Des divisions au détriment des francophones
En contexte de gouvernement minoritaire, il n’est pas surprenant que les libéraux fédéraux rencontrent des défis pour faire adopter des projets de loi. Ce qui l’est plus, ce sont les coups qui proviennent de leur propre camp.
Le projet de loi C-13 parrainé par la ministre libérale fédérale Ginette Petitpas-Taylor, qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles (LLO), comporte plusieurs avancées significatives pour les francophones de l’extérieur du Québec. L’aboutissement de cette réforme, entamée en 2018, est attendu avec impatience depuis plusieurs années.
Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à des scènes rarissimes lors desquelles des députés libéraux montréalais, notamment Marc Garneau, Emmanuella Lambropoulos et Anthony Housefather, ont remis en question publiquement le projet de loi, issu de leur gouvernement, au nom de la protection de la minorité anglophone du Québec.
Ces élus en ont particulièrement contre la reconnaissance au sein d’une loi fédérale de la Charte de la langue française du Québec qui fait du français la seule langue officielle de cette province.
Les députés libéraux du Québec Emmanuella Lambropoulos, Marc Garneau et Anthony Housefather se sont opposés la mention de la Charte de la langue française dans la future Loi sur les langues officielles.
Crédit : Courtoisie
À noter qu’il ne s’agit pas de la seule référence à une législation provinciale dans le projet de loi C-13. Ce dernier reconnaît également l’égalité de statut entre les communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick.
Désinformation et exagération
Les trois députés dissidents n’hésitent d’ailleurs pas à faire dans la désinformation et l’exagération dans leur tentative de torpiller C-13.
Dans un texte publié sur son site Web le 16 février, Marc Garneau justifie ses positions en citant, entre autres, une proposition d’amendement du Bloc Québécois voulant qu’en cas de conflit entre la loi fédérale et la Charte québécoise de la langue française, cette dernière prévale.
Or, le 7 février, le président du Comité des langues officielles a jugé cette proposition d’amendement irrecevable au motif qu’elle dépassait la portée du projet de loi.
Pour sa part, Emmanuella Lambropoulos a fait référence à une grand-mère de sa circonscription qui n’aurait pas été en mesure d’être servie en anglais par un médecin bilingue de Montréal. Cette histoire ne tient pas la route, car la législation québécoise stipule clairement qu’il est possible de recevoir des services de santé dans la langue de son choix.
Pas une surprise
Ces députés dissidents ont pourtant fait campagne en 2021 sous la bannière d’un parti qui reconnaissait le statut asymétrique du français et de l’anglais au Canada.
Le discours du trône de 2020 souligne la situation particulière du français au Canada et « la responsabilité [du gouvernement] de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec ». Ce passage a d’ailleurs été repris dans la plateforme électorale du Parti libéral l’année suivante.
De plus, la première mouture de la modernisation de la LLO, le projet de loi C-32, contenait aussi une mention à la Charte de la langue française du Québec. Il est mort au feuilleton au moment du déclenchement des élections générales de 2021.
Alors, pourquoi cette campagne de dénigrement du projet de loi C-13 ? Les personnes qui ont fait le choix de se présenter dans l’équipe libérale fédérale l’ont fait en connaissance de cause. Si elles n’étaient pas à l’aise avec le contenu de la plateforme électorale et les engagements de leur parti, elles auraient pu laisser leur place à quelqu’un d’autre.
Union ou désunion ?
Après plusieurs jours mouvementés mettant en lumière des divisions dans les rangs libéraux, le mot d’ordre semblait être le retour à l’unité.
Après une réunion du caucus provincial le 8 février, le lieutenant du gouvernement fédéral pour le Québec, Pablo Rodriguez, a affirmé que l’ensemble des membres s’en allaient désormais « dans la même direction », soit vers l’adoption du projet de loi C-13.
Toutefois, quelques jours après cette déclaration, le ministre Marc Miller a indiqué qu’il ne savait pas s’il voterait en faveur du projet, faisant fi du principe de solidarité ministérielle.
Ce principe veut que les membres du cabinet, une fois au courant d’une politique du gouvernement, doivent la défendre ou, à tout du moins, ne pas la remettre en cause, et voter en faveur de celle-ci. La solution pour un ministre qui souhaite aller à l’encontre de son gouvernement est la démission.
À la suite des déclarations ambiguës de son ministre Miller, Justin Trudeau a d’ailleurs confirmé que le vote sur le projet C-13 ne dérogera pas à ce principe, et que tous les ministres devront voter en faveur.
Le simple fait que le premier ministre ait eu à rappeler aux membres de son cabinet qu’ils doivent appuyer un projet de loi gouvernemental est symbolique de la division interne chez les libéraux.
Un besoin de leadership
Au cours des dernières semaines, des députés montréalais du « West Island » ont recentré les discussions autour du projet de loi C-13 en fonction de leurs préoccupations.
Pendant ce temps, les réalités des communautés francophones de l’extérieur du Québec sont reléguées au second plan. Ce sont pourtant ces communautés qui, depuis cinq ans, travaillent de pair avec le gouvernement pour en arriver à ce projet de réforme ambitieux.
Il est temps d’envoyer un message d’unité au sujet du projet de loi C-13. Il y a quelques semaines, sur Twitter, le député franco-ontarien Francis Drouin a dénoncé, à juste titre, « le show de boucane » de ses collègues.
Pour sa part, le député libéral acadien Serge Cormier a dénoncé les « petits jeux politiques » et l’obstruction de la part des députés de tous les partis, y compris du sien.
Toutefois, d’autres élus, comme la Franco-ontarienne et présidente du Conseil du Trésor Mona Fortier, sont plus hésitants dans leur appui, n’ayant pas clairement appuyé le projet de loi de sa collègue aux Langues officielles.
Le caucus libéral compte près d’une quinzaine de députés francophones de l’extérieur du Québec. Plusieurs occupent des postes influents, tels les ministres Dominic LeBlanc du Nouveau-Brunswick, Dan Vandal du Manitoba et Randy Boissonnault de l’Alberta.
Qui plus est, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, est l’ancienne titulaire du dossier des langues officielles.
Tous ces élus devraient se rallier publiquement et sans équivoque autour de leur collègue Ginette Petitpas-Taylor et de sa réforme pour envoyer un message d’unité et rappeler l’importance de C-13 pour l’avenir des communautés francophones d’un bout à l’autre du pays.
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