Skip Navigation

Un monde sans guerre, une utopie?

Alors que la Russie ne donne aucun signe de vouloir mettre fin à la guerre en Ukraine, le public canadien est bombardé d’images et subit les contrecoups des interruptions du fonctionnement de l’économie mondiale. Que nous le voulions ou non, qu’il y ait eu déclaration de guerre ou non, nous sommes en guerre. Étant donné notre impuissance, comment répondre à une situation qui nous rejoint dans notre quotidien? Un monde sans guerre est-il même pensable?

Nous sommes bel et bien touché·es. Reconnaissons d’abord que l’attention portée à cette guerre en Ukraine n’est pas seulement l’effet des alliances et traités qui nous lient à l’Europe, ni des liens entre les économies européennes et les nôtres.

Ce sont avant tout l’attention médiatique et la réaction des réseaux d’investissement et d’échange commerciaux internationaux qui nous touchent.

Pendant ce temps, on parle à peine de la guerre qui continue au Yémen, de celle qui a lieu en Éthiopie, des guerres au Cameroun, de la guerre que mène la France au Sahel ou encore de la guerre en Birmanie.

Pourquoi la guerre ne nous interpelle-t-elle pas toujours?

Des comparaisons rapides font surgir des questions. Lorsqu’on lit à propos de «25 ans d’une guerre meurtrière au Congo dans l’indifférence générale», c’est un appel aux dons pour l’Ukraine qui occupe la moitié de l’écran (du moins en date de rédaction de cette chronique).

Pourquoi nous soucierions-nous davantage de la fin d’une guerre et du bienêtre de ses victimes, surtout d’une guerre relativement récente, plutôt que de celle d’une autre? C’est que des attitudes et préjugés racistes font que nous nous soucions moins des guerres qui ont lieu en Afrique, comme dans plusieurs parties du monde.

La population blanche du Canada peut mieux se reconnaitre dans les réfugiés blancs ukrainiens, mais elle pourrait aussi tendre à s’imaginer que les réfugiés des conflits africains sont pauvres au départ et auraient vécu des vies entièrement différentes de la sienne. Mais c’est aussi que tout un système de relations internationales et de relations économiques amenuise l’impact de plusieurs guerres en isolant un grand nombre de pays d’une pleine participation à l’ordre économique mondial.

Le peu d’échanges commerciaux qui s’y font relativement à d’autres régions du monde, le sous-développement volontaire de ces pays autrefois colonisés par les pays colonisateurs et l’exploitation des ressources par des compagnies étrangères contribuent ainsi à la facilité pour les politiciens de se détourner de ces conflits.

Se détourner des images – et de la réalité

Dès qu’on se tourne vers une actualité qui dépasse l’horizon de notre propre pays, les guerres paraissent sans fin. Un monde sans guerre serait-il une utopie?

Il est tentant d’ignorer le problème, surtout que fixer les images fait mal et que prévoir les implications d’une participation à une guerre est inquiétant. La peur de la guerre a d’ailleurs pu faire que beaucoup en Ukraine s’en sont détournés pendant les semaines précédant l’invasion russe, ne voulant pas y croire.

Même s’il est plus difficile pour les politicien·nes et le public canadiens de se détourner de l’Ukraine que d’autres guerres, il est facile de se réfugier dans le révisionnisme historique, de s’imaginer que les choses allaient bien jusqu’à récemment et qu’on pourrait simplement y retourner.

C’est le cas du président français, Emmanuel Macron, qui a dit que l’invasion russe «portait l’atteinte la plus grave à la paix et à la stabilité dans notre Europe depuis des décennies». Et c’est aussi le cas du premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui a affirmé que «Poutine a décidé d’abolir 75 ans de paix».

Que dire alors des répressions militaires pendant la guerre froide, de Chypre, du Pays basque, de l’Irlande du Nord, des pays de l’ex-Yougoslavie où le Canada participa aux efforts de maintien de la paix… et surtout des guerres menées par la Russie en Abkhazie, en Tchétchénie et en Ukraine?

Pourquoi cette difficulté à regarder la guerre en face, ce désir d’imaginer un monde «normal», faussement pacifique?

