Horizons

Chronique littéraire publiée dans l'Eau vive

La piste

La piste

Rien ne laissait présager que cette paisible chute de neige allait se transformer en une violente tempête. Chaussé de raquettes, j’avais déjà parcouru une bonne distance sur le sentier qui serpentait vers le sommet de l'imposante montagne.

J’ai toujours aimé me promener sur le versant sud de Red Mountain, particulièrement lorsque de gros flocons se posent doucement autour de moi. Parfois ils sont si gros et l’air est si calme, qu’on croit les entendre se déposer sur le sol.

La face nord de Red a été aménagée en centre de ski, mais les autres côtés sont remplis des vestiges de l'activité fébrile d'une industrie minière qui est muette depuis plusieurs décennies. De nombreux écriteaux mettent en garde ceux qui désirent s'aventurer sur les flancs criblés de Red. Lorsque l'hiver recouvre les trous d'une mince couverture de neige, le sol peut s'ouvrir sous vos pas.

J’aime voir les ruines évanescentes dont il ne restera sans doute rien dans une autre dizaine d'années. Le bois est trop vivant pour servir de témoin à l'Histoire. Seuls quelques objets de métal survivront au-delà du prochain siècle.

Le paysage hivernal de Red est féerique. La neige réinvente les objets abandonnés sur le sol, leur donnant une nouvelle âme l'espace d'une saison.

Ce jour-là, je me trouvais sur un coin de la montagne que je ne connaissais pas encore. Les sentiers que j’explorais étaient à vrai dire des chemins nivelés pour les voies ferrées qui transportaient le minerai, le personnel et l'équipement jusqu'aux diverses bouches d'entrée.

L'hiver, je suis religieusement ces trajets qui sont une garantie de ne pas mettre le pied sur une bouche d'aération dissimulée. Les rails en ont été retirés depuis longtemps et quelquefois un arbre au milieu du chemin témoigne du temps écoulé depuis l'abandon du site.

La tempête commençait à prendre de l'ampleur. La piste du sentier devenait de plus en plus indiscernable. Le sommet était pourtant tout près, il ne suffisait que de quelques minutes de plus, malgré la lenteur de la marche en raquettes. Comme d'habitude, je tenais à terminer cette randonnée avec une pause au sommet afin de contempler, sans obstacle, le panorama des Kootenays. Mais aujourd’hui, il n’y aurait rien à voir que des bourrasques de flocons déchaînés.

Aveuglé par la neige, j’allais rebrousser chemin lorsque je vis des traces fraîches faites par des skis de fond. Celles-ci se dirigeaient également vers le sommet. Les habitués du coin aimaient l’ascension ardue de la montagne pour la récompense qu'offrait la descente subséquente. J’allais donc suivre les traces de cet habitué des lieux.

Mais le froid et le vent devenaient de plus en plus insistants et les traces de moins en moins visibles. Je décidai donc de rebrousser chemin.

Le lendemain, je voulus poursuivre la randonnée interrompue. Je retrouvai les traces presque effacées de mes raquettes et des skis. Arrivé près du sommet, je vis les traces de skis qui m’avaient guidé se terminer brusquement aux abords d'un trou sans fond. 

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Jean-Pierre PicardJean-Pierre Picard

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