Il fut un temps : Odienné
Texte de Deborah Seye
« Si un jour tu reçois cette lettre, Yohan, c’est que tout a mal tourné, que le plan est tombé à l’eau. Avant que tu ne te poses plus de questions, nous préférons te laisser comprendre par toi même…
Joseph
La première fois où je vis ta mère fut le plus beau jour de ma vie. Ses longues tresses ornées de perles d’ors descendaient en cascade le long de son dos, ses courbes côtoyaient la perfection. Son nez fin était joliment dessiné, ses lèvres légèrement rosées. Elle était grande, élancée et sa douce peau, d’un teint ébène brillait aux éclats du soleil chaud. Sombre extase du vin noir, on la surnommait. Ses fossettes mettaient en valeur son sourire narquois, les nuages orageux de ses sourcils eux, surplombaient l’océan aux perles d’azur de ses jolies amandes. Cette fille d’Ève était d’une étrange beauté. Uniquement vêtue d’or et de son plus beau pagne, honorant ses traditions, elle dansait, flottait presque au son rythmé des tam-tams sculptés. C’est doucement et en silence que je m’avançai. Le brouhaha de joie qui s’était propagé aussitôt s’arrêta lorsque tous les regards se tournèrent vers moi.
- - Qui es-tu?
- - Tout simplement, je suis moi.
Keïra
Et puis sans daigner se retourner, l’homme métis continua son chemin. Que venait-il donc faire à Odienné?
Un peu ébahi, je fis reprendre les festivités. Ce jour-là, le village était en joie, les récoltes avaient été abondantes et depuis quelque temps, Yakuza, le fleuve de la bourgade s’était calmé.
J’ordonnai aux musiciens de jouer, aux danseurs de danser et aux chanteurs de répandre leurs magnifiques chants. Petit à petit, le grand homme au sang-mêlé fut très vite oublié. Les célébrations continuèrent jusqu’à la tombée de la nuit.
C’est lorsqu’essoufflé et paniqué que mon oncle Karim arriva au village , qu’une fois de plus nous dûmes tout interrompre.
- - Oncle, oncle! Que se passe-t-il? Pourquoi vous affoler de la sorte?
- - Keïra, ô princesse, Odienné est en deuil… nos souverains sont morts. Mon cher frère a rendu l’âme.
Mis à part mes éclats de rire, plus aucun son ne pouvait s’entendre. Mes battements de cœur s’accélérant, j’eus soudain la chair de poule. J’étais confuse, tout se bousculait dans ma tête, ma nervosité et mon anxiété m’empêchaient de pleurer, seulement de rire.
Pourquoi rire? Je ne voulais pas y croire. Doucement je me ressaisis.
- - Que chacun d’entre vous regagne sa hutte!
Aussitôt, enfants comme adultes, jeunes comme vieillards, tous disparurent.
- - Comment?
- - Je n’en sais rien..
- - Votre père m’avait envoyé prendre le reste de l’or des villageois pour Yakuza. Comme d’habitude, le fleuve en demandait plus. Entre temps, vos parents étaient restés sur le pont de la falaise. J’avais dû descendre la paroi et rassasier Yakuza. Quand je suis remonté, je les ai trouvé étendues, blêmes, immobile et sans vie. Pas de sang, ni aucune trace de violence. C’était comme s’ils dormaient, mais je vous jure princesse, qu’ils sont bel et bien morts. C’est un maléfice!
- - Où sont les corps?
- - Je n’ai pas pu les transporter.
- - Dès demain, vous enverrez des hommes allez chercher les corps, je vous laisse vous occuper des funérailles.
Il acquiesça en hochant la tête.
N’ayant plus de force, je me laissai tomber tout près de Karim.
- - Oncle, je vous en conjure, promettez-moi que vous trouverez le coupable, dites-moi qu’il paiera, sanglotais-je.