Quand la guerre interpelle

La guerre est une sommation : un ordre venu de nulle part, une exigence ressentie. Une fois que cette interpellation est éprouvée, entendue et assumée, il nous reste à l’interpréter. S’agit-il d’un appel au combat, à la défense, dans la solidarité?

Cet appel est bien réel – le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, le répète quotidiennement. Et on y répond : certaines personnes se font mercenaires, des États offrent des millions de dollars en armes.

La distinction est bien subtile entre l’envoi de citoyen·nes pour se battre et l’envoi d’armes, entre une offensive armée qui tuerait tant de gens et la mise en place de sanctions économiques – qui toucheront toutefois beaucoup plus les gens qui n’ont rien pu décider que ceux à qui profitera la guerre (comme c’est aussi le cas des champs de bataille).

S’agit-il d’un appel à une aide humanitaire, d’une demande d’hospitalité? Tant bien que mal, les efforts des organismes charitables s’organisent, des réfugié·es sont accueilli·es par les pays limitrophes et jusqu’ici.

Ou encore s’agit-il d’un appel à la reconnaissance, à l’appui, à la condamnation? Mais à quoi servent toutes ces condamnations, ces accusations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocide, s’il n’y a aucune volonté de changer les choses?

Pourquoi même décrier le génocide en Ukraine sans réagir pour y mettre fin? Est-ce bien différent de la reconnaissance au Canada d’un génocide à la suite des rapports de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, où on arrête l’action à la reconnaissance d’un fait? Se laisse-t-on vraiment répondre à l’appel ou n’est-ce qu’une manière de l’éviter?

Sommés de mettre fin à la guerre

Il y a aussi un appel qui nous renvoie au «plus jamais ça» qui a suivi les guerres, les charniers, les génocides du passé. Une volonté de mettre fin non pas à une guerre, mais à la guerre, à toute guerre.

L’inhumanité et l’horreur de la guerre nous interpellent, nous somment de réfléchir à ce que serait un monde sans elle, autant qu’elle nous repousse ou qu’elle nous pousse à agir.

Comme les Ukrainiens le découvrent, il y a des guerres qui ne peuvent être évitées ; comme leurs voisins le découvrent également, il y a une hospitalité que l’on ne peut pas refuser. Ce n’est sans doute pas aux limites des zones de conflits armés ni au fil des combats en leur sein que les conditions de guerres futures pourront être défaites.

Ce désir de changer les choses — changer le monde, changer la vie, ce qui les structure et ce qui rend possible la guerre — sera ainsi absent tant que nous nous boucherons les oreilles à une autre sommation, celle que le philosophe Miguel Abensour appelait la «sommation utopique».

Dans la distance à la guerre que permettent la géographie, le temps et même les trêves, les moments de repos, elle peut se faire entendre.

Contre le sens péjoratif donné à l’utopie par ceux qui tiennent aux structures, à la vie et au monde actuels, pour Abensour, l’utopie consiste en fait à remettre en question l’ordre établi et les habitudes qui semblent aller de soi.

Il demeure toujours possible de reconstituer le tissu social — mais surtout pas à partir d’un modèle préfabriqué, d’une idée toute faite d’une société à venir, et jamais entièrement à neuf! — mais en commençant par notre position et en nous laissant prendre par un désir de penser et de vivre autrement. Autrement que la guerre, ces jours-ci.

Une paix perpétuelle est sans doute une utopie, mais elle se doit d’en être une. Une manière de nous rappeler que toute guerre aurait pu être évitée, que nulle guerre n’est donc inéluctable.

L’imagination d’un tel monde en paix nous fait actuellement défaut, habitué·es que nous sommes à nous préparer pour la guerre, à répondre aux menaces externes par la guerre, à répondre aux menaces internes par la répression et par une police de plus en plus militarisée. Nous finançons tous les jours une entreprise guerrière ; l’imaginaire de la guerre est notre quotidien. Et si nous nous laissions plutôt imaginer la paix?

