À ciel ouvert - 7

Dr Henri Biahé

Vitalité créative et collaborative : le numéro Rencontre Est-Ouest des revues littéraires À ciel ouvert et Ancrages

Introduction

La présente contribution est un compte-rendu de la table ronde intitulée « La vitalité créative et collaborative des communautés francophones : le numéro "Rencontre Est-Ouest" ». Cet événement littéraire et artistique, modéré par l’auteur de ces lignes, a eu lieu en ligne le 20 mars 2021 dans le cadre de la conférence Créations et fictions dans les Prairies, organisée par le Collectif d’études partenariales de la Fransaskoisie (CEPF). Parmi les conférenciers figurent Marie-Diane Clarke et Jean-Pierre Caissie, tous deux éditeurs du numéro conjoint. La co-commissaire artistique Anne Brochu Lambert et les co-coordonnateurs Jeffrey Klassen et Rachel Duperreault faisaient également partie des invités. Cette publication se propose de rendre compte de la façon dont ces panélistes ont pu mettre en musique le dynamisme et le travail collaboratif des communautés francophones de l’Ouest et de l’Est en vue de réaliser ce numéro conjoint.   

Désirs d’enracinement, de construction identitaire et d’affirmation de l’identité canadienne française dans l’Ouest et dans l’Est

Marie-Diane Clarke propose un survol panoramique des principaux thèmes abordés dans le numéro conjoint d’À ciel ouvert et d’Ancrages. Dans son exposé, elle souligne d’emblée qu’elle a voulu rendre un vibrant hommage aux dix-sept auteurs et auteures de l’Ouest et de l’Est dont les œuvres sont publiées dans ce numéro. D’où son choix d’analyser l’ensemble des soumissions reçues dans le cadre de cette collaboration afin de mieux les évaluer. À ce sujet, elle affirme : « [M]a façon personnelle de procéder quand je dois évaluer des textes, c’est de les analyser, ce qui me permet d’avoir une relation à la fois plus étroite et plus objective avec ces textes… » De son analyse des dix-sept œuvres de création présentes dans cette publication, on retient que :

« Bone Loss » de Gisèle Villeneuve s’appuie entre autres sur des stratégies du conte pour mettre en scène un groupe d’enfants auquel un vieil homme enseigne une leçon axée sur la question « Do you know how to drown ? ». Cette leçon illustrée par la tragique histoire de la noyade de sept garçons, tous appelés Roger, n’est pas sans rappeler le triste sort de certaines communautés francophones du Canada aux prises avec l’assimilation. Rachel Bonbon dans son poème significativement intitulé « I et II » combine le désir d’enracinement, la métaphore de la « photosynthèse », ainsi que la vitalité verticale du végétal en soi. Tout ce cocktail, fait remarquer Marie-Diane Clarke, mène le lectorat vers une ouverture à la fois sur la mer et les horizons de la plaine.

« Mon arbre (la fille du facteur) » de Josée Thibeault associe la figure métaphorique des racines ancestrales et la volonté de pérenniser son identité culturelle. Ce poème donne aussi à lire la peur d’affronter les affres de l’assimilation tout en rappelant le caractère sans cesse évolutif de l’histoire des communautés francophones du Canada. Dans « Crucifix » de Louise Dandeneau et « Ô toi souveraine souvenance » de Laurent Poliquin, les auteur·e·s s’appuient sur la fiction pour plonger leurs lectorats respectifs dans un discours de la mémoire. La première s’efforce de reconstruire l’identité des Canadiens français à travers leur histoire ponctuée des misères endurées au fil des générations et qui, cependant, débouche sur un message d’espoir pour l’avenir. Le second aborde dans son poème la question de l’identité et de l’altérité pour mettre en relief une mémoire collective de l’errance qui finit par revêtir une double dimension cosmique et mythique.

