Justice en français : une position fédérale incompréhensible
Un professeur de droit de Moncton appelle ses collègues à se mobiliser
Me Allan Damer
« Il est impossible de comprendre comment le bilinguisme ne peut pas être une compétence de base essentielle à la Cour suprême ».
Photo : Archives de Francopresse (2014)
La retraite du juge manitobain Marshall Rothstein de la Cour suprême relance la controverse sur la nomination de juges par Ottawa. Récemment, c’est un juge unilingue qui a été nommé à la Cour d’appel au Nouveau-Brunswick. La tradition d’une représentativité égale des communautés de langue officielle n’a pas été respectée, deux fois de suite.
Le problème est récurrent dans la magistrature fédérale, qui comprend la Cour suprême du Canada. Le premier ministre Harper a refusé de considérer la maîtrise des langues officielles comme compétence de base des candidats, faisant échec au large consensus national sur la question, incluant l’Association du Barreau canadien.
La Fédération des associations de juristes d’expression française relance donc ses griefs. Son président Allan Damer note que « le bilinguisme législatif a évolué à un point tel au Canada qu’en plus d’avoir des lois fédérales en versions française et anglaise, environ 70 % des Canadiens vivent dans des provinces ou territoires régis par des lois ayant des versions française et anglaise.
« Puisque les juges sont appelés à interpréter les deux versions de toutes les lois fédérales, ainsi que celles des très nombreuses lois provinciales et territoriales bilingues, note-t-il, il est impossible de comprendre comment le bilinguisme ne peut pas être une compétence de base essentielle à la Cour suprême. »
La Fédération affirme qu’en plus de brimer le droit des justiciables francophones, l’absence de capacité bilingue au plus haut tribunal est alarmante puisqu’elle remet en cause « le principe fondamental de l’égalité du français à celle de l’anglais au niveaux judiciaire et législatif, qui date de 1867. »
L’Association des juristes d’expression française du Manitoba presse Ottawa de nommer un remplaçant bilingue au juge Rothstein. Sa présidente, Aimée Craft, rappelle que de nombreux juges fédéraux sont bilingues dans les trois provinces des Prairies[1].
« Le degré de bilinguisme de la magistrature du Manitoba est tel qu’il est maintenant possible d’être entendu et compris en français devant les divers tribunaux sans l’aide de traduction ou interprétation. L’AJEFM trouve inconcevable que les justiciables pourraient être mieux compris en français à la Cour d’appel du Manitoba qu’à la Cour suprême du Canada, qui se dit officiellement bilingue ».
Le professeur de droit de l’Université de Moncton, Michel Doucet, considère qu’il s’agit d’une question de respect pour les communautés de langue officielle. L’avocat encourage ses collègues à se mobiliser. « Tous les juristes francophones et anglophones qui croient dans le principe de l'égalité devraient signer une lettre au premier ministre et au ministre de la Justice pour dire comment ils sont déçus qu’on n’ait pas tenu compte de la réalité linguistique. » L’administration Harper n’a pas fléchi sur la question durant ses neuf ans au pouvoir.
La prochaine retraite attendue au plus haut tribunal sera celle de la juge en chef Beverly McLachlin, qui aura 75 ans en 2018.
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