Partout la musique
Photo: Mychèle Fortin
D'aussi loin que je me souvienne, je rêvais d'aller en Russie, d'arpenter les rues et ruelles de Saint-Pétersbourg hantées par les personnages de Dostoïevsky, de me promener sur les bords de la Neva sous le soleil de minuit. C'est chose faite. J'y suis allée et pour tout dire, je n'en suis pas encore revenue.
Bien sûr, je n'ai fait qu'effleurer la surface. Bien sûr, la Russie ne se résume pas à Saint-Pétersbourg et Moscou. Bien sûr, je n'ai mené ni enquête sociologique (mon russe primitif m'en aurait bien empêchée), ni sondage scientifique sur ce que pensent les Russes de la situation actuelle. Je me suis contentée de regarder, d'échanger au hasard des rencontres, d'engranger images et impressions.
Saint-Pétersbourg, ville de 5 millions d'habitants, est une splendeur. Située dans le nord-ouest du pays sur le delta de la Neva, au fond du golfe de Finlande dans la mer Baltique, elle a été fondée en 1703 par Pierre le Grand. Mélange unique des styles baroque et néoclassique, sa beauté rehaussée par les nombreux canaux qui la traversent lui a valu le surnom de "Venise du nord".(i) Je vous épargne la liste de ses palais, musées et cathédrales qui rivalisent de beauté et d'élégance. La cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé(ii) est une des plus belles choses que j'aie vues de ma vie et le musée de l'Hermitage, dans lequel j'ai marché 8 kilomètres, une des plus impressionnantes.
Si Saint-Pétersbourg est le centre culturel de la Russie, Moscou en est le siège politique et économique. Située au confluent des rivières Moskova et Neglinnaïa, cette ville de plus de 12 millions d'habitants a vu le jour au 12e siècle, sur la colline qui domine la rive gauche de la Moskova, là où se trouve aujourd'hui la place Rouge. Au centre de la capitale, la place Rouge est bordée à l'ouest par le Kremlin (et le mausolée de Lénine), à l'est par le mythique centre commercial Goum,(iii) au nord par le musée de Russie et au sud par la cathédrale Basile-le-Bienheureux(iv). J'y ai passé... trois jours.
On m'avait dit que le métro de Moscou est le plus beau du monde. Je ne les ai pas tous vus, difficile de juger. Mais chose certaine, ce métro, inauguré en 1936 et surnommé par Staline le "Palais du peuple", vaut à lui seul une demi-douzaine de musées.
Du communisme au capitalisme
Parlant de Staline... il a à peu près disparu. Si Lénine est encore bien présent, il ne reste, à part la grise et sévère architecture stalinienne, presqu'aucune trace visible, non seulement du "Petit père des peuples", mais du régime socialiste soviétique au grand complet. Dans la nécropole du mur du Kremlin, seules quelques sépultures discrètes témoignent du passage d'anciens dirigeants.(v) Au musée de Russie, rien de postérieur à la première guerre mondiale. C'est par hasard si je suis tombée sur une exposition itinérante consacrée à Lénine et Staline, où il y avait si peu de visiteurs que mes deux amies et moi avons eu droit à une guide juste pour nous. Sur le fronton de l'Institut Smolny, là même où Lénine a lancé l'offensive bolchévique en octobre 1917, l'aigle impérial a remplacé la faucille et le marteau.
Pierre le Grand, Catherine la Grande, ont retrouvé la faveur populaire. On défile devant les tombeaux des Romanov. Quant à Gorbatchev, celui dont la volonté de changement et d'ouverture a mené à la dissolution de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), ignoré, oublié, voire honni. Gorbaqui?
Bien que le régime socialiste ait disparu, des acquis demeurent, notamment: transport en commun efficace à prix dérisoire, système de santé, d'éducation. (J'ai vu des centres de petite enfance à faire pleurer d'envie nos éducatrices).
