Français, littérature et décrochage universitaire
Entretien avec l’auteur Paul Savoie
Paul Savoie en atelier à Muenster
L’auteur Paul Savoie (à droite) en compagnie de deux des participants à la Retraite des écrivains à Muenster, Dave Turcotte (à gauche) et Jean-Marie Michaud (au centre)
Photo : Jean-Pierre Picard
L’auteur d’origine manitobaine Paul Savoie était le formateur invité de la quatrième édition de la Retraite des écrivains qui s’est tenue à Muenster du 18 au 20 août dernier. Il affirme avoir particulièrement aimé cette expérience : « C’est tellement agréable de passer plusieurs jours avec un groupe d’auteurs et de les voir évoluer ».
Comme pour bien des auteurs, il ne vit pas de sa plume même avec une quarantaine de livres à son actif. Monsieur Savoie, qui réside en Ontario depuis 35 ans, offre des ateliers dans les écoles et enseigne le français à temps partiel à l’Université Brock.
Il a accepté de partager sa vision de la perspective francophone dans le monde de l’enseignement et de l’édition.
Le français dans les écoles
D’emblée, il reconnaît l’ampleur du défi de auquel sont confrontées les écoles francophones. « Dans la plupart des écoles franco-ontariennes c’est difficile d’amener les jeunes à parler français. Dans beaucoup d’écoles les enseignants baissent les bras et quand les jeunes viennent leur parler en anglais après la classe, ils leur répondent en anglais. »
Il reconnaît cependant qu’il est possible de renverser la vapeur pour un enseignant passionné par la langue. « Il y a une enseignante à Windsor qui a vraiment réussi à motiver les jeunes à parler français. Elle a réussi à inculquer aux jeunes l’amour pour la beauté de la langue. Ses élèves sont allés à un camp d’été pour franco-ontariens et ils étaient les seuls à se parler français entre eux. C’est presqu’une sainte (rires). »
Monsieur Savoie déplore que la barre ait été baissée au niveau de la pédagogie et des exigences dans l’enseignement de notre langue. « À Saint-Boniface, les enfants de mes amis parlent le français assez bien, mais ils ont un accent anglophone que ma génération n’avait pas. On nous inculquait des notions de français bien parlé.»
C’est surtout au niveau de l’écrit qu’il se montre préoccupé. « Le français parlé est assez bon en Ontario, mais le français écrit est vraiment abominable. On a cessé d’enseigner la grammaire dans nos écoles. On met plus l’accent sur l’oral et on permet même d’écrire dans une langue plus phonétique. Les professeurs s’arrachent les cheveux. »
Selon lui, en Ontario les responsables du système d’éducation ont décidé que pour contrer le décrochage « il ne fallait pas traumatiser les jeunes » mais qu'on devait leur rendre la vie plus facile. Il trouve que l’attitude des parents face au système scolaire a bien changé également. « Quand j’étais jeune, si j’avais eu 40% je me serais fait engueuler par mes parents. Aujourd’hui les parents vont engueuler les enseignants. Le taux de dépression chez les enseignants est très élevé. Il faut avoir la couenne solide pour survivre là-dedans. »
Œuvrant dans le milieu universitaire, monsieur Savoie trouve que, malgré leurs bonnes intentions, les politiques scolaires n’ont fait que déplacer le problème de décrochage vers nos universités. « Les jeunes arrivent à l’université sans savoir écrire et ils se retrouvent avec des notes faibles. Il y en a qui font des dépressions et décrochent. Ils ne sont pas habitués à répondre à des exigences élevées. »
La littérature franco-canadienne
Même si les écoles franco-ontariennes ont baissé la barre dans l’enseignement de la grammaire, elles font tout de même de la place à l’étude de la littérature en assurant une présence aux créations littéraires franco-ontariennes. « Dans les écoles franco-ontariennes, les enseignants doivent choisir un certain nombre de livres parmi une liste soumise par le ministère de l’Éducation dans laquelle on retrouve des livres franco-ontariens. »
Monsieur Savoie trouve que dans la francophonie canadienne la littérature a acquis ses lettres de noblesse. « On est arrivé à avoir des auteurs haut de gamme qui font du travail extraordinaire. Je suis de la première génération des auteurs francophones qui ont publié hors Québec au début des années 70. » Son livre Salamandre a été le premier livre publié par les Éditions du Blé au Manitoba en 1974.
Il éprouve toutefois certaines inquiétudes pour l’avenir. « Il y a eu une autre génération qui nous a suivis qui était très riche. Mais la troisième génération est plutôt mince. Il y a quelques jeunes qui commencent à écrire, mais ils font autre chose, plus oral comme le Slam. Va-t-il y avoir une relève? »
L’édition à l’ère du numérique
Le monde de l’édition est en bouleversement avec le numérique. « Je suis de la génération où l’éditeur prenait tout en charge. Aujourd’hui la nouvelle génération développe d’autres stratégies. Les jeunes auteurs se publient sur le Web et s’occupent de leur mise en marché ». Paul Savoie souligne qu'il y a un danger à se passer d'un éditeur qui révise un texte, qui aide à le structurer, etc.. « La qualité du contenu s’affaiblit » .
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