Paul Ruban dans « Jan Van Zanten » et Caroline Bélisle dans « Van Gogh » dépeignent le sentiment d’aliénation humain. Ces deux auteur·e·s, observe Marie-Diane Clarke, ont recours à l’expression de la tendresse ou de la caricature risible, ainsi que de l’humour subversif pour exprimer le désir d’intégrer un monde légendaire, et affirmer le droit d’exister de tout individu. Ce droit à l’existence est aussi présent dans « Manifeste : J’parle mal pis j’aime ça » de Joëlle Préfontaine. Comme l’indique son titre, il s’agit d’une espèce de défense et d’illustration du « Farmer French de l’Alberta » dont le but est de susciter une surconscience linguistique chez le lecteur francophone canadien. Simon Brown dans « Basse-Croisière » invite son lectorat à vivre le désir du mouvement, de se laisser entraîner par le « courant ». Plus exactement, il s’agit pour l’auteur de dépeindre la dynamique du cheminement des Canadiens français et de leur envie d’aller toujours de l’avant, constate Marie-Diane Clarke.

Célébration de l’attachement aux horizons de l’Est et de l’Ouest

Marie-Diane Clarke note que « Bulles nocturnes » de Robert Malo relate l’histoire d’une amitié entre deux artistes qui, un soir, se donnent rendez-vous au sommet d’une colline du Manitoba. Ils y partagent leurs peurs dans le contexte actuel de pandémie. Toutefois, ajoute Marie-Diane Clarke, les deux amis créent d’énormes bulles qui s’élèvent vers l’horizon, leur faisant oublier leurs craintes et soucis « covidiens ». Dans « Plaines aquarelles », David Baudemont invite ses lecteurs et ses lectrices à contempler les lignes horizontales et serpentines qu’offre le paysage géographique de l’Ouest canadien. L’auteur y exprime son attachement à l’horizon insaisissable et libre des Prairies canadiennes qui lui fait savourer des moments d’extase intime et de révélation. Alasdair Rees dans « Trois mois, trois tois » et Joanie Serré dans « Le binaire » s’inspirent de la nature et des insectes pour plonger leurs lecteurs dans les dédales d’une écriture poétique ancrée dans la modernité et la sensualité.  

 

« Lien de sens » de Marika Drolet-Ferguson, « Tu viens à moi » de Martine Jacquot, et « Canapé / Sero » de Daniel Dugas donnent à voir une image du Canadien français de plus en plus fuyante, mais également plurielle. Cette image multiforme et multidimensionnelle, fait remarquer Marie-Diane Clarke, permet à l’être canadien-français d’échapper à l’invisibilité que les francophones en contexte minoritaire peuvent être amenés à vivre. Enfin, « Pow-wowland du 20e siècle » de Mikhu Paul et traduit par Sophie Lavoie évoque le souvenir funeste de la « dernière grande danse dans les Dakota ». L’auteure y célèbre le rassemblement des « fantômes », en mémoire à des personnes qui ont perdu la vie sur la « terre gelée ». La lumière éblouissante, souligne Marie-Diane Clarke, signifie entre autres que les guerriers tombés au champ d’honneur ne sombreront jamais dans l’oubli.

Dans la conclusion de sa présentation, Marie-Diane Clarke tient, entre autres, à exprimer ses remerciements à Jean-Pierre Caissie, le coéditeur du numéro « Rencontre Est-Ouest ». En sa qualité de coéditrice de ce numéro conjoint, Marie-Diane Clarke a eu plusieurs échanges électroniques, téléphoniques et virtuels avec son confrère, lesquels ont permis aux deux équipes de réaliser ce numéro. La collaboration s’est aussi faite entre les deux co-commissaires artistiques du numéro « Rencontre Est-Ouest », en particulier Anne Brochu Lambert pour l’Ouest et Jean-Pierre Caissie pour l’Est. Lors de leurs différentes prises de parole, les deux co-commissaires artistiques ont pu partager avec l’assistance les coulisses ainsi que les enjeux de leur collaboration.

Les « ressorts » du travail collaboratif entre À ciel ouvert et Ancrages

L’intervention des co-commissaires artistiques Jean-Pierre Caissie (Est) et Anne Brochu Lambert (Ouest) a essentiellement consisté en une discussion enrichissante et interactive entre ces deux créateurs. Jean-Pierre Caissie a souligné que ce format lui semblait être le moyen le plus adéquat pour rendre compte de sa collaboration avec sa consœur de l’Ouest. Dès l’entame de son propos, le co-commissaire artistique de l’Est a tenu à exprimer son attachement à la Saskatchewan et à situer le contexte dans lequel cette collaboration a vu le jour. En effet, il a indiqué que Rachel Duperreault, sa conjointe et co-coordinatrice du numéro conjoint, est originaire de Saskatoon, ce qui l’amène à s’y rendre régulièrement, surtout en hiver pendant la période des fêtes de fin d’année. L’existence en Saskatchewan d’une revue de création littéraire l’a décidé à prendre contact avec Sébastien Rock, l’un des fondateurs d’À ciel ouvert.

