Il y a de ces détails qui, sous des airs anodins, revêtent une certaine importance. Dans un article du Star Phoenix on apprenait qu’un couple de Saskatoon a récolté 2,5 millions de dollars à la 6/49. C’est une nouvelle, somme toute, banale. Ce qui la rend intéressante, c’est une phrase du troisième paragraphe : « The Fransaskois works for ASL Paving Ltd. in Saskatoon... »
Ce n’est pas rien. Pour camper l’identité de monsieur Michel Fournier, le quotidien ne le présente pas comme un résident de Saskatoon ou un Saskatchewannais, mais bien comme The Fransaskois. Je ne sais pas pour vous, mais ça m’a fait de l’effet. Il y a vingt ans, je ne sais pas si le Star Phoenix ou ses lecteurs connaissaient même l’existence du mot.
Une génération plus tôt, ce n’était pas évident, être Fransaskois. L’ardeur des militants réclamant nos droits constitutionnels se heurtait à la résistance de bien des francophones qui n’aspiraient qu’à se fondre dans la majorité, au point de rendre leur francophonie invisible. Mais ce n’est pas en étant invisible qu’on revendique sa place, qu’on se fait reconnaître.
Dans sa pièce L’homme invisible, le poète ontarien Patrice Desbiens illustre bien cette quête d’une identité à cheval entre deux cultures, deux langues, deux solitudes*. Il est si facile de passer inaperçu quand on possède le même vocabulaire et le même accent que ceux de la majorité. Au Québécois, au Français, trahi par son accent, on demande régulièrement ‘Where are you from?’. On ne pose pas la question au Fransaskois de Bellevue ou de Ponteix.
Heureusement, notre communauté a toujours eu en son sein des personnes qui ont réclamé notre droit de cité au sein de la majorité. Elles ont fait en sorte que The Fransaskois n’est plus un homme invisible, même pour les médias anglophones.
Il y a une question qui m’a traversé l’esprit. Si le gagnant avait été un francophone issu d’une minorité visible ou même fraîchement débarqué d’Europe ou du Québec, est-ce que le Star Phoenix l’aurait également présenté comme The Fransaskois?
Qu’on le veuille ou non, le regard de l’autre sur nous contribue à nous définir.
Note : Si vous êtes de passage à Montréal, la pièce L’homme invisible/The Invisible Man tient l’affiche du Théâtre La Licorne jusqu’au 24 octobre)