L’histoire des droits linguistiques et scolaires passée au crible
Les membres du panel sur les droits linguistiques des Fransaskois
Photo : AJEFS (2019)
REGINA - Mercredi 24 avril en soirée, dans l’auditorium du Carrefour Horizons à Regina, quatre panélistes chevronnés sont revenus sur l’évolution des droits linguistiques et scolaires des Fransaskois. Leur constat est unanime : malgré les acquis, la lutte se poursuit.
Le panel, organisé par l’Association des juristes d’expression française de la Saskatchewan (AJEFS), était précédé d’une visite du Centre Info-Justice et des associations communautaires. Parmi les panélistes, la trentaine de spectateurs ont pu retrouver l’avocat Roger Lepage, la députée communautaire de Ponteix Annette Labelle, l’historien et dramaturge Laurier Gareau, et enfin le directeur général de la Société historique Alexandre Chartier.
Roger Lepage a démarré en signalant que le bilinguisme dans l’Ouest remontait au 18e siècle, date à laquelle la plupart des habitants parlaient français. En 1905, lors de la création de la Saskatchewan, on dénombre alors plusieurs dizaines de communautés francophones.
Les balbutiements du 20e siècle
Laurier Gareau a poursuivi sur le début du 20e siècle, une époque où la loi stipule que l’anglais constitue la seule langue d’enseignement. En effet, en 1918 est signée l’interdiction d’enseigner toute langue étrangère en Saskatchewan. Seul le cours primaire est maintenu en première année. Tous les autres niveaux scolaires jusqu’à la 8e année doivent se contenter d’une heure quotidienne.
En 1912-1913, l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan (ACFC) est créée, rebaptisée Association culturelle franco-canadienne en 1964 et devenant l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF) actuelle en 1999. En 1917, face à la difficulté de recruter des enseignants et au manque d’effort de la part du gouvernement, les francophones des Prairies fondent l’Association Interprovinciale. Au même moment, en 1918, le Collège Mathieu voit le jour.
En 1925, l’ACFC prend en main le programme d’enseignement de français dans les écoles et crée un concours pour les enseignants, « un travail qui aurait dû être celui du gouvernement, mais qui ne voulait pas s’en occuper », souligne Laurier Gareau. L’ACFC devient ainsi, de fait, « un sous-ministère de l’éducation pendant 48 ans ».
Des temps difficiles
Au début des années 1930, le premier gouvernement conservateur de la province supprime davantage de droits chez les francophones. « C’est la période la plus dévastatrice dans la mémoire collective des Fransaskois », remarque Laurier Gareau.
En 1944, le gouvernement crée les grandes unités scolaires, ignorant les frontières naturelles des communautés. « Par exemple, la communauté de Saint-Denis se retrouve divisée entre deux commissions scolaires », illustre le dramaturge. Cette décision provoque la fermeture d’écoles francophones, notamment en campagne. Les nouvelles écoles centralisées abandonnent l’enseignement du français, le poids des francophones étant dilué. « Ça a mené à un début d’assimilation de la communauté fransaskoise », analyse-t-il.
Au milieu des années 1960, des parents francophones de Saskatoon se mettent en grève contre l’interdiction de l’enseignement du français. Leur lutte mènera à la création des premières écoles désignées en 1968. Toutefois, dix ans plus tard, la Loi scolaire autorise les élèves anglophones à s’y inscrire, les transformant ainsi en écoles d’immersion.
L’émergence des écoles fransaskoises
Les années 1980 sont synonymes d’expansion pour les écoles francophones. En avril 1982, la Charte canadienne des droits et libertés est promulguée, dont le fameux article 23, accordant aux francophones le droit à l’éducation en français.
Quelques années plus tard, en 1988, la gestion scolaire est accordée aux Fransaskois qui devront malgré tout attendre jusqu’en 1991 pour que la cour d’appel confirme le jugement. Les premières élections des conseils scolaires fransaskois ont ainsi lieu en 1994. Le Conseil des écoles fransaskoises (CÉF), lui, naît en 1995.
Ces avancées ne vont pas sans luttes juridiques. Depuis le début des années 2000, les francophones de la province continuent de se battre pour leurs droits. En 2001, la Cour d’appel de la Saskatchewan reconnaît que l’arrêt Mahé de la Cour suprême du Canada s’applique. Dix ans plus tard, retour dans les tribunaux pour obtenir du financement : « Nous avons été en cour quatre fois de 2011 à 2014 », observe Roger Lepage.
Plus récemment, en 2017, un recours judiciaire est déposé par des parents à Regina pour obtenir une deuxième école primaire, l’école du Parc. En février 2018, un nouveau recours est porté pour obtenir une autre école à Prince Albert.
Sensibiliser pour mobiliser
Ce retour historique sur l’évolution des droits est indispensable selon Roger Lepage. « Avec le temps, la nouvelle génération ne connaît pas nécessairement tout ce que la communauté a eu à faire pour obtenir la gestion scolaire et les écoles françaises de langue première. C’est important que les nouveaux parents soient au courant, parce que lorsqu’on est une minorité, on ne peut pas toujours compter sur le gouvernement majoritaire pour représenter nos intérêts. »
Bien que l’article 23 de la Charte canadienne garantisse le droit à une éducation en français, la communauté francophone doit bien souvent passer par les tribunaux. « Le gouvernement attend toujours que la communauté dépose un recours judiciaire, déplore l’avocat. Il ne connaît pas forcément ses obligations constitutionnelles. » L’homme de loi souligne ainsi « la nécessité de toujours demeurer vigilants pour faire avancer nos besoins ».
Même son de cloche pour Laurier Gareau : « Il faut toujours continuer à lutter pour avoir droit à une éducation en français, ce ne sont pas les gouvernements qui vont nous les donner ouvertement. Il faut se battre. »
En mars dernier, le gouvernement a signé une entente pour bâtir trois nouvelles écoles dans les prochaines années à Regina, Saskatoon et Prince Albert. « Là encore, est-ce qu’on aura toujours à pousser le gouvernement ? J’ai l’impression qu’il faudra lui rappeler sa promesse », présage Roger Lepage.
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Lucas Pilleri
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