Jean-Pierre Caissie précise que l’idée de produire un numéro conjoint avec À ciel ouvert est partie d’une série de collaborations débutées dans les années 1990, alors qu’il était membre de la défunte Éloïse (1980 - 1998). Cette revue de création littéraire, qui fut basée à Moncton, ajoute-t-il, lui avait permis de participer à une collaboration avec la Louisiane et l’Ontario. Le succès de ces échanges avait offert à Éloïse l’occasion de découvrir de nouveaux.elles auteur·e·s et de nouvelles œuvres. D’où le désir de tenter cette expérience avec À ciel ouvert. À ce propos, il affirme : « On s’est dit qu’avec À ciel ouvert on va collaborer et cela va permettre de connaître de part et d’autre un peu les auteur·e·s qui sont actifs sur le territoire de l’Ouest canadien et en Acadie également. »

Forte de l’héritage d’Éloïse qu’elle s’est approprié, la revue Ancrages, explique Jean-Pierre Caissie, multiplie les collaborations depuis plusieurs années, surtout dans le domaine des arts visuels. Il observe que cette revue acadienne, créée en 2004, s’est vite aperçue que l’alliance entre la paire poésie/prose et le visuel (photographie, peinture, sculpture, etc.) constitue, selon ses propres termes, un parfait mariage. Il renchérit en affirmant que ce couple représente une façon efficace de faire connaître les différentes créations artistiques de l’Est et de l’Ouest. L’on comprend aisément que le co-commissaire artistique ait pu qualifier le projet conjoint de véritable découverte : « Moi ça m’a permis de découvrir des artistes de l’Ouest canadien. J’en suis vraiment content. Vice versa, je crois que Anne [Brochu Lambert] a pu apprécier un peu le travail qui se fait ici dans l’Est. »

La beauté des échanges entourant le numéro « Rencontre Est-Ouest »

S’exprimant au sujet de la beauté des échanges qu’il a eus avec la co-commissaire artistique de l’Est, Jean-Pierre Caissie a d’abord mis en avant le fait que ce numéro conjoint ratisse large, soit dix-sept auteur·e·s et dix-sept artistes en arts visuels. Il souligne également que la multitude des thématiques traitées dans ces œuvres les a amenés à se poser, entre autres, la question de savoir si le fait d’appartenir à une minorité linguistique influence la façon d’écrire. Et d’ajouter que la beauté de son travail avec la commissaire artistique de l’Est, Anne Brochu Lambert, réside dans leur capacité commune à avoir pu relier le contenu des poèmes, des textes, des proses et des nouvelles avec l’art visuel. Il l’exprime davantage en ces termes : « Donc, pour moi, avoir des thématiques qui sont si larges, ça nous a permis d’aller explorer, ce qu’on a fait c’était de lire les textes avant qu’ils soient publiés. On a essayé d’établir un petit peu des couleurs, des images, on a essayé de mettre en relation des œuvres d’arts visuels avec les textes. » Pour étayer son propos, Jean-Pierre Caissie cite en exemple Crucifix de l’auteure Louise Dandeneau du Manitoba et l’œuvre de l’artiste Léopold Foulem, originaire de Caraquet au Nouveau-Brunswick. Ces deux créateurs, fait remarquer Jean-Pierre Caissie, utilisent abondamment, mais dans des perspectives fort différentes, des images liées à la culture ou à la religion catholique. Toutefois, la mise en parallèle de ces œuvres a permis à la fois d’établir des passerelles entre elles et d’utiliser l’art visuel de l’artiste acadien pour proposer une lecture différente et originale du texte de l’écrivaine franco-manitobaine, renchérit-il.

