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Carol Léonard

Qu’ont en commun Ituna-Bon Accord (SK), Bon Accord (AB) et le film Braveheart de Mel Gibson ?

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Qui ne se souvient du film Braveheart, lourdement oscarisé, adulé du grand public, mais brocardé par les historiens? Beaucoup ont encore en mémoire William Wallace (? — 1305), héros valeureux, intrépide et fier, interprété par le réalisateur Mel Gisbson lui-même.

Ce film nous offre de belles scènes de combats où s’affrontent des hordes d’Écossais aux visages grimaçants badigeonnés de bleu et les troupes disciplinées de partisans du roi Édouard d’Angleterre (1232-1307) dit Longshanks. Que de furie chez ces Écossais aux corps robustes drapés dans leurs filleadh mhòr (!) 1 crasseux. Mémorables scènes que celles où l’on voit Wallace galvaniser ses propres troupes qui, victorieuses, pour un temps, emboutissent les lignes ennemies.

Mais c’est à un tout autre personnage du film, Robert de Bruce (1274-1329), qu’il faut attacher le lien ténu qui unit le film au hameau Bon Accord situé à une quarantaine de kilomètres au nord-est de St. Albert (AB).

Le film nous offre de Robert de Bruce un triste portrait. Velléitaire et pusillanime, il courbe l’échine sous l’autorité d’un père autoritaire, revanchard et lépromateux. Dans la réalité, Robert de Bruce, premier roi d’Écosse, fut tout autre. L’histoire a conservé le souvenir d’un guerrier redoutable, déterminé, persuasif qui parvint à vaincre les occupants et à redonner à l’Écosse son indépendance.

Mentionnons au passage que la maison (ou clan) de Bruce était issue d’une ancienne famille normande, les De Bruis, originaire de Brix (autrefois Bruis), commune française située au sud de la ville de Cherbourg.

Selon la tradition, suite à sa victoire sur l’Angleterre, Robert de Bruce accorda à la cité franche d’Aberdeen le privilège d’accoler la devise moto « Bon Accord » à ses armoiries. Il se serait agi d’un mot de passe qu’il fallait donner à la sentinelle pour pénétrer dans l’enceinte du château de la ville. Ce mot ayant été éventé, des habitants parvinrent à s’infiltrer et à permettre aux troupes de Robert de Bruce de donner l’assaut à l’intérieur de la place forte pour y exterminer la garnison anglaise.

L’usage de mots de passe en français à Aberdeen à cette époque semble presque aller de soi. L’Écosse est dominée par les barons normands qui ont soumis l’Angleterre.

Les mots de passe utilisés dans les places fortes, sous le contrôle de leur puissance, doivent leur être intelligibles. Ils sont de préférence en ancien français (dit anglo-normand par commodité), langue qui fut celle des souverains d’Angleterre de Guillaume le Conquérant (1028 -1087) jusqu’à Henri IV (1399–1413).

Cette langue, on le sait, Robert de Bruce et William Wallace la parlaient. L’existence même de l’Auld Alliance « Ancienne Alliance » entre les royaumes d’Écosse, de France et de Norvège aux dépens de celui d’Angleterre, témoigne de liens étroits entre ces couronnes. Cette alliance que certains auteurs font remonter au huitième siècle, Robert de Bruce la renouvela lors du traité de Corbeil en 1326.

Rien d’étonnant à ce que le mot de passe « bon accord » ait pu être capté et compris de tel ou tel habitant lettré d’Aberdeen.

Cela dit, aucune trace ne subsiste de documents d’époque relatant ce que la légende soutient. La plus ancienne énonciation de l’expression « bon accord » remonte à 1430, soit 120 ans après le prétendu siège du château. Il n’est nulle part fait mention de mot de passe.

Quoi qu’il en soit, la devise « Bon Accord » se rencontre encore de nos jours à Aberdeen. Il ornemente des murs et des enseignes de la cité.

Le nom de la municipalité rurale saskatchewannaise Ituna-Bon Accord N° 246 perpétue aujourd’hui les termes de cette devise accolés au nom d’une communauté de la municipalité, Ituna.

Quant au nom du hameau albertain, il aurait été emprunté à celui de l’une des premières fermes de la localité, celle d’Alex Florence originaire de la région d’Aberdeen.

Retenons aussi qu’un descendant de Robert de Bruce, James Bruce, aussi connu sous le nom Lord Elgin, a été gouverneur général de la colonie du Canada-Uni de 1847 à 1854.

1. Filleadh mhòr ou grand kilt. Les kilts ne connurent la faveur des Écossais qu’à compter du 16e siècle. Wallace n’en porta jamais. Quant au bleu sur le visage pour effrayer l’ennemi, c’est le contraire. Cet usage disparut longtemps avant les événements évoqués dans ce film que j’aime bien, mais qui, au demeurant, est un festival d’anachronismes. « Pour Hollywood qu’importe le flacon pourvu que le public ait l’ivresse » eut pu dire de Musset.

 

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