Colonialisme : « Évitons de trop romancer la rencontre franco-autochtone »
Un groupe d’enfants autochtones dans une école résidentielle à Trout Lake (Ontario), vers 1930.
Photo :Archives nationales du Canada : Affaires indiennes et du Nord
L’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, récemment de passage à Yellowknife, révèle en toile de fond l’oppression d’un colonialisme historique encore vivant. Les Premières Nations auraient été dépossédées de leurs terres avec l’arrivée de colons dans l’Ouest canadien, l’Ontario et le Québec.
Quel rôle les Canadiens français ont-ils joué dans ces migrations ? « On se rend compte, en tant que chercheurs et Canadiens informés qui participons au dialogue public, que la colonisation n’est pas que du beau, que la fondation du pays s’est faite aux dépens des peuples autochtones. Le Canada français a un bout de chemin à faire vers une prise de conscience de son héritage colonial. Il faut éviter de trop romancer la rencontre franco-autochtone. »
Le professeur d’hisoire Jean-François Lozier, de l’Université d’Ottawa, définit les termes. « La colonisation est l’action de peupler un territoire ; le colonialisme est un système ou une idéologie qui légitime l’établissement de rapports coloniaux. Pour les Autochtones, le colonialisme est bien réel. »
Selon le spécialiste des 17e et 18e siècles des relations franco-amérindiennes, il existe toujours au Canada une classe de citoyens reconnus par la loi qui n’ont pas les mêmes droits que les autres, qui sont privés de pouvoir économique et défavorisés dans plusieurs domaines. « Entre le racisme virulent et de bonne volonté que l’on peut observer chez les citoyens, on voit aussi l’incapacité de comprendre que le Canada est encore basé sur des rapports de domination. Bien des gens réagissent avec colère à ce constat qui remet en question le grand récit de l’histoire canadienne. On se compare souvent aux Américains, en se disant qu’on ne ferait pas de mal à une mouche. »
« Ce n’est pas parce que les Français étaient gentils »
Depuis toujours, explique Jean-François Lozier, « le colonialisme tourne autour de l’exploitation des ressources naturelles. Dans le contexte canadien, on pense aux fourrures, surtout les peaux de castor. C’était l’enjeu principal de l’expansion territoriale par la France et la Grande-Bretagne. En Afrique, ce sont d’autres ressources, les mines, le latex. »
Le chercheur rappelle que le partage du territoire et des ressources, notamment en vertu de traités signés au 19e siècle, devait être équitable. « Mais le développement économique se fait d’une manière qui fait fi des droits des Autochtones, que ce soit des mines, des oléoducs, des barrages hydroélectriques. »
Une prise de conscience parmi la population aurait produit une volonté de dialogue sur les ressources. « Mais quand on parle aux Autochtones, on voit que la consultation donne l’impression qu’on s’intéresse à leur perspective, mais qu’en fin de compte, les corporations et les gouvernements font à peu près ce qu’ils veulent. »
Jean-François Lozier a constaté que le colonialisme des Français aux 17e et 18e siècles aurait causé moins de dommages que celui des Britanniques aux 19e et 20e siècles. « Ce n’est pas parce que les Français étaient gentils, ils voulaient dominer les Autochtones. Mais ils étaient trop peu nombreux pour les obliger à changer leur mode de vie. L’économie de la Nouvelle-France dépendait de la main-d’œuvre autochtone. Si on les assimile et qu’ils deviennent des paysans, alors qui va emporter le castor aux postes de traite ? »
Le colonialisme moderne, qui s’affirme après 1867 avec sa bureaucratie, l’encadrement des mœurs et l’école obligatoire, cherche à exclure les populations autochtones, que l’on croit vouées à disparaître. Le régime canadien crée alors un système de réserves pour les isoler.
« On est nous-mêmes colonisés par les Britanniques »
Qu’en est-il des populations francophones ? « On va dire qu’on est nous-mêmes devenus un peuple colonisé par les Britanniques, note le professeur Lozier, qu’on s’est libérés de ce joug-là par la Révolution tranquille (des années 1960).
« Se voyant comme un peuple historiquement opprimé, il est difficile de voir comment on aurait aussi contribué à l’oppression des Autochtones. La mémoire collective a fait de la figure du pionnier, qu’il soit explorateur, missionnaire ou simple habitant, un véritable héros culturel. »
Mais aux 19e et 20e siècles, beaucoup change avec l’alliance entre les gouvernements et les églises : on fonde un réseau de pensionnats pour briser la continuité générationnelle et détruire les cultures autochtones, précise Jean-François Lozier. De tout temps, les missionnaires avaient voulu remplacer les cultures autochtones par la culture occidentale. Jusqu’alors, ils n’en avaient pas été capables. »
Les Franco-Albertains ont été sensibilisés à cette réalité en 2017. Lors qu’ils ont commencé à planifier les célébrations du centenaire de l’Association canadienne-française de l’Alberta, ils se sont heurtés à des enjeux de réconciliation avec les Autochtones : les fondateurs francophones sont des pères oblats.
« La discussion est différente au Manitoba à cause des liens entre les Métis et les francophones, explique Denis Perreaux, directeur général de la Société historique francophone de l’Alberta. Ici, on est loin l’un de l’autre. Si on célèbre nos fondateurs, on ne peut pas le faire en niant le rôle des oblats dans les écoles résidentielles. »
Le professeur Lozier reconnaît l’idéal de la réconciliation, mais il estime qu’elle n’arrivera pas du jour au lendemain. « C’est un processus et non pas un évènement. On risque de ne pas vivre, nous et nos enfants, ce moment magique. Va falloir y travailler et ce ne sera pas confortable pour qui que ce soit.
La clé dans tout ça, c’est de trouver des occasions d’entrer en relation et d’interagir, en tant que non-Autochtone, avec des individus qui ont grandi dans les réserves ou des Autochtones de souche récente. »
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