Dans ses bras il me prit puis me conduisit à ma hutte. Je ne pus fermer l’œil de la nuit, j’essayais d’imaginer la suite des choses. Moi Keïra, à dix-sept ans , allait devoir régner sur les terres qui m’avaient vue naître. J’allais devoir arrêter mes apprentissages et épouser un parfait inconnu, car comme la tradition le voulait, une princesse ne pouvait devenir reine si elle n’était pas mariée. Tourmentée, je me retournai sur moi même, essayant tant bien que mal de trouver le sommeil. Je devais me montrer forte puisque maintenant, plus rien ne serait pareil.
Le lendemain
- - Silence! criais-je. Peuple d’Odienné, je vous ai réuni en ce jour pour vous annoncer une terrible nouvelle… Hier, mon oncle - m’a rapporté que mes parents ont hélas été victimes d’un maléfice. Oui, nos souverains sont décédés…
Ne pouvant continuer, Karim parla à ma place.
- - Et le coupable est ici en ce moment. Peut-être est-ce votre voisin, votre frère ou vous même. Je trouverai le responsable de - cette horreur et j’implore les dieux en avance, de bien vouloir pardonner ce que je lui ferai.
Tout à coup, un tohu-bohu de chuchotements s’éleva. Avec grande difficulté, Mamadou le vieux sage du village se leva de sa natte. En tenant fermement sa canne, il dit d’un ton méprisant :
- - Dieu a fait les blancs, Dieu a fait les noirs, seul le démon fait le métis.
- - Qu’entendez-vous par là? demanda l’étrange homme café au lait.
- - Vous avez mis pied hier à Odienné pour la première fois. Et dès votre arrivée, nos souverains meurent? Je ne crois pas aux coïncidences.
Mamadou était le sage du village et il n’avait que rarement tord, sinon jamais. Cet homme me paraissait tout à fait innocent, mais il fallait tout de même avouer que la coïncidence était bien trop grande. Avant que je ne puisse déclarer quoi que ce soit, Karim ordonna qu’on saisisse l’homme métis et qu’on le mette au cachot. Après disait-il, il s’occuperait de lui.
Les jours suivants furent longs et pénibles. Je me renfermais de plus en plus et laissait la tribu pour acquis. Chaque heure de la journée, des prétendants se présentaient à moi et fort malheureusement, aucun d’entre eux ne me plaisait. Comme je le lui avais demandé à la suite de ces tragiques évènements, Karim avait préparé les funérailles de mes parents. Me concernant, je n’avais pas eu la force de m’y présenter. Les lunes défilèrent et Odienné sombrait. Et puis un matin, alors que je me réveillai un peu tardivement, ma hutte était vide, pas même un seul garde n’y était, et je me demandais ce qui se passait. Attachant mon pagne, je regardais par la fenêtre. C’est là que je vis tous les habitants, entourant Karim. Nattes et petits tabourets s’étaient immobilisés en formant un cercle. J’avais surpris mon oncle en train de me dénigrer.
- - Cela ne peut plus continuer ainsi, disait Karim de sa grosse voix rauque. Keïra semble incapable de faire son devoir. À cette vitesse, nous pourrons dire adieu à nos terres. Elle refuse prétendant après prétendant. Personne n’est donc assez bien pour elle? C’en est assez! Voulez-vous assister à la perte d’Odienné?
C’est en chœur que tous crièrent : « Non! »
- - J’ai la solution. J’épouserai Keïra.
- - Il est hors de question que je vous épouse! Ripostais-je en m’avançant dignement vers lui. Mais avez-vous perdu la tête? Vous êtes mon oncle, le frère de mon père!
- - Exactement. Qui d’autre serait mieux placé que le frère de votre père pour régner à vos côtés?
- - Je refuse.
- - Je suis désolé princesse, mais vous n’avez aucunement le choix, s’écria Mamadou. Karim n’a pas tort, nous courons la perte d’Odienné. Le peuple a fait son choix! Demain, dès l’aube, les préparatifs se feront. Honorez vos parents, Keïra.