L’alliage entre la littérature et l’art visuel revêt une importance capitale, surtout pour les communautés francophones en contexte minoritaire au Canada. En effet, Jean-Pierre Caissie affirme qu’il est souvent appelé, dans le cadre de son travail, à faire « beaucoup de politique à Ottawa », où sont basés les principaux soutiens financiers de la culture canadienne. Ce travail l’amène souvent à démontrer en quoi les arts visuels non langagiers constituent un élément de développement des communautés francophones, au même titre que la littérature ou le théâtre. L’un des objectifs poursuivis par le numéro « Rencontre Est-Ouest » était justement de répondre à cette question. Il y répond par l’affirmative, car, selon lui, les arts visuels constituent bel et bien une façon de développer le patrimoine culturel que les communautés franco-canadiennes ont en partage.

Réagissant à la supposée incapacité des arts visuels à contribuer au développement des communautés francophones au Canada, Anne Brochu Lambert déclare qu’il s’agit d’un reproche récurrent. Selon elle, le fait que ces arts ne soient pas langagiers amène leurs détracteurs à arguer qu’ils ne contribuent pas au développement culturel des communautés concernées. Anne Brochu Lambert trouve choquants de tels propos dans la mesure où, soutient-elle, ils font « abstraction de ce que porte l’artiste en lui-même ou en elle-même, de son identité, et de tout l’aspect médiation qu’une œuvre implique à partir du moment où on veut la communiquer à un public ». Elle rappelle que cette médiation se fait nécessairement au moyen d’une langue, le français en l’occurrence. Abondant dans le même sens que son collègue Jean-Pierre Caissie, elle rappelle que les arts visuels couvrent un large spectre. En d’autres termes, ils ne se limitent pas seulement à la peinture ; ils englobent également la photographie, la sculpture, la céramique, etc. De l’avis de la co-commissaire artistique de l’Ouest, la réalisation du numéro conjoint offre l’occasion de faire la démonstration selon laquelle la littérature et les arts visuels jouent un rôle important dans l’affirmation de l’identité culturelle des communautés francophones en situation minoritaire. À titre d’exemple, elle confie avoir eu des échos d’artistes dont les œuvres avaient été sélectionnées. Ces derniers ont tenu à lui exprimer leur reconnaissance d’avoir eu cette vitrine et de pouvoir une fois de plus réaffirmer leur identité. Elle précise qu’il est intéressant de constater que certains créateurs dont les œuvres figurent dans le numéro commun sont en même temps écrivains et artistes en arts visuels. C’est le cas d’Estelle Bonetto qui est une écrivaine reconnue et l’auteure d’une œuvre visuelle dans le numéro conjoint.  

Comme on peut le constater, la participation d’Anne Brochu Lambert au numéro conjoint a été une expérience particulièrement enrichissante. D’ailleurs, elle note que lorsque À ciel ouvert l’a contactée pour lui proposer d’agir à titre de co-commissaire en arts visuels, elle a tout de suite accepté l’offre. Elle confie avoir été emballée par le projet pour plusieurs raisons. D’abord, elle estime que ce projet représente à la fois une idée excellente et innovante. En effet, il permet aux artistes de plusieurs disciplines de « rayonner, de se croiser, de se connaître, et en plus d’avoir accès à un tout nouveau public », explique-t-elle. Par ailleurs, elle souligne que ce projet a eu une forte résonance chez elle dans la mesure où, en tant qu’artiste, elle a toujours été passionnée par l’écriture et les arts visuels. De plus, sa formation au niveau collégial comportait à la fois la littérature, les arts visuels, l’histoire de l’art et du temps en atelier. Anne Brochu Lambert affirme que ce projet lui a fait éprouver le sentiment d’être « au paradis », pour reprendre son expression. Elle exprime particulièrement sa reconnaissance à Jean-Pierre Caissie pour lui avoir servi de guide tout au long de leur collaboration. Elle explique qu’elle se présentait « vraiment comme une terre vierge en ce qui concernait les créateurs de l’Atlantique. Alors, ç’a été une très belle exploration ».  