 

Jérôme Melançon est l’un des auteur·rices dont les textes littéraires et les œuvres visuelles se retrouveront dans le livre électronique Il y a des bombes qui tombent sur Kyiv. Anthologie pour la paix, dirigé par Thibault Jacquot-Paratte et Charlotte Lakits, aux éditions Lisvrais, disponible sous peu sur http://www.charlottelakits.com/ en échange de dons aux organismes venant en aide à l’Ukraine.

 

Image
Jérôme Melançon Crédit: Courtoisie

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (Metispresses, 2018).

Print
4020

Jérôme Melançon, chroniqueur – FrancopresseFrancopresse

Other posts by Jérôme Melançon, chroniqueur – Francopresse
Contact author

Contact author

x
Radisson... Allez! Tasse-toi...

Radisson... Allez! Tasse-toi...

Mardi 3 et mercredi 4 juin derniers, avait lieu la foire provinciale du patrimoine à la maison du lieutenant-gouverneur de la Saskatchewan. Cet endroit est le pied-à-terre de sa majesté, la reine Élizabeth II de l’Angleterre, lorsqu’elle et son mari viennent faire un tour dans notre coin de pays.

Thursday, June 12, 2014/Author: Claude Martel/Number of views (24502)/Comments (0)/

Nikolas Gélinas : Récit d’une réussite

Nikolas se dit fier d’avoir remporté le prix de la Pensée historique. Il peut l’être. Derrière ce prix, ce sont des dizaines d’heures de recherches et un investissement total dans un projet.

Thursday, June 12, 2014/Author: Alexandre Daubisse (EV)/Number of views (22850)/Comments (0)/
Réalisation d’une murale au Pavillon secondaire des Quatre Vents

Réalisation d’une murale au Pavillon secondaire des Quatre Vents

Cette murale est le fruit d’un projet pluridisciplinaire Génie-arts, qui réunit éducation artistique, sciences humaines et français en 8e année. Au cours du deuxième semestre, les élèves ont produit une murale, un texte de création littéraire et un travail de recherche afin de répondre à la question : « Quel est le vécu et l’héritage des Fransaskois dans le patrimoine canadien à travers le temps? ». 

Thursday, June 12, 2014/Author: Alexandre Daubisse (EV)/Number of views (28728)/Comments (0)/
Juges unilingues à la foire du patrimoine

Juges unilingues à la foire du patrimoine

Les Francophones ont-ils toutes leurs chances?

La phase finale des foires du patrimoine 2014 a eu lieu les mardi et mercredi, 3 et 4 juin derniers, à la Maison du Gouverneur. Plusieurs projets francophones étaient en lice pour la finale provinciale, mais une seule juge bilingue était présente, ce qui a contraint le candidat des écoles du CÉF, dont le projet était en français, d’improviser une présentation en anglais pour défendre ses chances. Pourquoi?

Thursday, June 12, 2014/Author: Alexandre Daubisse (EV)/Number of views (26787)/Comments (0)/
Fête des finissants à Zenon Park

Fête des finissants à Zenon Park

Briller dans le monde comme l’étoile dans la nuit

C’était le 24 mai dernier, une fête extraordinaire pour des finissants extraordinaires. Après 12 ans de scolarité, familles et amis étaient réunis afin de célébrer leur succès, leur engagement, les projets et les rêves de Karie-Anne Lépine, Wiliam Arty et Andréa Perrault.

Thursday, June 12, 2014/Author: Amy-Valérie Olivier – CÉF/Number of views (27275)/Comments (0)/

Un groupe de parent réclame du sang neuf au CSF

Entretien avec Alpha Barry du regroupement des parents anciennement silencieux

Selon Alpha Barry, les parents anciennement silencieux comptent 105 membres à Regina, Saskatoon, Ponteix, Gravelbourg et Moose Jaw et sont de plus en plus nombreux. Les membres sont les parents et grands-parents des clients et futurs clients du Conseil des écoles fransaskoises (CÉF).

Thursday, June 12, 2014/Author: Alexandre Daubisse (EV)/Number of views (24595)/Comments (0)/
Les Bout'Choux DayCare: nouvelle garderie en milieu familial

Les Bout'Choux DayCare: nouvelle garderie en milieu familial

Samedi 14 juin, de 15 h à 18 h, madame Saïda Chehaima ouvrira officiellement sa garderie familiale francophone. Elle pourra accueillir jusqu’à huit enfants, de quelques semaines à six ans.

