La nouvelle orthographe
Micro-nouvelle d'Ian C. Nelson
Jean-Christophe est vétilleux en ce qui concerne l’orthographe. En 1989, il eut son premier rictus quand on a osé suggérer une orthographe rectifiée. Il prit immédiatement une grande gorgée de Beaujolais. « La Peste ! » éjacula-t-il.
La concoction éventuelle d’une modernisation orthographique, en 1990, l’obligea à trouver un nouveau cru sensiblement plus fort que le Beaujolais (en quantité et en teneur d’alcool). Il déchira le rapport devant l’école.
Parler de l’Académie à l’égard de cette question et Jean-Christophe perd franchement les pédales. Que l’on accepte même provisoirement deux façons d’écrire une chose l'enrage. Il n’est pas plus calme en citant les conditions insipides de rédaction chez les éditeurs. Il rit bien jaune en se moquant d’une nouvelle orthographe qui n’est qu’à moitié actualisée puisqu’on accepte une publication à la mode ancienne et une autre à la soi-disant actuelle. Selon lui, le Conseil d’éducation et les enseignants embrassent une pire culpabilité car ils ont tellement peur des réactions parentales, si un petit crétin reçoit une mauvaise note en français, qu’ils finissent par tout accepter, voulant bien le beurre et l’argent du beurre.
Et voilà : cette année marque la reprise de la bataille, car un décret demande que les manuels scolaires soient intégristes et que soit autorisé l’enseignement de la nouvelle orthographe que Jean-Christophe baptise bâtarde avec un capuchon bien placé. Il n’est pas le seul à s’en plaindre : c’est de nouveau un tollé avec Jean-Christophe en chef de file. « Foutaises ! » déclare-t-il, en le prononçant avec le souffle tempétueux du PH aboli. Il ricane en évoquant une politique illogique du manifeste : « Intégriste ? Que deviendront mes amis juifs qui portent un circonflexe dicté par les canons de Dieu lui-même? »
Jean-Christophe exposa ses opinions d’une voix tonitruante dans un discours peu apprécié par ses collègues dans la salle des profs. Il sortit un flacon de whisky, le vida d’un trait et – bien fortifié – il eut le toupet de soumettre son texte pour le prochain numéro du bulletin des enseignants en montrant son doigté prodigieux au clavier sans même regarder l’écran de son ordinateur. Puis, avec une fioriture hautaine, il l’envoya sur-le-champ.
Réagissant avec allégresse, les éditeurs du bulletin nous annoncent aujourd’hui qu’ils prennent un plaisir inouï d’honorer sa requête telle quelle.
Si vous choisissew de rùediger votre texte en suivqnt l)orthogrqphe rectifiùdd ; il es i,portqnt de le ,entionner qu tout dùebut du docu,ent : Qutre,ent ; le co,itùe de reqdqction rùeviserq votre texte en considùerqnt au)il respecte l)orthogrqphe trqditionnelle
Jean-Christophe semble être un génie de rapidité à la touche d’un clavier AZERTY. Cependant, il ne remarqua pas qu’il maniait son texte sur un clavier QWERTY américain. Vite, y a-t-il un cryptologue dans la salle ? Et c’est quand la prochaine rencontre des Alcooliques anonymes ?