Joseph
Ça m’avait toujours attristé de lire sur le visage de tous, la stupéfaction à ma simple vue. Ne fallait-il donc rien de plus qu’un teint clair pour susciter l’intérêt de certains? Seulement parce que j’étais métis, j’avais injustement été jugé. Cela devait faire plus de trois lunes qu’on m’avait jetées là. Je n’avais pas eu l’occasion de me défendre et bien évidemment, personne ne voulait le faire. Mis à part le vieux sage qui m’avait accusé, je ne parlais à personne, ne voyait personne. Il m’apportait de la nourriture, de l’eau et un saut pour mes besoins. Étendue à même le sol, dans une cellule boueuse et pleine de crasse, j’entendis des cris, des cris et de grands coups… Une femme suppliait son mari de bien vouloir la laisser, elle et sa seule fierté. Cette voix m’était familière… Soudain, ce fut le silence...
Ensuite, en sourdine, un hurlement étouffé se fit entendre et puis finalement plus rien.
Keïra
Personne ne m’entendit pourtant, j’avais crié à en perdre poumons… Il m’avait anéantie et gâchée, on m’avait dérobé mon innocence. Je savais que je n’aurais pas dû le suivre, mais je devais comprendre. Depuis quelque temps, la nuit, Karim s’absentait avec un panier rempli d’or pour de longues heures, souvent mêmes, jusqu’à ce que le soleil se lève. Il revenait avec le même panier, mais complètement vide. Ce soir, j’avais décidé de le suivre. À ce moment de la nuit, Odienné était calme et paisible. Il fut facile pour l’animal qui me servait de mari de se faufiler entre cases et huttes. Il marcha pendant longtemps, je m’arrangeais pour garder une certaine distance entre lui et moi, il traversa le pont séparant le village de la forêt dense. De là, il s’arrêta tout près d’un abri d’où sortait une quantité énorme de fumé. Je fus incrédule lorsque je vis Mamadou assis au milieu des fétiches les plus terribles qui ne soient. Avant de s’asseoir en face du féticheur, Karim lui remit le panier débordant d’or. Accroupie en dessous d’un manguier, j’espionnais tout.
Les intentions de mon cher oncle avaient toujours été les mêmes… Voler tout l’or du village et ainsi, s’enfuir, vivre riche et mourir en paix avait-il confier à son complice. Mamadou tout à fait d’accord à condition d’en tirer profit avait accepté de l’aider. Qui l’eut cru? Le sage du village, maraboutant contre les personnes qui avaient tout fait pour lui, contre ses rois.
Si mes parents avaient su. Karim avait toujours gardé envers son frère une certaine rancune, une jalousie. Étant le plus vieux des deux, Karim, à la mort de ses parents devaient hériter du trône royal, mais jamais ne put car son père le jugeait trop vicieux, égoïste et imbu de lui même pour pouvoir gouverner un royaume. Mon grand-père avait préféré offrir cette tâche à son jeune dernier, le bon, l’aimable et généreux.
Roger
« Cette place de roi me revenait de droit. Qu’ils périssent dans leur tombe, ils n’auront mérité que ça! Grondait Karim. Dans un an, nous nous enfuirons avec tout l’or.»
L’inconvénient dans tout ça était Yakuza, le fleuve d’Odienné. En taxant les villageois de la sortent, Karim volait sa ration d’or à Yakuza. La légende racontait que si le fleuve n’obtenait pas ce qu’il voulait, il dévasterait le village et engloutirait tout sur son passage. Odienné appartenait à Yakuza et pour le remercier de nous avoir alloué ses terres, il allait de soi que nous lui faisons une offrande. Par la faute de deux hommes ignobles, des centaines d’habitants allaient perdre la vie.
