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Au nom de l'eau

Une visite au village sous la canicule

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Abdoulaye Yoh

Abdoulaye Yoh

Né en Côte d’Ivoire, Abdoulaye Yoh a étudié et vécu en France pendant 7 ans, puis vécu et travaillé à Montréal aussi pendant 7 ans. Éducateur de formation, il vit avec sa famille à Regina. Le Dr.Yoh est directeur de l’administration et des finances à la Cité universitaire de l’Université de Regina.
Lors de mon séjour au village en Côte d’Ivoire, au mois de février, il m’a été donné de voir, de sentir et de vivre de près la canicule. On pourrait dire que, venant du Canada où il fait généralement froid pendant cette période de l’année, il soit normal que j’aie chaud. Et que cela est du à un changement de continent. Non, ce que j’ai vu n'est pas un simple écart de température, mais bien une sécheresse.

J’ai vu la sécheresse de près, 3 mois au moins qu’il n’était pas tombé une goutte d’eau dans mon village, des nuits chaudes avoisinant les 30 degrés. Au village, nous avons de l’eau courante et un puits dans la cour familiale. Ce puits est ce qu’il y a de plus rassembleur, c’est ce que nous avons en solidarité, car les familles qui n’ont pas encore l’eau courante viennent y puiser leur eau. L’eau du puits est ce que nous avons en partage.

Mais, cette fois-ci, elle n’était pas au rendez-vous. Sous mes yeux, le récipient plongé dans le puits, chargé de recueillir de l’eau par des voisines, est sorti vide à leur grande déception car le puits était à sec. Cette scène qui venait de se jouer devant moi m’a rappelé le Canada où il m’arrive souvent de parler de l’eau à mes enfants. Là-bas, au village, ce que j’ai vécu ce n’était pas un discours sur l’eau ou à propos de l’eau. C’était bel et bien le manque d’eau, en vrai, en réalité. Là où tu implores le ciel et la terre pour qu’il pleuve, là où humain, tu te rends compte que la nature est plus forte. 

Je me souviendrai aussi de ce paysan qui a vu ses plantations de café et de cacao partir en fumée en raison de la grande sécheresse. Ce paysan, qui n’a aucune assurance, n’avait que ses yeux pour pleurer. D’ailleurs, ses larmes, si nombreuses étaient-elles, n’ont pu éteindre l’incendie. Sans ses plantations « qui paiera les frais de scolarité de mes enfants ? » m'a-t-il demandé.

On me dira que tout cela est passager et même cyclique, qu’il pleuvra tôt ou tard, mais est-ce la réponse que je peux donner à mon ami paysan en guise de consolation ? Est-ce qu’il suffit de lui dire de tout recommencer, de replanter et d’attendre à nouveau 10 ans avant de récolter les fruits de ses efforts ? 

Ce que j'ai dit à mes amis, à table, en France où je suis de passage en ce moment et que je répéterai à mon arrivée à la maison en Saskatchewan, c'est que : tous, nous vivons dans le seul monde possible, dans la maison et la cour communes où on ne peut se cacher ou même ériger des clôtures. Que cela nous plaise ou pas, ceux qui n'ont pas d'eau et qui ont faim se déplaceront là où il y a de l'eau. L'eau que nous avons bue ce jour là au repas en la tenant pour acquis est au commencement de la vie, son manque sera une source de tensions et de conflits.

J'ai laissé le paysan au village, mais lui et moi, plutôt lui et nous avons partie liée, destin lié. Ce qui nous lie, ce n'est pas la couleur de notre peau, mais notre humanité. Nous avons tous besoin de l’eau pour vivre. 


* Né en Côte d’Ivoire, Abdoulaye Yoh a étudié et vécu en France pendant 7 ans, puis vécu et travaillé à Montréal aussi pendant 7 ans. Éducateur de formation, il vit avec sa famille à Regina depuis 11 ans. M.Yoh est directeur de l’administration et des finances à la Cité universitaire de l’Université de Regina.