Marie-Claire Marcotte dans Ma Irma
Photo: LTDJ (2016)
Le 23 septembre, La Troupe du Jour lançait sa nouvelle saison avec la première mondiale de la version francophone de Ma Irma (Oh My Irma) de la dramaturge Haley McGee. Marie-Claire Marcotte réussit une performance on ne peut plus dynamique et nuancée dans le grand jeu de déséquilibre de cette pièce.
Pour atteindre sa place, le public doit traverser la scène parmi des chemises de tuxedo suspendues à une corde à linge. C’est le même trajet qu’empruntera Marie-Claire dans son rôle de Mission Bird, une femme bizarre et troublée, qui arrive traînant un bagage lourd pour s’asseoir brièvement parmi nous. Tout de suite notre engagement dans l’intrigue de cette comédie macabre s’annonce. Mission Bird se lève soudain et nous crie « Oui c’était moi, mais c’était pas de ma faute. » Serrez les fesses! On la suivra dans des recoins à la fois saugrenus et affolants à la recherche de la vérité de cette ambiguïté angoissante.
Dès la création canadienne en 2010 (et en tournée mondiale à Édimbourg, New York, Berlin, au Kosovo et en Mongolie) l’auteure/comédienne Haley McGee a reçu des critiques dithyrambiques pour l’exploration du dédale psychologique des relations entre cette protagoniste et les autres êtres qu’elle évoque et incarne. Haley a confié à Marie-Claire Marcotte la traduction de cette pièce spéciale et voilà, celle-ci prend le rôle à corps entier pour sa création française à la Troupe du jour. Sous la direction et dans une scénographie de David Granger, la production de la Troupe est à la hauteur de la production originale.
Une pièce si intensément noueuse comporte un grand défi d’équilibre entre la réalité macabre (les états mentaux des personnages et les actions qui s’en suivent) et la performance consciente de la protagoniste pour confectionner son récit (pour les amateurs de théâtre ce dernier est un exemple excellent de la « distanciation » brechtienne). La création vendredi soir semblait prendre un peu de temps pour trouver le ton juste, car la première partie, techniquement bien maîtrisée, était un peu légère. C’était peut-être une simple question d’échauffement ou peut-être un choix collaboratif entre le metteur-en-scène et l’actrice, car l’effet était renforcé par la blancheur extrême des chemises de tuxedo pendues à la corde. Je la notais parce que le texte parle souvent de taches de sang et d’une brassée de linge rose ou encore de cernes jaunes aux aisselles. La justification d’un tel choix pourrait dépendre d’un style non-réaliste (dans l’éclairage théâtral par exemple) et du thème du lavage et pourrait aussi surenchérir un contraste qui en dit long sur la stabilité mentale de celle qui raconte l’histoire.
Les quinze premières minutes ont toujours le potentiel de semer quelques frissons supplémentaires de menace dans le désordre, car certainement l’accumulation de détails farfelus nous entraîne inévitablement dans le vif du sujet : le besoin de contact authentique avec un autre et le mal qui mène une personne à se couper et même à se suicider. Il n’y avait nul doute de la justesse de tous ces éléments à partir du moment où Mission Bird se réfugie dans la garde-robe de PP: quel cocktail enivrant d’humeurs! Puis quelle audace dans la direction de s’adresser à un membre du public pour rendre à la raconteuse le simple toucher humain tant désiré. Avec cette complicité (autre type d’engagement brechtien) nous avons le droit finalement de suivre les dernières actions de Mission Bird qui ont provoqué le cri désemparé du début : « Oui c’était moi, mais c’était pas de ma faute. » L’humour devient définitivement macabre. Reste à déchiffrer la signification de la résonance sonore dans le noir à la fin de la pièce. Le silence tendu qui précédait les applaudissements révéla à quel point le public perturbé était sous le coup de l’émotion.
À la fois amusante et barbelée, Ma Irma examine une psychologie humaine trop souvent cachée. C’est un spectacle bouleversant.