Skip Navigation
Festival fransaskois 2024
Madeleine Blais-Dahlem

La voix de mon père (Extrait)

On attendait toujours le dernier moment avant les gros gels  pour récolter les patates. Généralement, la Famille se rassemblait dans le grand jardin derrière la maison par un jour gris d’octobre. P’pa, Fiston et Gilles déterraient les patates. Gabrielle, moi et les trois p’tits chieux suivions avec des seaux et des sacs de jute pour les ramasser. Ensuite, la récolte se faisait entreposer dans la chambre froide du sous-sol. Toute cette journée-là, j’ai œuvré comme une forcenée, déterminée à faire ma part.

C’était traditionnel après la tombée de la nuit d’avoir une bataille aux patates. M’man et P’pa, épuisés après leur longue journée, rentraient et buvaient une tasse de thé dans la cuisine pendant que leurs enfants organisaient une guerre pas tellement civilisée.

Nous nous sommes divisés en deux équipes et avons collectionné nos projectiles de choix. L’ordre du choix  était le suivant : les petites patates toxiques verdies par le soleil, suivies des tomates vertes restées sur la plante, et ensuite les concombres à moitié pourris. On n’hésitait pas à lancer une motte de terre de temps en temps mais jamais de pierres. Nous étions du monde civilisé après tout.

Les rangées de tiges sèches de blé d’Inde étaient le terrain de guerre. Les tiges, hautes de cinq pieds, avaient l’avantage de détourner les projectiles. Par contre, elles crépitaient et craquetaient, trahissant nos déplacements stratégiques.

Fiston et les trois p’tits chieux avaient le contrôle du côté jardin. Gabrielle, Gilles et moi étions adossés à la basse-cour. Pendant qu’on s’organisait, les nuages s’étaient évaporés, le ciel afficha un bleu indigo et puis la lune, énorme comme un bouclier romain et orange comme des dents de castor, sortit de la rangée de sapins derrière l’ennemi pour éclairer le champ de bataille.

Notre équipe avait un désavantage numérique puisque Gabrielle avait disparu. Jacquot, Raoul et Rémi n’avaient pas les bras forts mais ils étaient impossibles à atteindre, filant comme des souris pour récupérer le détritus du jardin et le rendant à Fiston qui nous bombardait avec les légumes les plus durs et les plus pourris. Selon notre code de guerre, c’était défendu de viser la tête, mais Gilles fut atteint d’un concombre en plein milieu du front. En représailles, il lança une tomate trop mûre, une bombe contenant de l’eau glacée et des pépins retenus par une peau mince. La bombe s’éclata sur l’oreille de Fiston. La bataille alla de plus belle.

Le froid devint un élément de la bataille. On pouvait voir le souffle de l’ennemi. Impossible de ne pas respirer. Les vignes de concombres nous faisaient trébucher, nos orteils étaient engourdis dans nos grosses bottes de caoutchouc.Gilles et moi étions sans munitions. On rampa à une retraite temporaire dans les longues herbes. On s’adossa contre la clôture qui séparait le jardin de la basse-cour.

– Maudit torrieu. J’vais l’avoir c’t’enfant d’chienne là. Les yeux de Gilles pétillaient de malice, son visage était barbouillé de terre et de pépins de concombre.

 – Aie, j’ai dit. Regarde. Y a un trou dans la clôture. On devrait aller chercher des crottes de cochon.

 – Bonne idée. Ça, ça va le faire chier. Défends-moi.

 Gilles se faufila à travers la clôture pendant que je fis de mon mieux pour distraire l’ennemi.

Gilles a tôt fait de revenir avec un arsenal de projectiles organiques. Il faut dire que les bouses de vaches, grandes comme des tartes aux raisins, auraient été une munition beaucoup plus satisfaisante. Mais à moins d’être gelées, ce sont de sales affaires avec une orbite parfois surprenante. Les crottes de cochon sont rondes, très compactes et voyagent loin. Au moment même où Gilles se préparait à lancer son premier projectile avec une conséquence certainement néfaste pour nous deux, mon père nous convoqua du perron.

 – Aie, vous autres! Regardez le ciel.

