De Regina à Paris, Kyrie Kristmanson redonne vie aux femmes troubadours
Kyrie Kristmanson, musicienne réginoise basée à Paris depuis presque 14 ans, était de retour dans la capitale saskatchewanaise ce printemps pour composer son nouvel album. Elle en a profité pour donner deux concerts, le 23 mai au festival Cathedral Arts en tant qu’artiste solo et le 28 juin avec le groupe Rah Rah, dont elle est une ancienne membre. La jeune artiste francophile se confie à L’Eau vive sur son amour pour la musique féminine médiévale du sud de la France.
Comment une Réginoise a-t-elle atterri à Paris ?
C’est lorsque je grandissais à Regina que j’ai commencé à faire des concerts et à écrire des chansons. J’ai fait des concerts au Festival folk de Regina et à The Exchange, et j’ai aussi commencé le groupe Rah Rah avec des copains du secondaire. Finalement, je suis partie pour faire mes études à l’Université de Carlton.
Quand j’étais partie à Ottawa, j’ai reçu un message sur MySpace d’une chanteuse française, Emily Loizeau. Elle avait entendu mes chansons et elle m’a proposé de venir en France pour faire ses premières parties.
Là-bas, j’ai rencontré un agent qui souhaitait travailler avec moi, alors dès que j’ai fini mes études à Carlton, je suis partie à Paris pour la sortie d’un album. Une chose en amenant une autre, finalement je ne suis jamais repartie.
Vous avez étudié la musique médiévale des femmes troubadours à la Sorbonne. Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?
Entre les tournées d’album, je me suis inscrite à la Sorbonne parce que je suis passionnée de la musique médiévale. J’ai suivi un master sur les femmes troubadours des 12e et 13e siècles. J’ai reconstruit des mélodies perdues et fragmentées.
Je crois que mon intérêt vient certainement du fait que mon père est historien. Il m’a donné l’idée que le passé continue à nous influencer dans le présent.
J’ai toujours été fascinée par les racines des choses, les étapes qui ont mené jusqu’à moi aujourd’hui en tant que compositrice.
C’est à travers des lectures que j’ai entendu parler des femmes compositrices qui composaient dans le sud de la France au 12e siècle. Curieusement, elles ne composaient pas des chansons religieuses, mais des chansons d’amour.
C’étaient donc des femmes fortes en ce temps-là ?
Oui, c’est intéressant. Les femmes étaient plutôt puissantes puisqu’elles menaient la politique régionale lorsque leurs maris partaient pour faire la croisade. C’était une époque qui a permis à la voix féminine de surgir. Je trouve ça beau et passionnant.
De quelle manière ces femmes composaient-elles leur musique ?
Les femmes troubadours composaient dans une tradition orale. Elles composaient en dialogues, un peu comme la tradition folk.
Les mélodies et les paroles ont été transcrites 200 ans après leur activité. Il ne nous reste qu’une seule mélodie composée par les femmes, mais des dizaines de paroles.
Comment expliquer cette rareté ?
La transmission dépendait du fait que la chanson soit entendue. Les femmes ne pouvant pas voyager avec leurs chansons, ça restait dans les sphères privées domestiques. C’est pourquoi il reste surtout des mélodies écrites par des hommes.
Comment parvenez-vous donc à reconstruire ces musiques ?
Le travail de reconstruction de cette musique est basé sur le texte. Dans les paroles, il y a les vestiges d’une mélodie qu’on peut déterminer en examinant le rythme et le choix du vocabulaire.
On ne peut pas prouver notre travail, mais on peut faire des hypothèses. C’est comme un travail de détective !
Intégrez-vous ce style de musique à la vôtre ?
Je ne suis pas interprète de la musique médiévale, mais j’aime bien me considérer comme le prolongement de cette tradition.
Je fais des compositions personnelles qui sont en dialogue avec ce répertoire, même s’il y a 800 ans qui nous séparent. Mon style est quelque part entre la musique médiévale et la musique folk, un étrange mélange de différentes sources comme ma propre sensibilité et ma propre expérience du monde.
Vous vivez au quotidien en français à Paris. Comment s’est passée la transition de l’anglais au français ?
J’ai fait l’immersion au Canada. J’avais des enseignants fabuleux et très passionnés par la langue française qui m’ont donné envie de m’exprimer dans cette langue. Ça m’a vraiment donné la possibilité de dire oui à Emily Loizeau.
On ne peut pas vraiment vivre dans une culture sans parler la langue. Cette voie s’est ouverte à moi et j’ai pu l’emprunter grâce à la base de français que j’ai eue en Saskatchewan.
Intégrez-vous la langue française dans votre musique ?
Curieusement, une de mes premières compositions était en français. J’avais 15 ans et un français très débutant. Je l’ai composée en regardant des photos de Montmartre à Paris.
C’était une sorte d’hommage aux artistes qui ont vécu là-bas. J’avais une idée très romantique peut-être de cette vie et ça m’a émue de penser à ces gens pauvres, mais riches de leur art et de leur passion.
Mais j’ai mis longtemps à composer de façon régulière en français parce que pour moi, c’est très lié aux rêves. Dès que j’ai commencé à rêver en français, l’écriture en français est devenue plus naturelle.
Prévoyez-vous de retourner en Saskatchewan ?
Je vais revenir en automne avec un trio de percussions français. Le Conseil culturel fransaskois organise une tournée pour nous dans des petites communautés fransaskoises.
La musique couvrira du Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui, en incluant des compositions de moi et ce répertoire des femmes troubadours.
La musique représentera comment les femmes ont mis en musique le désir à travers les siècles, le désir sacré et pro-femmes. J’encourage vraiment les gens à venir voir ce trio très inventif et audacieux !
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