De passage à la salle The Artesian à Regina le 6 novembre dans le cadre du Coup de cœur francophone, le conteur et chanteur québécois Fred Pellerin a déclenché une avalanche de rires et de réflexions avec son spectacle Un village en trois dés, qui met en scène les désormais légendaires personnages de Saint-Élie-de-Caxton.
Les billets se sont vendus comme des petits pains chauds dès leur sortie virtuelle. Son nom était sur toutes les lèvres francophones de Regina et des alentours, proches et éloignés.
Les rumeurs de « guichet fermé » se sont confirmées aux petites heures de la semaine et l’effervescence était palpable dans les conversations du quotidien : « As-tu réussi à avoir un billet ? »
Ceux et celles qui n’avaient justement pas « réussi » à obtenir le siège sacré baissaient la tête en signe de défaite ou, au contraire, le visage des plus chanceux se fendait en un sourire à peine dissimulé par un masque.
Les dés sont lancés
Le conteur Fred Pellerin est de passage en Saskatchewan à l’occasion du Rendez-vous fransaskois avec son spectacle Un village en trois dés.
Crédit : Marie-Reine Mattera
Et puis, le jour tant attendu est arrivé. Les cloches ont sonné, rassemblant dans la petite salle de spectacle, anciennement paroissiale, des ouailles fransaskoises aux oreilles tout ouïe. Les bancs craquaient sous le poids de la fébrile attente, celle des premiers pas sur scène, lorsque les lumières baissent avant de briller pour dévoiler le clou du spectacle planté en son centre.
Enfin, après quelques mots bien placés de la pétillante Shannon Lacroix, agente des communications au Conseil culturel fransaskois (CCF), pour présenter le poète-conteur, et quelques poussières de retard sur l’horaire, il a fait son entrée, sans plus de préambule, devant une assemblée d’ores et déjà conquise.
Le brouhaha ambiant a fait place au silence. Le « Silence » avec un grand « S », celui de la chanson du même nom : « M’en va t’emmener où c’est silence, pour entendre juste la murmurence de ta voix… »
Seul sur scène, se tenant debout, avec chaise et guitare à portée de corps, accompagné d’une tasse de jus de pommes, élixir de jouvence par excellence, Fred Pellerin amène le beau monde rassemblé dans un joyeux pèlerinage, ponctué d’humour et d’amour, et d’une poignée de chansons choisies.
Un petit air de village universel
Le roman Un village en trois dés de Fred Pellerin, publié en 2019 chez Sarrazine Éditions
Crédit : Sarrazine Éditions
On est au commencement de Saint-Élie-de-Caxton et « comme au théâtre, il faut se taire », les dés sont jetés, les jeux sont faits, on ne peut plus reculer. Défilent sur scène une brochette de personnages plus grands que nature, puisés à même la grande mosaïque universelle de l’humanité.
Du curé à la postière, en passant par la femme du village à la jambe légère et son mystérieux poupon, ou encore le barbier, le forgeron et sa fille émotive et la veuve éplorée mais bien vivante, leurs histoires, tricotées serrées, sont exposées dans l’ancienne petite chapelle, provoquant des fous rires ardents.
Les pérégrinations de l’imagination dépeignent les balbutiements, bien réels, d’un petit village à l’aube de son premier jour, non sur terre mais sur papier. Le commencement n’est pas toujours le début et ce questionnement existentiel taraude le conteur. À quel moment peut-on se déclarer communauté ?
Le village de Saint-Élie-de-Caxton est officiellement né le 12 avril 1865, par les voies sacrées du sacrement. S’ensuit une saga humaine et romanesque qui dépeint la vie d’une époque entremêlée de l’emprise de l’église, des croyances et des rêves de villageois aux prises avec les défis de leur temps.
La foule était prête pour le voyage, en partance pour un village et ses villageois. C’est que le conteur a le don d’extraire de l’ordinaire un jus extraordinaire aux saveurs familières et universelles.
Entre conte et conférence
La ribambelle de protagonistes est autant d’archétypes qui viennent brasser les tripes et communier les âmes. Le propos du conteur est profond, fouillé et fondé sur les volumes archivés et « envoûtés », gardés sous clef par Odette, la gardienne de la voûte du village, et lui donne ainsi des allures de conférence à mi-chemin entre la sociologie, l’anthropologie et la poésie.
Mais le conte rattrape vite la réalité et « l’envoûtement » fait place à l’enchantement. Les ancêtres, particulièrement ceux de Fred Pellerin qui sait les faire parler, sont plus volubiles que les volumes et dévoilent les vérités du cœur pour lesquelles la mémoire humaine, si elle n’est pas la plus fiable, est sûrement la plus authentique.
Pour le plus grand plaisir des fidèles, le très attendu conteur québécois aura donné à la communauté fransaskoise, le temps d’une soirée, le droit de rêver, de rire et de réfléchir dans un esprit de communion et d’unisson.