Au-dessus de nous, le ciel fourmillait d’éclats de lumière. Les étoiles avaient percé le noir et on dénombra nos constellations favorites : la Grande Ourse, la ceinture d’Orion, Bételgeuse. J’ai trouvé les Pléiades, ou les Sept Sœurs, prenant plaisir à savoir qu’elles formaient une nébuleuse. Je comprenais le mot. Je n’étais pas surprise que sept sœurs soient une   «nébulosité » car rien n’est clair dans les grandes familles. Par contre, j’avais toujours du mal à trouver l’Étoile polaire qui mène tout matelot à bon port. Mais ce soir, c’était l’aurore boréale qui se déployait dans un spectacle extraordinaire juste pour nous. Dansant devant les étoiles innombrables, ses grandes feuilles volantes miroitant le jaune safran, l’émeraude et un pourpre iridescent, l’aurore boréale sillonnait le ciel d’un horizon à l’autre, crépitant d’énergie, de vélocité astrale et de beauté inouïe.

Nos visages levés vers le ciel, nous avons quitté le champ de bataille et nous sommes allés rejoindre notre père sur le perron, faisant un cercle autour de celui qui nous avait enseigné le nom des étoiles.

C’était un vrai moment Kodak. N’importe qui aurait été touché par cette image de la Famille. Ça méritait une page dans un calendrier. Voilà un père entouré de sa marmaille, pivotant autour de lui comme une constellation d’étoiles. Et ensemble, ils s’émerveillent devant l’infini. Pourquoi ne me voyait-il pas, pourtant beaucoup plus près de lui que la Voie lactée? Ah bien. Peut-être qu’il était plus confortable avec les choses lointaines.

– Ti’Loup, m’a soufflé Gilles à l’oreille, de sa place à côté de moi juste hors du cercle de lumière, on est mieux d’aller se laver au puits. Tu sens la marde.

 


La voix de mon père de Madeleine Blais-Dahlem, parution 2015, Éditions de la nouvelle plume, http://plume.avoslivres.ca/ 

Imprimer
21582

Madeleine Blais-DahlemMadeleine Blais-Dahlem

Autres messages par Madeleine Blais-Dahlem
Contacter l'auteur

Contacter l'auteur

x

De plus en plus d'élèves font l'école à la maison depuis 5 ans

TORONTO - Les familles qui choisissent de faire l'éducation de leurs enfants à domicile sont de plus en plus nombreuses, indique une étude de l'Institut Fraser. 

16 juin 2015/Auteur: La Presse canadienne/Nombre de vues (18616)/Commentaires (0)/
Le blogue chanté du Dr Horrible

Le blogue chanté du Dr Horrible

Une pièce innovante présentée par les élèves du Pavillon Gustave Dubois

SASKATOON -Pour les élèves de l’École canadienne-française secondaire, la fin de l'année scolaire c’est aussi le temps de présenter une nouvelle pièce de théâtre : ils ont ainsi interprété Le blogue chanté du Docteur Horrible les 2 et 3 juin derniers.

11 juin 2015/Auteur: Alexandra Drame (EV)/Nombre de vues (30148)/Commentaires (0)/
Alexis Warren se démarque à la Dictée P.G.L.

Alexis Warren se démarque à la Dictée P.G.L.

Le jeune Fransaskois Alexis Warren a remporté le prix Provinces de l'Ouest et Territoires, dans la catégorie classe francophone, lors de la grande finale internationale de la Dictée P.G.L.
28 mai 2015/Auteur: L'Eau vive/Nombre de vues (27079)/Commentaires (0)/
Fête des finissants à l'école Valois

Fête des finissants à l'école Valois

Une soirée placée sous le signe de l'émotion

PRINCE ALBERT - Le 22 mai dernier, l’École Valois s’est parée de ses plus belles couleurs pour la fameuse fête des finissants.
28 mai 2015/Auteur: Sandra Hassan Farah (EV)/Nombre de vues (29185)/Commentaires (0)/
Collation des grades pour les finissantes du Collège Mathieu

Collation des grades pour les finissantes du Collège Mathieu

Le Collège Mathieu est heureux d’avoir tenu la collation des grades pour souligner les accomplissements et l’engagement réalisés par les finissantes de la cohorte 2015.

28 mai 2015/Auteur: Collège Mathieu/Nombre de vues (33501)/Commentaires (0)/
Charlotte Mabika, propriétaire d’une garderie en milieu familial à Saskatoon

Charlotte Mabika, propriétaire d’une garderie en milieu familial à Saskatoon

Mai est le mois de la petite enfance. Quand on pense aux garderies, c’est souvent les centres à la petite enfance qui nous viennent à l’esprit. Aujourd’hui nous allons découvrir une alternative à ces centres : les garderies en milieu familial.

