Je contemple cet impressionnant port de mer qu’est devenu le havre de Saint-Jean à Terre-Neuve, un large ruban d’océan qui entre dans un fjord. Des marins français y ont jeté l’ancre avant que Jacques Cartier ne plante sa croix à Gaspé. Cet abri évoque un paradoxe… La plus vieille présence française en Amérique dans la plus jeune des provinces canadiennes…
Aujourd’hui, Terre-Neuve compte 2600 francophones environ, soit un demi pour cent de sa population. C’est bien peu. Refuge pour les navires, terre rude pour la francophonie.
C’est ici que la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne s’est réunie cette année. Quatorze ministres, soit 10 des provinces, trois des territoires et la ministre fédérale du Patrimoine, y siègent. Tous sans exception affichent la volonté de développer la francophonie. Mais la mixture dévoile un paysage plutôt raboteux quand on survole le pays à la recherche de signes d’ouverture.
Le dossier scolaire est toujours source de tension dans cinq juridictions : la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon. Il aurait été intéressant que la Conférence en parle…
On y a traité quatre dossiers : les services à l’enfance, le tourisme, les services en français et l’immigration.
L’immigration francophone retient l’attention.
De plus en plus, on la voit comme le moyen de changer le cours de l’histoire qui voudrait que la langue française vogue imperceptiblement vers des eaux troubles et des ciels obscurs.
Les francophones au pays perdent petit à petit leur poids démographique. De 25 % de la population canadienne dans les années 80, ils sont tombés à 23%. Ce n’est peut-être pas un gros déclin, mais l’évolution d’un pays se mesure en siècles.
La revanche des berceaux est terminée. Les familles nombreuses ne sont plus que souvenirs nostalgiques sur de vieilles photos écornées, en noir et blanc.
Il faut répondre par l’ouverture en accueillant les immigrants francophones. Comment faire ? En leur montrant que l’on peut vivre en français ailleurs qu’au Québec.
Les membres de la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne vont poursuivre cette démarche. Comme c’est souvent le cas dans ce type de pourparlers, on n’en dit pas beaucoup au sujet des mesures concrètes.
Les provinces et le fédéral ont néanmoins convenu de prendre ensemble la voie du développement, celle qui peut conduire au renforcement de la présence francophone sur le territoire.
Parmi les moyens pour attirer ces Néo-Canadiens, pourquoi ne pas nommer les écoles? Les immigrants pensent souvent à l’avenir quand ils quittent leur pays pour en adopter un autre. Or, cet avenir passe par les enfants.
La deuxième consultation publique fédérale sur les langues officielles se déroulait en même temps et dans la même ville que la Conférence ministérielle. La Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador y participait. Son président, Luc Larouche, avait de quoi faire réfléchir ceux qui veulent intégrer des francophones.
Il connaît une école « temporaire » vieille de 15 ans dans sa province. En face de celle-ci trône une splendide école anglophone. On se sent certainement déchiré, quand on veut que son enfant étudie en français, en choisissant entre château et cabanon.
Promettre aux immigrants francophones de belles écoles qui donneront à leurs enfants autant d’espoir en l’avenir que les meilleures écoles anglophones aurait certainement de quoi les attirer.
On ne parle plus d’intention mais de gestes concrets, de pièces à fabriquer et à assembler. Il faudrait peut-être commencer par régler les problèmes que l’on connaît déjà.
La Poile… Un nom sur la carte de Terre-Neuve. C’est loin, très loin de Saint-Jean, à l’extrémité ouest de l’île, près de Port-aux-Basques. Il y a longtemps, on écrivait La Poële. Inaccessible par la route, on s’y rend par cabotage. Des Français seraient passés par là pour baptiser les lieux à leur façon.
J’ai pensé à ce village quand Luc Larouche, a parlé de l’école qu’il veut pour ses enfants… Loin et inaccessible, et puis à ce tréma effacé, remplacé par un « i » bilingue.