Canada, e008299410 – Flickr

Ce n’est toutefois pas seulement une question d’ignorance : les colons ont aussi une position à maintenir, qui peut être directement liée à la propriété de la terre. Même pour les colons défavorisés et pauvres, il y a de quoi gagner au colonialisme. 

Ce peut être le fait d’avoir un emploi, même mal rémunéré, tandis que la discrimination ou la distance de sa communauté rendent la chose difficile pour les personnes autochtones. 

Ce peut aussi être le fait d’habiter le territoire sans trop se poser de questions, comme si cela allait de soi, et sans que sa présence ne soit remise en cause par la majorité.

Les francophones ont par ailleurs une position contradictoire au sein du colonialisme canadien : les descendant·es du peuple canadien-français ont souvent vu l’impérialisme britannique limiter leurs acquis et leurs droits, et doivent aujourd’hui lutter pour les défendre et les faire respecter. Mais il n’en reste pas moins que leur droit de propriété n’a pas été remis en question et que bon nombre de francophones ont participé à l’État et au gouvernement. 

C’est sans parler du rôle névralgique qu’a joué le clergé catholique francophone, notamment dans la colonisation de l’Ouest canadien ou dans le système des pensionnats pour enfants autochtones. 

Ainsi, surtout depuis la mise en place de la politique de bilinguisme officiel, les francophones bénéficient beaucoup plus du régime politique canadien qu’ils n’en font les frais, et jouent souvent le rôle de colonisateurs.

Les personnes immigrantes, colons ou pas? 

Il existe par ailleurs un débat à savoir où se situent les personnes ayant immigré plus récemment au Canada : elles sont bien sûr allochtones au Canada, mais s’agit-il de colons ou pas? 

D’une part, il semble bien clair que des groupes présents sur le territoire canadien ou plus largement nord-américain à cause de l’esclavage ne peuvent pas être vus comme des colons. Les personnes réfugiées et plus largement déplacées ne colonisent pas, mais cherchent plutôt une terre d’asile. 

N’oublions pas non plus que même dans les cas d’immigration économique, plusieurs pratiques discriminatoires continuent une longue histoire d’exclusion, tant en matière d’accès à la propriété que d’accès aux richesses économiques. 

L’immigration contemporaine peut par ailleurs mener à une recolonisation, où celles et ceux qui arrivent d’anciennes colonies européennes se voient traité·es de la même manière que sous d’autres régimes coloniaux – vu·es comme ressources temporaires, traité·es comme citoyen·nes de seconde classe et victimes de formes de racisme semblables à celles qui visent les peuples autochtones. 

D’autre part, cette immigration plus récente ouvre aussi la porte à la propriété du territoire et, par la politique canadienne du multiculturalisme, à un financement pour le maintien et le développement de la langue et de la culture. 

Beaucoup dépend aussi du lieu d’origine et des circonstances de l’immigration : l’immigration européenne, par exemple, tend à mener les immigrant·es vers la position de colons, tandis que l’immigration africaine tend à les mener vers une position de colonisé·es, mais ouvre aussi certaines autres portes. 

La possession contre la coexistence

Se dire colon, c’est reconnaitre ce qu’on doit à l’appropriation du territoire par l’État canadien et à la protection de la loi. Il reste à voir combien de colons sont prêts à aller plus loin que cette simple reconnaissance et à remettre en question l’idée que le Canada détient « son » territoire, pour revenir à ce qui lui donnerait le droit d’y exister en tant que pays.

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (Metispresses, 2018).
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Jérôme Melançon, chroniqueur – Francopresse

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