Anne Brochu Lambert rapporte en outre que son travail collaboratif avec son confrère de l’Est lui a servi de mise à jour de ce qu’elle pensait connaître des artistes qui sont plus prêts de sa réalité, c’est-à-dire la communauté artistique saskatchewanaise. En somme, il s’est agi d’une véritable « découverte tous azimuts en ce qui concernait l’Est », précise-t-elle. Il faut dire que le contexte « covidien » dans lequel ce projet a vu le jour lui a été paradoxalement favorable. Anne Brochu Lambert pense même que ce projet a bénéficié de la réalité de la pandémie, où tout le monde est captif devant son écran. Elle observe que les circonstances exceptionnelles actuelles emmènent les gens à entretenir une relation beaucoup plus intime et soutenue avec leur écran d’ordinateur. Elle ajoute que cette situation est, somme toute, à l’avantage d’Ancrages et d’À ciel ouvert d’autant plus que ces revues sont disponibles en format numérique. Du coup, note-t-elle, il est plus facile de les consulter, de les découvrir. Elle l’exprime davantage en ces termes : « Moi, j’ai particulièrement aimé, une fois la création combinée et réalisée, comme consommatrice de voir à quel point la technologie me permettait d’avoir une expérience diversifiée par le son, par l’image, par l’écrit, et la technologie permet ça. »

L’évocation du rôle de la technologie en général et de l’Internet en particulier dans la promotion et la diffusion du numéro conjoint revêt une importance significative. En effet, Jean-Pierre Caissie révèle qu’en l’espace d’un peu plus d’un mois, la publication conjointe À ciel ouvert-Ancrages a permis d’atteindre un lectorat d’environ 5000 personnes. Il rappelle qu’entre 2004 et 2010, la période durant laquelle Ancrages publiait ses contenus en version papier, la revue s’estimait satisfaite lorsqu’elle parvenait à vendre 200 copies d’un numéro.  

À l’évidence, les deux co-commissaires ont joué une part importante dans le succès du numéro conjoint. À cet effet, Anne Brochu Lambert explique que très tôt dans le processus, Jean-Pierre Caissie et elle avaient à cœur de ne pas jouer la carte de l’illustration. Autrement dit, par souci de respect pour les créations, les deux co-commissaires se sont gardés de prendre les créations littéraires et les œuvres d’arts visuels au premier degré, en essayant d’établir des correspondances simplistes entre tel texte littéraire et telle œuvre d’art visuel. Comme le relève Anne Brochu Lambert, « dans le fond, on voulait certainement être dans le respect des œuvres de part et d’autre, de faire en sorte que les deux [le texte littéraire et l’œuvre d’art visuel] en cohabitant puissent briller ». Elle note que cet exercice lui a permis de dégager une sorte de complémentarité, mieux encore, un alliage, pour reprendre son terme, entre l’art visuel et la création littéraire. De cet alliage, poursuit-elle, naît inévitablement « un nouveau métal, […] une nouvelle entité, […] un dialogue ». Pour parvenir à cette espèce d’alchimie, la co-commissaire explique que son confrère et elle ont, dans un premier temps, tenu à s’approprier les textes, d’en prendre connaissance et de s’imprégner de leurs différentes sensibilités. C’est ainsi qu’elle affirme avoir créé un porte-folio de l’Ouest, et Jean-Pierre Caissie en a fait de même pour l’Est. Ensuite, les deux spécialistes ont procédé au partage d’un grand fichier de manière à faire ressortir ce que Anne Brochu Lambert appelle « une récolte très riche de talents et de création contemporaine. » Une fois ces deux premières étapes terminées, ils ont amorcé un travail d’évaluation individuel, afin de déceler des liens possibles entre les textes. Qui plus est, cette étape a également permis aux deux co-commissaires de faire part de leurs appréciations et commentaires respectifs au sujet des textes et des œuvres d’arts visuels. Enfin, ils ont comparé leurs différentes suggestions et les ont débattues lors de leurs différentes rencontres, et ce, en toute cordialité et dans un respect mutuel. Au final, tout comme Jean-Pierre Caissie, Anne Brochu Lambert dit être particulièrement fière du résultat de ce travail collaboratif. Elle souligne qu’il s’agit d’un travail d’équipe, du travail d’une grande équipe dont les grands gagnants sont les artistes et les écrivain·e·s ayant participé à la réalisation de ce numéro. Toute la question à présent est de savoir si de telles initiatives pourront se multiplier à l’avenir. 