Alors que je m’apprêtais à retourner au village, prête à annoncer cette nouvelle à tous, Karim me bondit dessus. Même dans la noirceur de la nuit, j’arrivais à apercevoir son sinistre regard. Ses yeux bruns brûlaient de fureur. Par réflexe, j’avais voulu m’échapper et courir très loin, mais ses ongles agrippés dans mon bras m’empêchaient de faire le moindre mouvement.
M’efforçant de ne pas pleurer, je lui dis :
Me rappelant que je lui devais du respect, il me gifla. Depuis ma naissance, personne, même pas mes parents n’avait levé la main sur moi. Me retenant toujours aussi fermement, il me souleva de force. J’essayais de me débattre, mais en vain. Malgré quelques griffures par-ci, des morsures par-là, Karim me retint, ne manquant pas au passage de me cogner. Il m’emmena tout au fond de la dense forêt. C’est loin des miens et de mes terres que Karim, mon oncle me vola ma pureté.
Joseph
À peine endormi, j’entendis des pleurs.
- - Tu hériteras du même sort que tes parents, dit tout à coup une puissante voix d’homme.
- - Karim, s’il n’en tenait qu’à moi, je m’enlèverais la vie. Avez-vous pensé une seconde à toutes ces familles, tous ces gens qui ont construit ce village et qui ont vécu toute leur vie ici? Si vous prenez l’or, oncle…
Elle fut coupée par une gifle.
- - Je suis ton mari et non ton oncle. Sais-tu ce que ça fait de vivre sous les ordres de son petit frère?
Avec beaucoup de mal, mais néanmoins un courage extraordinaire, la jeune femme continua :
- - Si vous prenez tout cet or oncle, Yakuza reprendra son territoire.
- - Rien de tout cela n’est mon problème. Je détruirai tout ce que ton idiot de père avait construit.
La voix féminine me semblait de plus en plus familière. C’est lorsqu’elle fut en face de moi que je la reconnus : Princesse Keïra. Partout en Afrique, son étrange beauté était sujette de toutes les conversations. L’homme sévère ouvrit la cellule et y poussa la princesse. Elle me regarda de ses yeux bleus, ils faisaient tellement ressortir son teint. Son oncle, l’appelait-elle, fit demi-tour en verrouillant la cellule. Keïra ne parlait pas, alors moi non plus. Sans un mot, je lui offris la natte sur laquelle je dormais. Dans un doux silence, elle accepta. Moi, j’allais dormir par terre. Je savais qu’elle pleurait, mais je savais aussi qu’elle avait besoin d’être seule.
Le lendemain
Keïra avait dormi toute la journée et s’était réveillée à la nuit tombée. Ce n’est que là qu’elle s’adressa à moi.
- - Je suis sincèrement désolé que vous ailliez été mêlé à toute cette mascarade.
- - Rien n’est de votre faute.
- - Qu’êtes-vous venu chercher à Odienné?
- - Et bien, la paix! Mais voyez par vous même où cela m’a mené.
- - D’où venez-vous?
- - De loin… très loin.
- - Pourquoi êtes-vous métis?
- - Le vieux sage est passé cet après-midi, il ne vous a pas laissé de nourriture, car vous dormiez, mais je vous ai gardé une partie de mon plat. Régalez-vous, et je vous raconterai.
Keïra
Joseph naquit d’une mère noire esclave et d’un père blanc. Il avait grandi au Mississippi, les cicatrices de fouet dans son dos le prouvaient bien. Sa mère était femme de réconfort et son père, un riche propriétaire de quelques hectares de plantations. Quelque temps après une furtive amourette, Jennica la mère de Joseph, tomba enceinte de lui. Elle ne s’attendait pas à ce qu’Alexandre (le père de Joseph) fasse preuve de bonne foi, mais elle espérait quand même qu’il aurait pour son bien, reconnu l’enfant. C’était une chose que d’êtres noirs au Mississippi! Joseph m’avait confié que sa mère le cachait souvent, les regards trop soupçonneux ou même trop curieux n’étaient pas les bienvenues. Puisqu’il était beaucoup plus clair de peau que les autres noirs, les blancs responsables de sa charge lui avaient donné comme rôle d’aider dans les cuisines. Tous les jours, il voyait Alexandre, mais jamais ne lui avait-il adressé la parole.
