Souvenirs d’Afghanistan: Après la guerre, le combat intérieur
Publication du livre "Peur et dégout en Afghanistan, Témoignage d'un militaire canadien"
Un jour où mes étudiants me devaient un bref résumé de lecture, voici que M. Marchal me soumet un manuscrit de plus de 400 pages... « C’est la version non corrigée, non censurée, je vous demanderais de ne pas le faire circuler », avait-il précisé. Le temps s’était soudain arrêté. »
La professeure Stéphanie Bélanger du département d’études françaises du Collège militaire royal du Canada, à Kingston (ON), raconte ainsi l’émergence du récit Peur et dégoût en Afghanistan, de Sony Marchal. Publié par Québec-Livres, il sera disponible en librairie le 15 novembre.
« C’était un de ces rares moments où le chercheur a l’impression de tenir entre ses mains la pierre philosophale : le cœur débattant, je parcourais à cent milles à l’heure les pages encore vierges de censure, voyant se dévoiler sous mes yeux le secret même de mon objet d’étude, la quintessence du témoignage, celui dont rêvent tous les théoriciens du genre. »
La directrice associée de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans avait rencontré le soldat deux ans plus tôt, alors qu’il participait à une recherche sur le témoignage guerrier.
« Je me suis souvenue de lui comme d’un individu renfrogné au point de me laisser intriguée, mais inquiète lorsqu’il a quitté mon bureau. Je me disais qu’il fallait être guerrier jusqu’aux os pour vouloir continuer à lutter après quatre déploiements en Afghanistan; son champ de bataille s’était fait intérieur et il guerroyait – avec quelle surprenante naïveté, avec quelle maladresse parfois, mais avec quelle force aussi – contre la mort de l’âme qui menace à chaque moment du jour, à chaque heure de la nuit. »
Sony Marchal a servi au sein du Royal 22e Régiment de 2001 à 2008, à titre de parachutiste et d’opérateur en renseignement tactique. Puis jusqu’en 2010, il a œuvré pour le Renseignement militaire canadien. Inscrit ensuite au CMRC, il a terminé un baccalauréat et poursuit sa formation en tant qu’officier de l’armée canadienne. L’auteur songe maintenant à faire des études supérieures.
« L’idée d’écrire ce livre m’est venue en juillet 2011 alors que je me trouvais dans un centre de rétablissement, écrit Sony Marchal dans le prologue du récit, travaillant sur mon alcoolisme et mon agressivité. Un mois plus tôt, j’avais décidé de faire ce que je n’aurais jamais pensé faire de ma vie. J’ai pris le volant dans mon VUS, je me suis rendu à l’hôpital de la base de Kingston et j’ai demandé à rencontrer les spécialistes de la santé mentale. »
« En sortant de leur bureau, je me suis senti comme dans les limbes, écrit-il. J’ai eu des étourdissements, mon champ de vision s’est limité à un mince tunnel. Sans vraiment m’en rendre compte, je me suis rendu jusqu’au stationnement. Je me suis senti mal. J’ai mis un genou par terre. J’ai vomi tellement j’avais honte de moi. Pas d’avoir sombré dans l’alcoolisme et la dépression, honte de m’être abaissé à demander de l’aide au service de santé mentale. »
« Ce soir, poursuit-il, nous sommes le 20 juin 2012, et je viens de regarder mon ex-femme partir au volant de son camion de déménagement. Je suis resté assis quelques minutes sur le perron devant la maison. J’ai bu une bière en flattant mon chien, puis je suis rentré à l’intérieur. Assis dans mon bureau, je regarde les murs, ils sont couverts de certificats militaires, de mentions élogieuses et autres décorations. »
« J’ai adoré mon temps en Afghanistan. Ça a été une expérience professionnelle et personnelle incroyablement enrichissante. Pourtant, il semblerait que cette expérience que j’ai tant aimée ait eu un effet dévastateur sur ma vie personnelle, au Canada, à la maison, là où j’aurais dû retrouver mon havre de paix après de longues périodes en zone de guerre. Bref, en écrivant ce livre, j’espère mettre de l’ordre dans mes idées et comprendre pourquoi ma vie est telle qu’elle est en ce moment : un chaos total. »
« Plusieurs vivent ça, constate Stéphanie Bélanger, mais peu s’en sortent. Il y a plein de manières pour s’en sortir. Sony a trouvé l’écriture. » Statistique Canada a révélé en août qu’un militaire canadien sur six a souffert de troubles mentaux.
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