Les États-Unis n'ont pas attendu Fidel Castro pour se méfier de Cuba et bouder La Havane. Aucun président américain n'y avait mis les pieds depuis 1928. La visite de Barack Obama, quelle qu'en soit l'issue, restera un des grands événements historiques et diplomatiques dans les Amériques du XXIe siècle.
Il ne faut pas voir dans la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays et la visite du président américain un rapprochement idéologique. Raúl Castro, en accueillant Barack Obama, a un seul objectif: la levée totale du bloqueo, l'embargo économique, commercial et financier mis en place depuis février 1962. Les deux hommes savent que celle-ci dépend du Congrès américain aux mains des républicains dont beaucoup, sinon tous, sont irréductiblement contre une telle mesure. De nombreux opposants accusent l'administration démocrate de pactiser avec l'ennemi et d'avoir mis en veilleuse ses exigences en matière de respect des droits de l'homme et de libertés publiques.
Cuba ne bougera probablement pas sur la question des droits de l'homme et des pratiques démocratiques. Raúl Castro a vivement réagi aux questions des journalistes en conférence de presse lundi. «Y a-t-il des prisonniers politiques ? Donnez-moi la liste immédiatement pour que je les libère [...] S'il y en a, ils seront libérés avant la nuit». (1) Sur la question des droits humains, il a demandé "combien de pays respectent les 61 droits humains et civiques, quel pays les respecte tous, vous le savez? Moi je le sais, aucun! (...) Cuba en respecte 47, certains en respectent plus et d'autres moins. Et d'ajouter: «Vous voulez un droit plus sacré que le droit à la santé? Êtes-vous d'accord avec l'éducation gratuite?».
De leur côté, les États-Unis ne sont pas à la veille de lever entièrement l'embargo, pas plus que de rendre Guantánamo. Mais dans les deux camps, les objectifs économiques priment. L'économie de guerre décrétée il y a 25 ans par Fidel Castro tire à sa fin. Les affaires reprennent et les touristes reviennent.
Depuis la reprise des relations diplomatiques entre Washington et La Havane en décembre 2014, Cuba revient lentement mais sûrement dans le giron de la communauté internationale. Le président français François Hollande s'y est rendu en mai dernier, le pape François y a fait une visite historique en septembre. À quand la visite de Justin Trudeau? Aucune visite officielle sur l'île n'est à l'agenda du Premier ministre. Cette indifférence étonne.
Pendant près de soixante ans, tous les gouvernements canadiens sans exception ont résisté aux présidents américains et n'ont jamais coupé les liens avec Cuba, même aux heures les plus sombres de la guerre froide.
Justin Trudeau et Fidel Castro aux funérailles de son père Pierre Elliott Trudeau
En 1976, Pierre Elliot Trudeau a été un des premiers leaders occidentaux à faire une visite officielle à Cuba après la mise en place de l'embargo. Il a tissé avec Fidel Castro des liens qui ont duré toute sa vie. Fidel était présent à ses funérailles en 2000.
En 1998, Jean Chrétien a fait des pressions au Sommet des Amériques pour l'inclusion de Cuba, avant d'effectuer une visite officielle à La Havane. Les liens entre les deux pays sont tels que que c'est à Ottawa que se sont déroulés ces dernières années, dans la plus grande discrétion, des pourparlers entre représentants américains et cubains qui ont mené au dégel entre Washington et La Havane.
Des liens commerciaux sont bien établis entre les deux pays. Des entreprises canadiennes sont implantées à Cuba notamment dans les secteurs de l'hôtellerie, de l'agroalimentaire, du tourisme, des ressources naturelles. Les besoins dans tous ces secteurs sont immenses. Mais avec le dégel ÉU-Cuba et le retour des capitaux américains, le Canada pourrait bien perdre son avantage historique et se faire tasser, ni plus ni moins. Il est temps que Justin Trudeau mette une visite officielle à Cuba à son horaire, question de réaffirmer les liens Canada-Cuba et de se positionner pour la suite des choses.
(1) Selon la Commission cubaine des droits de l'Homme (CCDH), organisation interdite mais tolérée par les autorités, 70 personnes seraient détenues pour motifs politiques. Ces chiffres n'ont pas été confirmés par Amnistie internationale ou d'autres grandes organisations de défense des droits de l'homme.
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Cuba à l'heure des rapprochements, l'Eau vive, 22 janvier 2015
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