Andréa Denis: quand j'étais jeune on me disait que je n'étais pas fransaskoise
Entretiens avec des Fransaskois vivant au Québec – 3e partie
L'Eau Vive a rencontré Andréa Denis, une Fransaskoise récemment arrivée à Montréal. Andréa, qui jusqu'à l'automne dernier travaillait pour le Conseil culturel fransaskois, a choisi de venir au Québec pour vivre en français et explorer la vie.
Andréa Denis
Photo: Daniel Paquet (2015)
Eau vive - Depuis combien de temps es-tu au Québec?
Andréa Denis – Depuis décembre 2014
EV – Comment as-tu vécu ton arrivée au Québec?
AD – On a conduit de la Saskatchewan à Montréal, c'était long, il y avait beaucoup de neige et il faisait froid. Et puis nous avons eu quelques mésaventures avec notre appartement et on s'est demandé si on avait pris la bonne décision.
EV – Comment te sens-tu perçue par les Québécois en tant que Fransaskoise?
AD – Les Québécois pensent que je suis anglophone. Je sais que j'ai un accent. Ma mère est anglophone, mon père est francophone, mais j'ai grandi dans la francophonie. Beaucoup de francophones m'ont demandé si j'avais besoin d'un visa pour venir ici (rires), d'autres ont commencé à me parler du Nouveau-Brunswick quand je leur ai dit que je venais de la Saskatchewan. Il y a une personne qui essayait de me raconter l'histoire de la Saskatchewan en m'expliquant le peuplement par les Québécois! J'ai travaillé à la Société historique pendant quelque temps, alors j'en connais un peu sur le sujet. Ma famille, par exemple, est venue directement de France.
Ici, tu sais, tout le monde me répond et me parle en anglais. Moi, j'insiste sur le français en parlant et en répondant dans cette langue même si on continue en anglais. J'étais déjà venue au Québec, à Montréal plusieurs fois, je savais que c'est une tendance ici. Mais ça m'a quand même surprise parce qu'après tout, je suis venue ici pour vivre en français.
EV – Est-ce la raison principale de ta venue ici?
AD – J'avais besoin d'un changement, d'une aventure, mais c'est sûr que ça comptait aussi dans la balance. La langue, la culture, tout ça.
EV – Comment définirais-tu l'identité fransaskoise?
AD – C'est une bonne question. L'identité fransaskoise, c'est la culture francophone. J'ai grandi dans une petite communauté francophone et c'était différent des communautés anglophones. Juste dans la façon de vivre la culture... C'est peut-être dans la façon de s'exprimer. Pas nécessairement au niveau des idées. C'est quand même conservateur, la Saskatchewan! Mais je parle d'ouverture dans la façon d'être, dans les accolades, par exemple. Les anglophones sont plus réservés. Les francophones sont plus ouverts dans leurs interactions. Les Fransaskois font partie de cette culture francophone. Mais c'est différent, parce que la Fransaskoisie est minoritaire. Et puis c'est la Saskatchewan, c'est un milieu rural. Les Fransaskois sont des Saskatchewannais.
EV – Perçois-tu d'autres différences entre les Québécois et les Fransaskois?
AD – Les Fransaskois sont évidemment moins nombreux et ils ont dû se battre pour leurs droits. C'est peut-être de là que vient cette sorte de fermeture dans la communauté fransaskoise, dans une espèce de peur d'envahissement. En Saskatchewan, je dirais que nous avons un peu plus la culture américaine. Ici, au Québec, il y a une culture plus complète, dans le sens où vous avez vos propres artistes, votre propre musique. On peut vivre de culture entièrement québécoise si on le désire. Mais en Saskatchewan, ce n'est pas comme ça, ni en anglais, ni en français, car les artistes que l'on voit, que l'on entend, ne viennent pas de chez nous. Ils viennent soit d'ailleurs au Canada ou bien des États-Unis.