De belles perspectives d’avenir pour le travail collaboratif

Lors de la séance de questions-réponses, les participant·e·s à la table ronde ont formulé le vœu de multiplier des occasions de collaboration entre l’Ouest et l’Est. Jean-Pierre Caissie a favorablement accueilli cette offre. À ce sujet, il déclare que la revue Ancrages publie majoritairement des œuvres d’auteur·e·s de l’Est, certes. Mais, elle publie également des œuvres d’écrivain·e·s d’un peu partout au Canada. Dans le passé, la revue a même publié des textes d’auteurs et d’auteures des États-Unis, du Mexique, de France, de Belgique, du Maroc, etc. Il ajoute qu’il souhaiterait davantage publier des auteur·e·s de l’Ouest canadien. À cet effet, il affirme : « J’aimerais peut-être dire que mon objectif sous-jacent à la collaboration c’est un petit peu d’ouvrir, d’aller trouver des auteur·e·s dans l’Ouest. » Marie-Diane Clarke abonde également dans le même sens que son confrère de l’Est avec lequel elle a réalisé l’édition de ce numéro. Saluant au passage ce qu’elle qualifie de « belle aventure », elle pense qu’il faudra poursuivre ce genre d’initiatives. « Dans le cadre d’À ciel ouvert, nous allons avoir l’occasion d’avoir d’autres collaborations, ou de renouveler la collaboration avec Ancrages », assure-t-elle.

Roger Léveillée

Roger Léveillée

J. R. Léveillé, figure clef de la littérature francophone dans l’Ouest

Dans le même ordre d’idées, Marie-Diane Clarke a étendu cette discussion au public. C’est ainsi qu’elle a invité J. R. Léveillé, figure incontournable de la littérature d’expression française de l’Ouest, à prendre la parole pour parler d’un projet en gestation consacré à l’anthologie de la poésie de l’Ouest canadien. S’exprimant à ce sujet, l’écrivain explique qu’en 1990 il a publié une anthologie de la poésie franco-manitobaine, des origines à 1990. Cependant, il a indiqué que la plupart des visages actuels de la poésie franco-manitobaine n’avaient pas encore publié de poésie au moment de la sortie de cet ouvrage. Il s’agit entre autres des auteur·e·s Lise Gaboury-Diallo, Laurent Poliquin, Barthélémy Bolivar, etc. D’où l’idée de publier une autre anthologie de la poésie franco-manitobaine contemporaine. J. R. Léveillé a par la suite estimé qu’il serait intéressant d’étendre ce projet à l’Ouest canadien. L’auteur est conscient de la spécificité des histoires des différentes communautés de la francophonie franco-ouestienne. Toutefois, il affirme vouloir les rassembler toutes dans l’ouvrage en préparation. Bref, ce projet vise à « montrer un peu les différences, mais en même temps servir de rassemblement, réunir tous les poètes, montrer justement une vitalité dans la littérature [de l’Ouest] en général », assure-t-il.

Cette initiative a reçu un écho favorable auprès de l’écrivain franco-manitobain Laurent Poliquin. Ce dernier relève, pour le déplorer, qu’une province comme l’Ontario ne dispose pas à proprement parler d’un espace de création littéraire en français à l’heure actuelle. Il ajoute que ce constat s’applique également à bien d’autres provinces du Canada. D’où son souhait de voir le projet de J. R. Léveillé s’élargir aux auteurs et auteures du Canada français.  

Laurier Gareau

Laurier Gareau

Historien, auteur et président des Éditions de la nouvelle plume

Laurier Gareau, figure majeure de la littérature canadienne-française et président des Éditions de la nouvelle plume, en Saskatchewan, souligne que la vitalité créative et collaborative des communautés francophones est bel et bien à l’œuvre. Selon lui, elle constitue une excellente occasion de faire découvrir les auteur·e·s de l’Ouest et d’ailleurs au Canada. À titre d’illustration rapide, il cite la série d’événements appelés « Du Nord et de l’Ouest - Dialogue d’écrivain·e·s. ». Ces soirées littéraires interprovinciales et interterritoriales ont été organisées par le Conseil culturel fransaskois du 9 au 28 mars 2021 dans le cadre du lancement des Rendez-vous de la francophonie. Comme le souligne le Conseil, cette série de soirées, la toute première via Zoom, visait à « faire connaître ces écrivain·e·s, à diffuser leurs œuvres, et à tisser des liens entre le public et les écrivain·e·s de ces provinces et territoires lors de ces rencontres. » Laurier Gareau a aussi pris en exemple des initiatives comme les cafés littéraires organisés par l’Association des auteur·e·s du Manitoba français et les clubs de lectures en Saskatchewan. Selon le lauréat de l’Ordre du Canada, tous ces efforts méritent d’être encouragés. Car, explique-t-il, ils permettront aux « gens de prendre connaissance des auteur·e·s de l’Ouest, mais aussi de découvrir la créativité et la vitalité littéraires dans l’Ouest et le Nord canadiens ».  