Le nationalisme russe est très présent. Un "homme fort" est aux commandes de la Fédération de Russie à laquelle il veut redonner ses lettres de noblesse et ça se sent. "Vladimir 1er" jouit d'une grande popularité. Autoritaire? Pas démocratique? Peu importe. On vit mieux (enfin certains vivent mieux) et surtout, les Russes ont l'impression que la Russie redevient la "Grande Russie".
Si on se méfie de l'Occident, on aime bien ce qu'il offre. Les Russes sont tombés dans le capitalisme comme des enfants dans le chocolat. Toutes les grandes chaînes de restauration rapide américaines sont présentes. Les grands couturiers et le prêt-à- porter. Les grosses voitures. Les banques. Je n'ai de ma vie vu autant de banques. De partout.
Les Russes, la culture et les fleurs
Un des grands acquis qu'a laissé le régime socialiste soviétique est certainement la démocratisation de la culture. Le Bolshoï et les théâtres sont pleins, on fait la queue pour entrer dans les musées, les arts décoratifs tout en couleurs sont partout. Tchaïkovsky, Gogol et Dostoïevsky sont toujours présents, on peut prendre le thé au Café littéraire où Pouchkine alla boire un chocolat avant de livrer le duel qui lui fut fatal.
La musique, la grande et la petite, est partout, au concert et dans la rue. Jamais je n'oublierai cette jeune femme avec son violon en forme de clé de sol qui jouait du Vivaldi sur l'Arbat(vi), ce joueur de flûte de pan qui m'a expliqué qu'il jouait du violon pour gagner sa vie mais qu'il jouait de la flûte pour le bien-être de son âme.
À Saint-Pétersbourg, j'ai fréquenté un restaurant dont le personnel est entièrement composé d'étudiants du Conservatoire qui, entre deux services, y vont d'un petit air a capella.
Et puis il y a les fleurs, des fleuristes ouverts 24 heures. À toute heure du jour et de la nuit, on croise dans la rue des gens, toutes générations confondues, avec des gerbes de fleurs.
Une surprise gastromique
Je n'allais pas en Russie pour la gastronomie. Je pensais chou, pommes de terre, borsch. Or, j'ai mangé comme une reine. Évidemment, les restaurants que j'ai fréquentés ne sont pas à la portée de toutes les bourses (y compris de la mienne, j'ai encore mal à ma carte de crédit). Mais Dieu que c'était (presque toujours) bon! Et varié: cuisine russe et européenne bien sûr, mais aussi cuisine turkmène, ouzbèke, kazakhe, georgienne. Même les bistrots et restaurants populaires avaient souvent de quoi surprendre. Ah ces petits feuilletés au chou...
Au-delà de la Russie de l'actualité, il existe la Russie aux milles facettes d'une riche culture où se rejoignent l'Orient et l'Occident. Dasvidania !
Notes:
(i) La ville est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1990.
(ii) Ce nom fait référence au sang versé lors de l'assassinat de l'empereur Alexandre II qui fut mortellement blessé à cet endroit le 13 mars 1881.
(iii) Le centre commercial Goum (GYM) véritable momument de marbre, de grès et de granit, a été construit entre 1890 et 1893. Avec 30,000 visiteurs par jour en moyenne, il est le rendez-vous des riches moscovites et autres bien nantis.
(iv) La cathédrale Basile-le-Bienheureux a été construite entre 1555 et 1561 sous le règne d'Yvan le terrible (Yvan IV) en mémoire de la victoire sur les Tatars de Kazan. La légende veut que le tsar, qui n'avait pas de terrible que le nom, fit crever les yeux de l'architecte (certains disent de tous les artisants) afin qu'il ne puisse reproduire le chef d'oeuvre.
(v) Un grand absent, Khrouchtchev, écarté du pouvoir en 1964, qui n'a pas eu droit à des funérailles nationales (on ne lui a pas pardonné d'avoir "reculé" pendant la crise des missiles de Cuba) et qui repose au cimetière Novodevichi de Moscou.
(vi) Célèbre rue piétonnière de Moscou