Quand il atteignit l’âge de quinze ans, il se mit à se révolter contre tous et toutes. Puis sa pauvre mère mourut. Il en avait marre de cette vie, il voulait connaître ses origines et savoir ce qu’était ce territoire que les grands hommes appelaient : « Africa.» Il forma un groupe d’autres jeunes rebelles et tant bien que mal, ils parvinrent tous à leur fin. Arrivé en Côte-d’Ivoire, il traversa le pays et se rendit tout près de la Guinée. Là-bas, il y rencontra sa grand-mère, il se présenta à elle et elle le prit sous son aile durant cinq années. Fatigué des blagues idiotes sur sa couleur, des moqueries, il quitta avec peine sa grand-mère et reprit un nouveau départ. C’est après des jours de marche, qu’il arriva finalement à Odienné.
Quel homme fort!
Suite à de longues discussions sur nos vies, nous en vinrent au plus sérieux : notre évasion. Après avoir longtemps parlé et réfléchi, nous nous étions dit que la meilleure solution était de tenter de s’échapper et de prévenir les villageois du drame qui courait.
Cinq lunes plus tard
Joseph
Ça y est, nous avions mis notre plan à exécution. Durant cinq mois, Keïra et moi avions soigneusement pensé aux moindres détails de notre évasion. Aujourd’hui, comme à l’accoutumée, Mamadou nous avait apporté nos plats. Comme il l’était prévu, juste avant qu’il ne referme la cellule, je l’assommai en lui donnant un coup de poing. Aussitôt, il tomba sur le sol. En raison de sa grossesse, j’aidai Keïra à se lever, puis finalement, à quitter les lieux. »
Keïra
C’est fou à quel point tu ressembles à ton père. Avec tes jolis cheveux bouclés et tes grands yeux bleus, ta belle peau basanée et tes petites joues qui se pincent drôlement sur ton nez lorsque tu souris. Il aurait été émerveillé à ta simple vue. Il t’a tellement attendu! Il y a beaucoup de choses qui ont changé… à l’heure où tu liras cette lettre, je ne serais sûrement plus de ce monde. Mais sache mon fils, que je t’aime et que je t’aimerais toujours. Le destin m’a séparé de mes parents, de ton père puis finalement il me sépare de toi. Je suis désolée pour tous les obstacles que tu auras à surmonter dans ta vie, pour tout les moments où tu auras besoin de moi ou de Joseph…
Je me dois de t’expliquer ce qui s’est passé.
Après nous être échappés de la prison, lentement mais sûrement, nous avancions vers Odienné.
- - Que ferons-nous s’ils décident de ne pas nous croire?
- - Et bien dans ce cas, nous fuirons et vivrons uniquement de notre amour.
Il me sourit et m’embrassa sur le front. Il glissa ses doigts entre les miens et au creux de l’oreille, me dit qu’il m’aimait. Ça n’était que des mots, mais pour moi ils signifiaient tout. Depuis la mort de tes grands parents , j’avais l’impression que plus personne mis à part ma mère n’aurait pu prendre soin de moi , plus personne mis à part mon père n’aurait pu m’entourer de ses bras chaud et rassurant. À ce point de ma vie, Joseph et toi étiez tout pour moi.
Mon village, ma nation, tout avait tellement changé. En pas moins de cinq mois, Karim avait réussi à changer ce paradis en… un rien absolu, un vide immense.. Personne malgré le soleil brûlant ne se trouvait dehors, tous devaient être dans leur case. C’était comme si le temps s’était arrêté. Aucun rire, pas même les pleurs des nourrissons. Pas de commérage de femmes, encore moins d’odeur de bons plats africains. Tout cela m’attristait terriblement.
Un a un ils sortirent tous de leur cachette.
