Le mois prochain marquera le 53e anniversaire du bloqueo, l'embargo économique, commercial et financier à l'égard de Cuba, décrété par les États-Unis suite à la nationalisation de firmes américaines.(1)
Le 17 décembre dernier, Raúl Castro et Barack Obama annonçaient, de concert, la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, interrompues depuis 1961, et la levée de l'embargo mis en place le 3 février 1962. Certes, il ne s'agit que d'une levée partielle, car l'accord du Congrès américain est nécessaire pour une levée totale. Mais à Cuba on se réjouit. Depuis le temps qu'on attendait ça.(2)
Il est faux de croire que le bloqueo a toujours maintenu la population cubaine dans la pauvreté. Grâce aux relations opportunistes (et souvent conflictuelles) entre Cuba et l'URSS, relations qui se sont faites de plus en plus étroites à mesure que se durcissait la position américaine, l'île a connu quelques décennies prospères. Elle a pu développer un système de santé internationalement reconnu, mettre en place des services sociaux comparables à ceux des pays développés et offrir un système d'éducation que beaucoup pourraient lui envier. Pendant les années 70, l'espérance de vie des Cubains était la plus élevée de toute l'Amérique latine.
Lorsque l'URSS a commencé à s'essouffler, dans les années 80, l'économie cubaine en a pris pour son rhume. L'effondrement de l'Union soviétique en 1991 a eu des conséquences désastreuses sur l'économie cubaine et sur la qualité de vie de la majorité des Cubains. C'est à partir de là que le blocus américain a fait mal. Très mal.
Les mesures annoncées par la levée, même partielle, de l'embargo en font rêver plus d'un. Par exemple, on autorisera le commerce avec des entreprises privées cubaines dans le secteur des matériaux de construction, des équipements industriels et des équipements agricoles destinés aux petites exploitations. Qui connaît Cuba sait à quel point les matériaux sont rares et les équipements désuets.
Du côté des États-Unis aussi, on se réjouit. Bien sûr, on se rebiffe au sein de la classe ultra républicaine, bien sûr ça grogne dans les rangs de l'intelligentsia cubaine anti-catriste. Bien sûr le tourisme pour monsieur-madame tout le monde ce n'est pas pour demain. Par contre, les gens d'affaires et l'argent américains pourront bientôt voyager librement.
Sans vouloir jouer les trouble-fête, on peut se demander pourquoi maintenant. Cela aurait-il quelque chose à voir avec le fait que Vladimir Poutine, de passage à Cuba en juillet dernier, a annoncé l'effacement de 90% de la dette cubaine, promis d'aider Cuba à combattre le « blocus américain illégal » et annoncé que des troupes russes s'apprêtaient à réintégrer la base militaire de Lourdes, près de La Havane(3)? Ou serait-ce parce que Cuba ne peut exploiter ses gisements pétrolifères sans capitaux étrangers?
Je ne crois pas qu'il faille voir dans le rapprochement entre Moscou et La Havane un renouveau de ferveur idéologique. De même, la normalisation des liens entre Washington et La Havane ne signifie pas que Cuba ait modifié d'un iota sa position de pays socialiste. (Ce qui, pour les Cubains, représente une grande victoire). Il s'agit plutôt d'opportunisme, comme avant, pour toutes les parties concernées.
Sauf que cette fois, les États-Unis ont décidé de changer de tactique. Comme l'a reconnu le président Obama, « 53 ans d'embargo n'ont rien donné ». Mais les uns et les autres se méfient. Relations diplomatiques ou pas, ce n'est pas demain la veille que les États-Unis rendront Guatanamo à Cuba, bien que le bail soit venu à échéance au début des années 2000.
Alors que le capitalisme s'apprête à faire une entrée remarquée sur l'île, d'où il avait été chassé le 1er janvier 1959, on peut se demander : à qui tout ça va-t-il profiter? Nouvelle ère de prospérité pour Cuba ou nouvelle ère de prospérité pour ceux qui s'apprêtent à l'exploiter?
Notes :
(1) L'application de l'embargo aurait, selon le vice-ministre des Affaires étrangères cubain Abelardo Moreno, infligé plus de 116 milliards de dommages économiques au peuple cubain. (1 - sept 2014).
(2) À l'ONU, chaque année depuis 1982, la plupart des pays votent en faveur de cette résolution à l'exception des Etats-Unis et de ses proches alliés, comme Israël. En 2013, Cuba avait reçu un soutien record de 188 pays.
(3) La Russie et Cuba ont convenu de remettre à la disposition de la Russie la base militaire de Lourdes, que les Russes avaient quittée en 2001. Le site de Lourdes était le centre de guerre électronique soviétique le plus puissant situé en dehors du territoire national.
Sources : La Presse, La Jornada, Le Monde, Cuba hora, Le Monde diplomatique, Rianovosti