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La COVID-19 fera-t-elle bondir les prix des aliments?
Marc Poirier – Francopresse

La COVID-19 fera-t-elle bondir les prix des aliments?

Sylvain Charlebois

Sylvain Charlebois

Sylvain Charlebois, le chef d’équipe du Rapport canadien sur les prix alimentaires à la consommation (2018), est professeur à l’Université Dalhousie.
Crédit : courtoisie
FRANCOPRESSE – Quels seront les effets à moyen et long terme de la crise de la COVID-19 sur les prix des aliments? Même les experts ont de la difficulté à répondre avec précision à cette question, tellement il y a d’éléments qui entrent en jeu : prix du pétrole, hausse des frais d’exploitation et des salaires dans les épiceries, restrictions de mouvement aux frontières, etc. Ils ont quand même accepté de jouer le jeu.

En décembre dernier, l’Université de Dalhousie en Nouvelle-Écosse et l’Université de Guelph en Ontario soulignaient dans leur rapport annuel que les prix des aliments allaient connaitre, en 2020, une augmentation allant de 2 à 4 % en général, et de 4 à 6 % pour les viandes.

Les deux institutions ont fait une mise à jour (en anglais seulement) de ces prévisions la semaine dernière, en raison de la crise sanitaire. Verdict : les prévisions globales pour les prix des denrées alimentaires ne devraient pas changer.

Mais l’un des auteurs de la mise à jour, Sylvain Charlebois, souligne que sa grande inquiétude, c’est la frontière américaine. Le professeur et directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université de Dalhousie affirme que l’épisode récent — et résolu — de l’envoi de masques au Canada n’augure rien de bon.

«Une fois qu’on décide de jouer la carte protectionniste pour tel produit, les aliments pourraient être les prochains. C’est un peu inquiétant. Au niveau du maraicher, on pourrait être lourdement handicapé, de même que pour les produits du “centre du magasin” (conserves, pâtes, produits non périssables, etc.)», explique-t-il.

160 millions de litres de lait à la poubelle

Déjà, l’augmentation prévue de 4 % pour 2020 représentait le double des prévisions précédentes.

Puis, on a été témoin récemment de l’obligation de producteurs laitiers de jeter d’énormes quantités de lait, en raison d’une forte diminution de la demande. Selon Sylvain Charlebois, d’ici la fin de la crise, c’est environ 160 millions de litres de lait qui pourraient être perdus au Canada. «C’est 250 millions de dollars de lait au détail», fait-il valoir.

Mais pour l’instant, les augmentations se situent à ce qui avait été prédit en décembre.

Dans le rapport, les chercheurs des universités Dalhousie et Guelph notent toutefois avoir reçu certaines informations faisant état d’une «hausse spectaculaire» des prix de la viande au détail dans certaines régions du pays, soit de 10 à 15 %. «Nous pensons cependant que certaines coupes de qualité qui seraient normalement vendues aux restaurants et autres services alimentaires sont désormais vendues au détail, mais à un prix élevé», indique Sylvain Charlebois.

Mais il s’agit là de situations ponctuelles ou régionales.

Diminuer sa consommation de viande

L’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADAQ) conclut également qu’il n’y a pas eu de hausse significative du prix des viandes depuis le début de la pandémie, sauf quelques cas isolés qui se sont réglés rapidement.

La mise à jour rapporte que certaines augmentations de prix injustifiées ont été signalées ici et là au pays, mais on juge «très improbable» de voir des augmentations de prix abusifs.

Selon Sylvain Charlebois, il y a moins de promotions offertes actuellement. Les circulaires semblent avoir diminué, probablement parce que les épiciers sont trop occupés à s’assurer que leurs tablettes soient pleines. Il ne faut pas s’attendre non plus à de grands rabais au cours des prochains mois.

Pour ce qui est du long terme, le Conseil des viandes du Canada affirme qu’il est trop tôt pour se prononcer. De son côté, Sylvain Charlebois appelle à une diminution de la consommation de viande.

«Avec la pandémie, on va vivre un ralentissement économique assez sévère. On parle d’une grande récession, probablement une dépression. Normalement, quand on vit quelque chose comme, ça, les gens vont dépenser beaucoup moins en nourriture. Ils vont manger moins de viande, moins de fruits de mer. Il va y avoir moins d’argent dans le système, c’est difficile de penser que les prix vont augmenter. C’est là qu’on s’en va.»

Mais il pourrait y avoir une pression à la hausse sur les prix en épicerie en raison de l’augmentation des frais d’exploitation pendant la pandémie : nettoyage, installations de protection pour les personnes aux caisses, augmentation des salaires accordées aux employés.

D’ailleurs, le rapport estime que plus de 250 000 employés travaillant dans plus de 5000 magasins au pays ont reçu une augmentation de salaire depuis le début de la pandémie. C’est un avantage pour les employés, mais Sylvain Charlebois rappelle que la note sera refilée aux consommateurs.

La FAO veut éviter la crise alimentaire

Les prix des fruits et légumes et de certains autres produits importés pourraient cependant augmenter davantage si le prix du pétrole continue de chuter ou se maintient à son bas niveau actuel, entrainant une baisse de la valeur du dollar.

Sur le marché canadien, la chute des prix du pétrole a l’effet inverse, puisqu’elle diminue les frais de transport. Mais cet impact positif prendra plus de temps à se concrétiser sur l’étiquette.

Sur la scène internationale, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) croit qu’il est possible d’éviter que cette crise sanitaire ne se transforme en crise alimentaire, à condition que des mesures soient prises rapidement pour préserver les chaines d’approvisionnement alimentaire mondiales.

«La fermeture des frontières, les mesures de quarantaine et les perturbations des marchés, des chaines d’approvisionnement et des échanges commerciaux pourraient restreindre l’accès des populations à des ressources alimentaires suffisantes, diverses et nutritives, en particulier dans les pays durement touchés par le virus ou déjà touchés par des niveaux élevés d’insécurité alimentaire», peut-on lire sur le site Web de l’organisation.

La FAO souligne aussi qu’au cours des semaines à venir, le système alimentaire mondial sera testé et mis à rude épreuve. Mais ce n’est pas le temps de céder à la panique pour autant, dit la FAO. «Au niveau mondial, il y a assez de nourriture pour tout le monde.»

Du côté du ministère de l’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), on se veut également rassurant. La production alimentaire est abondante au pays. Le système de distribution fonctionne normalement.

Le système alimentaire du Canada est sécuritaire et stable, assure le ministère. «Nous produisons de la nourriture en abondance et nos producteurs agricoles et nos transformateurs sont parmi les plus productifs au monde», écrit AAC dans sa fiche d’information sur la COVID-19.

Comme dans bien des domaines, il est très difficile de faire des prévisions précises. Les paramètres peuvent changer, et de nouveaux facteurs imprévus peuvent toujours s’ajouter à l’équation.

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