6/14/2014 3:00 PM/Author: Alexandre Daubisse (EV)/Number of views (22492)/Comments (0)/

Francine Proulx-Kenzle se prononce sur la situation du CSF

Il faut dialoguer et rétablir la confiance

Comme mamie fransaskoise, je suis très inquiète pour l’avenir de l’éducation en français dans notre communauté. Je reconnais que les défis sont nombreux et importants. Comment faire pour les relever?

Wednesday, June 11, 2014/Author: Francine Proulx-Kenzle/Number of views (18461)/Comments (0)/
Récital de musique à l’école Providence de Vonda

Récital de musique à l’école Providence de Vonda

À la veille de la fin de l’année scolaire, des élèves de l’école Providence de la prématernelle à la 6e année ont offert un spectacle de très grande qualité à un public venu nombreux.

Wednesday, June 11, 2014/Author: Abdoul Sall – ACFT/Number of views (25629)/Comments (0)/
Un réseau pancanadien francophone court-circuité?

Un réseau pancanadien francophone court-circuité?

Alphabétisation et compétences essentielles

Après un an de silence, le ministère d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) a rendu sa réponse. C’est non à l’éducation aux adultes francophones et acadiens par les francophones et Acadiens. Un non sans explications qui met en péril l’existence même des réseaux d’alphabétisation et de compétences essentielles (ACE). 

Tuesday, June 10, 2014/Author: Lucien Chaput (Francopresse)/Number of views (24917)/Comments (0)/

Soirée « arts et spectacle » au PSQV

Les élèves du Pavillon secondaire des Quatre-Vents, en partenariat avec l’Association canadienne-française de Regina, invitent le public à participer à leur soirée « Arts et spectacle ». Ce sera vendredi le 13 juin prochain de 17 h à 19 h, au Carrefour Horizon
(1440 9e Avenue Nord, Regina).

6/13/2014 5:00 PM/Author: ACFR/Number of views (12269)/Comments (0)/

Le culte du silence

Le culte du silence devient de plus en plus la norme.  Du moins en public.  Au lieu de parler ouvertement, on rumine en silence. Et le mécontentement croît.  

Thursday, June 5, 2014/Author: Jean-Pierre Picard/Number of views (23057)/Comments (0)/

Les 7e années de Mgr de Laval changent d’école

Le Pavillon secondaire des Quatre Vents de l’école Laval (PSQV) à Regina accueillera les élèves de la 7e année à la rentrée 2014.

Thursday, June 5, 2014/Author: Conseil des écoles fransaskoises/Number of views (21935)/Comments (0)/
La PÉLEC : une solution pour le sous-financement des écoles fransaskoises?

La PÉLEC : une solution pour le sous-financement des écoles fransaskoises?

La Saskatchewan pourrait emboîter le pas à l'Ontario et au Nouveau Brunswick

La Politique d’encadrement linguistique et culturel ou PÉLEC est un outil qui pourrait aider à résoudre les problèmes auxquels sont confrontés le Conseil des écoles fransaskoises (CÉF) et la province en matière de financement et de programmation.

Thursday, June 5, 2014/Author: Alexandre Daubisse (EV)/Number of views (25835)/Comments (0)/
Un héros grec au pavillon Gustave Dubois!

Un héros grec au pavillon Gustave Dubois!

Des élèves de Saskatoon ont présenté un spectacle musical

Hercule, héros de la mythologie dont les nombreuses aventures l’ont mené de la Méditerranée jusqu’aux enfers, a ajouté une tâche à sa liste déjà longue de 12 travaux : il était en effet de passage à Saskatoon pour quelques jours, du 26 au 28 mai, et a pu profiter d’un beau temps printanier digne du mont Olympe!

Thursday, June 5, 2014/Author: Alexandra Drame (EV)/Number of views (32172)/Comments (0)/
RSS
First2627282931333435

 - Saturday 8 June 2024