Pour ne pas conclure…

L’objectif de cette publication était de rendre compte de la table ronde intitulée « La vitalité créative et collaborative des communautés francophones : le numéro "Rencontre Est-Ouest" » des revues littéraires À ciel ouvert et Ancrages. De ce travail, il ressort que les différents responsables de ce numéro conjoint ont grandement contribué à son succès. Ainsi, le travail collaboratif de Jeffrey Klassen et de Rachel Duperreault a permis d’assurer la coordination de ce numéro. À ce propos, Jeffrey Klassen, le coordonnateur d’À ciel ouvert, assure avoir bénéficié de l’expérience et de l’accompagnement de son prédécesseur, Sébastien Rock. Il confie également avoir éprouvé du plaisir à œuvrer étroitement avec sa consœur d’Ancrages, Rachel Duperreault, notamment en ce qui concerne la communication avec les auteur·e·s et les artistes visuels, l’envoi et la signature des contrats, etc. La collaboration entre les deux coéditeurs Jean-Pierre Caissie de l’Est et Marie-Diane Clarke de l’Ouest a permis à la seconde de produire une analyse exhaustive des dix-sept œuvres littéraires publiées dans le numéro conjoint. Cette analyse révèle que, d’une part, les œuvres sélectionnées racontent les désirs d’enracinement, de construction identitaire et d’affirmation de l’identité canadienne-française dans l’Ouest et dans l’Est. D’autre part, ces textes célèbrent l’attachement des auteur·e·s aux horizons de l’Ouest et de l’Est. Grâce au travail collaboratif des co-commissaires artistiques Anne Brochu Lambert et Jean-Pierre Caissie, le public a pu retenir entre autres que la littérature et les arts visuels représentent un alliage qui contribue bel et bien au développement culturel des communautés francophones au Canada. Par ailleurs, d’autres contributeurs tels des membres des comités de rédaction des deux revues, notamment David Baudemont, Jean-Pierre Picard, Sonya Malaborza, Georgette LeBlanc, etc., ont joué un rôle significatif dans le succès de ce numéro, bien qu’ils n’aient pas directement participé à la table ronde. Enfin, le public et les intervenant·e·s à cette table ronde ont exprimé le vœu que des initiatives collaboratives entre les communautés francophones de l’Ouest et d’ailleurs au Canada puissent se perpétuer.

Références bibliographiques

Clarke, Marie-Diane. « Regard sur les textes. » À ciel ouvert. Vol. 6, no 6, 2021, pp. 6. http://www.acielouvert.ca/La-revue/Numero-6-Hiver-2021.

Conseil culturel fransaskois. Du Nord et de l’Ouest. Dialogues d’écrivain.e.s, Conseil culturel fransaskois, 2021. https://www.culturel.ca/du-nord-et-de-louest-dialogues-decrivain-e-s/. Consulté le 26 novembre 2021.

Léveillé, J. R. (dir.). Anthologie de la poésie franco-manitobaine, Éditions du Blé, 1990.

 

 

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Les artisans de ce numéro

Comité de rédaction :
Jeffrey Klassen, Marie-Diane Clarke, Henri Biahé, David Baudemont, Jean-Pierre Picard, Mychèle Fortin

Auteurs :

  • David Baudemont 
  • Madeleine Blais-Dahlem
  • Marie-Diane Clarke
  • Michel Clément
  • Mychèle Fortin
  • Ousmane Ilbo Mahamane
  • Marie-Andrée Nantel
  • Sharon Pulvermacher
  • Jocelyne Verret

Illustrations :

  • David Baudemont
  • Madeleine Blais-Dahlem
  • Aelwen Clément
  • Marylène Portaneri
  • Sharon Pulvermacher

Mise en page du numéro pdf et mise en ligne : Jean-Pierre Picard

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