À un niveau plus personnel, les Fransaskois, les Franco-manitobains et les Acadiens, on se rassemble plus ensemble qu'avec les Québécois. C'est peut-être parce que ce sont des petites communautés et que tout le monde se connaît. On se comprend mieux entre nous. Il y a une plus grande solidarité entre les francophones des milieux minoritaires. Même si les Acadiens, par exemple, sont à l'autre bout du pays, on se comprend mieux avec eux qu'avec les Québécois, c'est sûr.
EV – Est-ce qu'il y a des gens qui sont surpris, au Québec, quand tu dis que tu es une francophone de la Saskatchewan?
AD – Oui, certainement. Au départ, on pense toujours que je viens d'un endroit exotique, en dehors du Canada. Dès que je leur dis que je viens de la Saskatchewan, ils commencent à être mélangés (rires). Mais il y a de belles réactions, ils sont intéressés, en disant, « oh, ça existe », comme si je leur avais vraiment appris quelque chose.
EV – Comment définirais-tu ton identité?
AD – C'est à 23 ans seulement que j'ai commencé à m'identifier comme Fransaskoise. J'ai quand même été dans une école fransaskoise de la maternelle à la 12e année, mais la communauté me disait que je n'étais pas francophone parce que ma mère est anglophone. Cette communauté-là me disait que je n'étais pas Fransaskoise à cause de cela. C'est seulement quand j'ai fini mes études à l'Université et que j'ai commencé à enseigner dans une école fransaskoise que je me suis vraiment dit, et oui, je suis Fransaskoise. Je ne sais pas si ça va jamais changer, si je reste au Québec par exemple. Parce que je suis venue ici comme francophone, point.
EV – Est-ce que tu penses que les Québécois sont indifférents vis-à-vis la francophonie en dehors du Québec?
AD – Oui, sauf ceux qui vont travailler avec les francophones ailleurs au pays, mais ça reste une minorité. Je parle plutôt ici des artistes qui font des tournées dans la francophonie hors Québec. Eux ne sont pas indifférents. Mais la majorité des gens, oui, ils le sont, je trouve. Sauf sûrement des personnes qui connaissent des gens, ou bien des histoires, ou bien des communautés. Il y en a que ça touche. J'ai un ami de Gatineau qui a travaillé à la Société historique et il parlait à une amie de ce que c'était la Saskatchewan, de son histoire, et l'amie était en larmes, tu sais (rires), en découvrant ces personnes et ces communautés qui se battaient pour défendre et faire vivre une langue.
EV – Comment perçois-tu l'avenir de la francophonie en Saskatchewan?
AD – Je perçois cela assez positivement. Je pense que le seul danger, c'est quand on se referme sur nous, vis-à-vis des autres. Je pense que ce n'est pas la bonne méthode de dire aux jeunes des écoles d'immersion française qu'ils ne sont pas francophones et de ne pas les inviter à nos activités, par exemple. On est rendu à un point où il y a rarement un couple maintenant qui soit francophone-francophone.
Il faut s'ouvrir à d'autres langues, à d'autres cultures, tout en gardant la nôtre, même si c'est difficile. Il faut réfléchir à comment le faire, mais je pense que la francophonie va grandir en Saskatchewan. La bonne méthode à adopter, c'est d'accueillir les gens, mais pas dans la perspective, par exemple, de distribuer des billets gratuits pour avoir plus de monde à un spectacle, pour remplir la salle, je ne parle pas de ça. Il faudrait plutôt avoir une façon de dire que l'on est ouvert au bilinguisme, de montrer la langue aux anglophones et d'encourager l'intégration des nouveaux arrivants.
Dans les écoles d'immersion française, les enseignants et les jeunes parlent en français. Alors pourquoi ne trouverait-on pas une façon de les inviter dans la communauté francophone? Si tu regardes, le Conseil des écoles fransaskoises… Souvent, ils semblent fermés aux écoles d'immersion. Ils n'encouragent pas des activités qui les rassemblent. Ils ont peur de perdre leurs élèves aux écoles d'immersion. Tous ces jeunes là devraient au contraire se connaître, ça leur donnerait plus confiance avec le français. Souvent ils ont des accents anglophones, et on leur dit que ce n'est pas correct, mais ce n'est pas grave pour moi. Tant qu'on parle français..
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