À quoi sert un chef d'orchestre?
Un mot du directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Regina
Gordon Gerrard
Directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Regina
Photo: Gracieuseté
Il y a environ un an, alors que j’étais passager sur un long vol, je décidai de regarder le film “Whiplash”. C’est un film dont j’avais entendu parler, et qu’on m’avait conseillé de voir. Le film se passe à New York, dans une école de musique prestigieuse. Le personnage principal de ce film est un chef d’orchestre. Je suis chef d’orchestre et j’ai été étudiant dans une école de musique prestigieuse de New York, les parallèles devraient normalement vous sauter aux yeux.
Avant ce soir-là, je m’étais bien retenu de voir ce film afin de m’éviter la déception que j’aurais ressentie en le regardant, telle celle que peut ressentir un médecin ou un avocat face à des épisodes de La Loi et l’Ordre, ou Urgences. Toutefois, le temps peut paraître long sur un vol transatlantique, et le choix de films étant limité…
Dans une scène de ce film, on assiste à une séquence très dure où le chef d’orchestre lance une chaise sur un de ses musiciens qui ne peut pas jouer au bon tempo. Vous vous demandez sans doute si ces scènes se produisent dans la vraie vie. Nos salles de répétitions sont-elles des lieux où sont commis les derniers actes de maltraitance physique tolérés par notre société, et ceci au nom de l’art sacré de la musique?
Je vous répondrai en un mot : non. Mais le film pose une question encore plus intéressante : À quoi exactement sert un chef d’orchestre?
Dans l’histoire de la musique, le chef d’orchestre n'apparaît que tardivement. Les orchestres jusqu’à l’époque de Mozart étant de taille moyenne et comptant environ 30 musiciens, la notion de chef d’orchestre n’était pas encore apparue.
Mais voilà, la taille des orchestres allait grandissant avec le temps et ils comptaient jusqu’à 75 musiciens en moyenne (La symphonie numéro 8 de Mahler, appelée la symphonie des 1000, requiert 120 musiciens pour la jouer). La nécessité de se doter d’un chef d’orchestre apparaît à ce moment-là. Le pouvoir grandissant placé entre les mains d’un seul homme (rarement celles d’une femme) a malheureusement engendré l’archétype du chef d’orchestre tyrannique.
Le grand chef d’orchestre italien Arturo Toscanini avait l’habitude de briser ses baguettes et de jeter ses partitions sur ses musiciens. Il existe encore bien d’autres exemples dans les on-dit des annales d’orchestre. Heureusement, cette époque est bel et bien révolue. Les meilleurs concerts de nos jours sont le fruit d’une collaboration sincère entre chef et musiciens; ce dont vous me voyez fort reconnaissant.
Au sens le plus large, il incombe à l’orchestre de communiquer des émotions, et, comme c’est le cas dans bon nombre d’organisations, une seule personne doit se charger de coordonner les efforts de chacun. Les décisions que je prends quant aux nuances (piano ou forte), au tempo (largo ou vivace) et au phrasé (les courbes sonores que la musique produit) ont pour but d’amener les intentions des grands compositeurs jusqu’à vos oreilles.
Les gestes que les chefs d’orchestre font peuvent parfois paraître mystérieux, voire incompréhensibles, mais sachez qu’ils sont choisis précisément pour optimiser l’impact émotionnel de chaque morceau.
J’ai toujours l’espoir que lorsque les membres de l’orchestre que je dirige jouent un morceau de musique, que ce soit du Bach ou bien les Beatles, vous, les membres du public, ressentiez quelque chose. La nature des émotions que vous ressentez m’importe peu, tant que ces émotions vous transportent dans un autre état que celui dans lequel vous êtes arrivés. Si j’ai arrangé les choses de telle sorte qu’avec l’orchestre nous accomplissions cette tâche ensemble, alors je considère que j’ai atteint mon but en tant que chef d’orchestre.
Je tiens à vous rassurer : aucune chaise n’a été lancée pendant nos répétitions!
* Gordon Gerrard est le directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Regina.
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