28 mai 2015/Auteur: Alexandra Drame (EV)/Nombre de vues (43437)/Commentaires (0)/

Des parents veulent que leur association se prononce sur la situation des écoles fransaskoises

Le 12 mai dernier, un groupe de parents, dont je fais partie, a envoyé une lettre à la présidente de l'Association des parents fransaskois (APF). Dans cette lettre nous faisions part de nos préoccupations, notamment au sujet des coupures faites par le Conseil scolaire fransaskois (CSF) et des diminutions importantes des services.
28 mai 2015/Auteur: Jean-Marie Allard (Courrier du lecteur)/Nombre de vues (18668)/Commentaires (0)/

Mario Cyr reçoit le prix Edgar-Gallant 2015 pour l’éducation

Mario Cyr, ancien directeur général du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, est le lauréat cette année du prix Edgar-Gallant pour sa contribution remarquable à l’essor de l’éducation en français en milieu minoritaire.

21 mai 2015/Auteur: Francopresse/Nombre de vues (18224)/Commentaires (0)/
Le Test d’Évaluation de Français (TEF) à l’Institut français de Regina

Le Test d’Évaluation de Français (TEF) à l’Institut français de Regina

Une participante raconte…

REGINA - L’Institut est devenu, il y a 3 mois, le premier établissement en Saskatchewan officiellement reconnu pour administrer le Test d’évaluation de français (TEF).

20 mai 2015/Auteur: Sandra Hassan Farah(EV)/Nombre de vues (33656)/Commentaires (0)/
Transport scolaire et élèves francophones

Transport scolaire et élèves francophones

Le transport homogène dans les conseils scolaires francophones est-il constitutionnel ?
20 mai 2015/Auteur: Anonym/Nombre de vues (32298)/Commentaires (0)/
Bilinguisme: les francophones et les anglophones invités à mieux se connaître

Bilinguisme: les francophones et les anglophones invités à mieux se connaître

Une belle initiative du club Rotary de Moncton

MONCTON - Dominic Cardy, chef du NPD au Nouveau Brunswick et Mathieu Wade, sociologue de l’Université de Moncton, ont partagé leurs points de vue sur la question sensible du bilinguisme lors d’un dialogue public au début du mois de mai au Collège Oulton de Moncton.

20 mai 2015/Auteur: Simon Delattre (Acadie Nouvelle)/Nombre de vues (27179)/Commentaires (0)/
Foire régionale du Patrimoine à Regina

Foire régionale du Patrimoine à Regina

« Est-ce que les juges sont passés vous voir » ?

10 élèves de l’école élémentaire et secondaire de Monseigneur de Laval ont participé à cette belle foire sur l’histoire
20 mai 2015/Auteur: Claude Martel (EV)/Nombre de vues (35597)/Commentaires (0)/
La Cour suprême et la Commission scolaire francophone du Yukon: la Cour d’appel a commis une erreur

La Cour suprême et la Commission scolaire francophone du Yukon: la Cour d’appel a commis une erreur

Retour à la case départ

La Cour suprême a rendu une décision unanime concernant le litige opposant la Commission scolaire francophone du Yukon au gouvernement territorial.
14 mai 2015/Auteur: Pierre-Luc Lafrance (L'Aurore boréale)/Nombre de vues (24573)/Commentaires (0)/
La cause des francophones du Yukon renvoyée à un tribunal inférieur

La cause des francophones du Yukon renvoyée à un tribunal inférieur

Retour à la case départ pour la Commission scolaire francophone du Yukon

Le combat linguistique que mène devant les tribunaux l'unique commission scolaire francophone du Yukon est loin d'être terminé.
14 mai 2015/Auteur: La Presse canadienne/Nombre de vues (23278)/Commentaires (0)/
Le grand Cabaret à Mgr de Laval : la leçon des « petits » aux « grands »

Le grand Cabaret à Mgr de Laval : la leçon des « petits » aux « grands »

Des moments d’émotion et une leçon d’humilité

REGINA - Organisé le vendredi 8 mai par les élèves de la 7e à la 9e du Pavillon secondaire de l’École Monseigneur de Laval, le spectacle La Grand Cabaret est une leçon de vie.

14 mai 2015/Auteur: Abdoulaye Yoh (EV)/Nombre de vues (28336)/Commentaires (0)/
RSS
Première1617181921232425Dernière

 - vendredi 21 juin 2024