Le dollar canadien inquiète les immigrants
« Ne nous oublie pas! » Diane1, une immigrante d’origine africaine, me confiait que ces paroles implorantes de sa mère resteront à jamais ancrées dans sa mémoire. Fransaskoise d’adoption, et fière de l’être, elle n’a pas du tout l’intention d’« oublier » ceux à qui elle doit tout : les membres de sa famille.
Dans le jargon de l’immigrant, « ne pas oublier les siens » signifie leur envoyer quelques dizaines ou centaines de dollars chaque mois. Les immigrants ont la main sur le cœur. Certains se saignent aux quatre veines pour faire bouillir la marmite, à plusieurs milliers de kilomètres d’ici, dans leur famille d’origine.
Les plus généreux sont sans aucun doute les immigrants d’origine philippine et haïtienne. C’est ce que révèle une des rares études sérieuses sur le sujet intitulée : Les habitudes de transfert de fonds chez les nouveaux immigrants du Canada, publiée par Statistique Canada en 2008. Ils sont suivis de près par les nouveaux arrivants Africains et Caraïbéens.
Parmi les moins généreux : ceux qui viennent de la France. Seuls 10% d’entre eux transfèrent des fonds vers la mère-patrie, six fois moins que les Philippins. Il faut dire que les besoins dans les pays d’origine ne sont pas les mêmes.
Les habitudes de transfert de fonds des immigrants varient aussi en fonction de leurs revenus au Canada. Plus le salaire de l’immigrant est élevé, plus il est susceptible d’aider sa famille d’origine, évidemment. « De même, les immigrants qui travaillent à temps plein sont beaucoup plus susceptibles de transférer des fonds à l’étranger que ceux qui travaillent à temps partiel ou qui sont inactifs »2.
Enfin, la communauté d’accueil de l’immigrant joue un rôle non négligeable dans ce phénomène. « La probabilité prédite de transfert varie de 21% chez les immigrants de Montréal à 34% chez les immigrants de Calgary ou d’Edmonton ». Autrement dit, les nouveaux arrivants qui s’installent dans l’Ouest sont plus charitables envers leurs familles que ceux qui s’installent dans l’Est.
Quel est lien avec le dollar canadien? En fait, grâce à la force de la monnaie canadienne, les quelques dizaines de dollars qui partent d’ici deviennent des milliers de francs burundais, de pesos, de francs Congolais, de Dalasi ghanéens, etc. À titre d’exemple, il y a un an 200 $ canadiens valaient environ 100 000 FCFA (Franc des Communautés françaises d’Afrique), l’équivalent du salaire mensuel d’un agent du gouvernement dans ces lointaines contrées du continent Noir.
Or, depuis plusieurs mois, notre dollar pique du nez. En une année, la monnaie canadienne a perdu 4% de sa valeur face au dollar américain. Une bonne nouvelle pour l’économie du Canada, car nos produits sont plus abordables sur le marché international et cela permet de relancer les exportations, et par ricochet l’économie.
Paradoxalement, « ce n’est pas bon pour les affaires », explique Marie, immigrante francophone qui envoie régulièrement de l’argent à sa mère. Il lui faut dépenser beaucoup plus d’argent pour venir en aide à sa famille. D’après les experts, la chute libre du dollar canadien se poursuivra. Un cauchemar pour les immigrants, du moins pour les nouveaux arrivants. En fait, plus un immigrant s’installe durablement au pays de l’Érable, moins il envoie de l’argent à sa famille. C’est un des enseignements de l’étude réalisée par Statistique Canada. Ce n’est pas pour rien que la mère de Diane avait dit avec insistance : « Ne nous oublie pas! »
1 Les noms des personnes citées dans cet article ont été volontairement changés, pour préserver leur anonymat.
2 Les habitudes de transfert de fonds chez les nouveaux immigrants du Canada, p.6.
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Luc Bengono
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