Le prix du bonheur
Zinder au Niger
Crédit : DiasUndKompott
Extrait du roman en chantier de Ousmane Ilbo Mahamane.
(…) La vie d’Ousmane dans la rue ne fut pas négative sur tous les plans. Son retard au niveau des performances scolaires fut compensé par des prouesses physiques. Et il arriva presque toujours en tête dans tous les sports et les loisirs : course à pied, saut de caniveaux, chasse des oiseaux, lutte traditionnelle, nage, football… Ces qualités indéniables firent que même le directeur de son école le reconnut comme étant le meilleur élément de l’établissement.
Lorsqu’enfin il fut admis au Brevet d’études primaires et secondaires, parmi les trois choix possibles d’établissements d’enseignement qui lui étaient permis sur sa fiche d’orientation, Ousmane opta pour une formation professionnelle afin de vite gagner sa vie et venir en aide à ses parents. Ce fut le Centre des métiers d’eau et de l’électricité de Niamey qui l’accueillit en octobre 1980.
Pour les élèves du Centre, l’année du tronc commun s’achevait par un stage pratique obligatoire d’un mois à la Société nigérienne du charbon, à Tchirozérine, au nord du pays. Malgré les termes stricts de son contrat, l’impérieux besoin de revoir sa mère le poussa à opérer un détour par Zinder.
La ligue régionale de football de Zinder préparait alors le premier championnat national junior de football. La présence du jeune Ousmane dans sa ville natale suscita un vif intérêt chez les dirigeants de la ligue qui cherchaient à composer la meilleure équipe régionale à même de relever le grand défi de cette compétition. Avec la complicité du préfet du département, qui adressa des demandes de permission aux différentes structures administratives dont relevaient les jeunes joueurs sélectionnés, on l’intégra donc dans la sélection régionale, le Zindirma Football Club.
Cette année-là, l’équipe remporta le premier trophée national en battant celle de Maradi par 7 buts à 6, à la suite de tirs de pieds aux buts et après 240 minutes de jeu. Les premières 120 minutes étaient jouées à domicile, les deux équipes s’étaient séparées dos-à-dos, sur un score de 1 but partout. Normalement des tirs de pieds aux buts devaient les départager. Mais il faisait nuit et le stade n’était pas éclairé. Une très belle finale, qui avait regroupé les meilleurs jeunes talents du pays. Le match était si beau que les autorités avaient décidé de prolonger leur plaisir en le reportant à la semaine suivante dans la capitale Niamey.
Ce triomphe national ne lui rapporta qu’une maigre gratification de 3000 FCFA, et la consolation d’avoir fait la Une du quotidien national Le Sahel : Les champions juniors 82. Ces six dollars canadiens était la prime la plus importante qui leur ait jamais été octroyée. Ils avaient livré une dizaine des matchs contre différentes équipes du pays. Quand ils recevaient de l’argent, ce n’était jamais au-delà de 1000 FCFA, soit deux dollars canadiens. Son unique satisfaction était la fierté d’avoir gagné cette coupe. Qui restera d’ailleurs la seule de l’histoire de sa ville.
À la suite de ce succès, son rêve de faire carrière dans le football devint encore plus prégnant. Il voulait intégrer l’équipe nationale, fouler les grands stades d’Afrique à l’instar de la vedette locale, le défunt Lawandidi Manzo, alias La gazelle. Ou mieux encore, suivre les traces de son idole, le Hollandais Johnny Rep.
Pendant quelques jours, adulé par la population zinderoise, Ousmane nagea dans cette bulle bienheureuse. Il attendit vainement la lettre miracle qui l’appellerait dans l’équipe nationale, ou les bras ouverts d’un recruteur footballistique d’Europe ou des pays du Golfe. Mais rien. Rien que la cruelle réalité des besoins quotidiens quand, au lever du jour tout comme au coucher du soleil, il devait attendre d’être servi par sa mère pour manger.
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