- - Sacrilège! s’écria une voix dans la foule.
Les villageois, méfiant s’étaient assurés de garder une certaine distance entre eux et nous.
- - Elle est vivante, continua une autre voix.
- - La princesse est en vie, criaient-ils tous soudainement en répétition.
Et puis le démon apparut, mon oncle se fraya un chemin entre les habitants d’Odienné. D’un effroyable calme, il baissa la tête et semblait esquisser un sourire narquois.
- - J’ai vu mon frère ainsi que sa femme, mort. De même que j’ai vu Keïra, mon épouse morte. L’homme à ses côtés, l’assassin de vos ex-souverains, pour avoir commis ce crime a été tué. Ce sont des imposteurs, des sorciers, rien d’autre.
Les villageois furent tous surpris.
- - Il ment. C’est lui qui a tué vos rois, il compte s’emparer de tout votre or et s’enfuir. Yakuza se mettra en colère et nous mourrons tous. C’est lui l’imposteur!
- - Gardes, saisissez-les!.
Bien qu’ils aient été retissant, tous les gardes royaux nous entourèrent. Comme pour me rassurer, Joseph me prit entre ses bras et me serra très fort. Sous le regard stupéfait et surtout incompris de Karim, il déposa un baiser sur mes lèvres, sur ma joue et puis sur mon front. Il me chuchota à l’oreille :
- - Éloigne-toi, loin, très loin d’ici. Va en Guinée. Là-bas, tu y rencontreras ma grand-mère. C’est à des mois de marche, mais tu es une femme forte tu sauras te débrouiller. Je dois faire un choix… Dieu seul sait combien je t’aime… Je ne permettrai pas, je ne supporterai pas ta perte, peut-être n’aurons nous pas réussi, mais au moins toi et l’enfant seriez saints et saufs… - Je veillerai toujours sur vous. Ne dis rien, tu te rendras les choses beaucoup trop difficiles.
Il partait pour de bon… Te laissant comme seul souvenir de lui. Je ne pouvais le laisser. Dans mes bras, je le serrais comme jamais. Pleurant à chaudes larmes , je lui demandai :
- - Quand?
- - Tu sauras le moment venu, me répondit-il.
- - Je t’aime Joseph.
- - Mon amour… prend soin du bébé.
Il toucha une dernière fois mon ventre et couru subitement vers l’un des nombreux gardes nous encerclant, il lui arracha son épée et la lui planta au cœur. Tous les gardes lui sautèrent dessus en l’agrippant. Ils l’agenouillèrent sur le sol chaud. Karim s’empara de l’épée du moribond et la fit aiguiser. Entre temps, je regardais Joseph les yeux remplis d’eau. Comme pour me forcer à m’enfuir, il baissa les yeux ne laissant paraître aucune émotion sur son visage. Une fois l’épée parée à sa disposition, Karim la soutenue longuement sur sa gorge et violemment, il… il la lui trancha. Les villageois m’avaient vu partir, mais étaient restés silencieux. Certains m’avaient même caché. Une femme m’avait proposé de m’accompagner, celle que tu connais aujourd’hui sous le nom de tantine Irana. Elle ne voulait pas laisser « la reine » enceinte s’éloigner toute seule dans les dangereuses forêts…
En route vers la Guinée, après t’avoir eu, je suis tombé gravement malade. Les grands remèdes naturels d’Irana n’y ont rien changé. À l’heure où je t’écris cette lettre, il ne me reste que quelques jours à vivre, je le sens et jamais tu ne pourras comprendre que le fait d’avoir passé mes derniers instants avec toi est tout ce que j’aurai pu souhaiter. Je t’écris et tu me regardes en riant, insouciant du futur…
Tu es et seras à jamais le prince, le dernier héritier de ton peuple : Odienné.
On n'est pas orphelin d'avoir perdu père et mère, mais d'avoir perdu l'espoir.
N’oublie jamais... »
Fin
Deborah Seye
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